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Britannicus de Jean Racine [extrait]

Institut national de l’audiovisuel

Proposé par Institut national de l’audiovisuel

Date de diffusion : 19 avr. 1959

Adaptation de la tragédie Britannicus de Jean Racine par Jean Kerchbron en 1959. Acte II, scènes 6 à 8.

Niveaux et disciplines

Informations et crédits

Type de ressource :
Forme :
Date de diffusion du média :
19 avr. 1959
Production :
INA
Page publiée le :
18 févr. 2014
Modifiée le :
29 juin 2023
Référence :
00000001562

Contexte historique

Par Johanna Pernot

Né en 1639 à la Ferté-Milon d'une famille modeste, Jean Racine reçoit une éducation janséniste au couvent de Port-Royal, près de Paris, où il apprend le grec et le latin, découvre les tragédies antiques d'Eschyle, Sophocle et Euripide. La morale austère du jansénisme, qui nie la liberté humaine en affirmant la prédestination des âmes, sauvées ou non par la grâce divine, se retrouve dans ses tragédies sous les traits de la fatalité.

Dès 1658, Racine fréquente les milieux littéraires et mondains où il se lie avec La Fontaine, puis Molière et Boileau qu'il rencontre à la cour. Il devient dramaturge. Après La Thébaïde, que joue en 1664 la troupe de Molière, la représentation d'Alexandre le Grand l'année suivante le brouille définitivement avec son ami. Il rompt également avec Port-Royal, qui condamne le genre immoral du théâtre. Avec son premier grand succès, Andromaque, en 1667, Racine apparaît comme le vrai grand rival de Corneille, dont il est de trente ans le cadet. De Britannicus en 1668, Bérénice et Bajazet, jusqu'à Iphigénie en 1674, l'art dramatique de Racine se perfectionne pour culminer avec Phèdre, en 1677. Mais les contestations soulevées par la pièce et son retour à la piété le font rompre avec le monde du théâtre. La cour, de plus en plus dévote sous l'influence de Madame de Maintenon, accueille d'ailleurs avec moins d'enthousiasme les représentations. Racine embrasse alors une carrière officielle et glorieuse en devenant, avec Boileau, historiographe du roi. Il se réconcilie avec Port-Royal. Dix ans plus tard, Madame de Maintenon, qui s'occupe à Saint-Cyr d'une institution de jeunes filles et veut, tout en les instruisant, leur faire pratiquer le chant et le jeu théâtral, lui commande deux pièces d'inspiration sacrée. Avec ses deux tragédies bibliques, Esther en 1689 et Athalie en 1691, Racine réconcilie sa foi religieuse et son goût pour théâtre, tout en donnant pleine satisfaction à l'épouse secrète de son roi. À sa mort, en 1699, il est inhumé à Port-Royal.

Même s'il a remporté un beau succès avec son unique comédie, Les Plaideurs, Racine demeure dans toutes les mémoires, avec son rival Corneille, le maître de la tragédie classique. Alors que l'auteur du Cid, aux écrits parfois teintés de baroque, fait généralement triompher l'honneur et le devoir, le protégé de Louis XIV, plus orthodoxe dans ses compositions qui respectent scrupuleusement les règles de l'alexandrin et des trois unités, montre davantage le ravage des passions sur les hommes, en proie à un destin auquel ils ne peuvent se soustraire. Britannicus n'échappe pas à la règle. Elle montre comment le jeune empereur Néron, qui veut s'affranchir du joug politique de sa mère Agrippine et conquérir la belle Junie aux dépens de Britannicus, cède aux fureurs de la jalousie et de la tyrannie et fait empoisonner par Narcisse son rival.

Éclairage média

Par Johanna Pernot

Jean Kerchbron, engagé dès 1949 à la RTF, croit fortement au pouvoir culturel de la télévision, où il adapte les textes classiques, dont de nombreuses pièces de Hugo, Corneille, Molière et Racine. Cette croisade un peu folle en faveur des grandes pièces en alexandrins lui attire d'ailleurs le surnom de « Britannicus », tragédie qu'il tourne en studio en 1959.

Fidèle aux choix du dramaturge, il opte pour un décor antique et solennel, la circularité des colonnes figurant peut-être déjà l'enfermement des personnages dans le piège des passions. Le choix du direct sied parfaitement au genre du théâtre, tandis que la caméra, à la télévision, a la spécificité de mettre en valeur le visage et les mouvements symboliques des acteurs.

L'extrait se situe à l'acte II. Néron, qui s'est épris de Junie, vient de lui ordonner de faire croire à Britannicus qu'elle ne l'aime plus. L'entrevue entre les deux amants est filmée de façon particulièrement intéressante : l'originalité du cadrage permet à Kerchbron, qu'on sait passionné par la direction d'acteurs, de représenter les trois niveaux d'énonciation de la scène, puisque Junie parle pour Britannicus, mais aussi pour Néron, et au-delà pour le spectateur.

Au début de la scène 6, Britannicus, puis Junie elle-même disparaissent de l'écran. À quoi joue donc le cameraman ? Le cadre est étonnamment vide, la tirade de Britannicus nous parvient hors champ. Seuls demeurent Narcisse et Néron tapi dans l'ombre, dans une immobilité glacée et menaçante. Ce brillant stratagème de Kerchbron fait de Néron et Narcisse plus que deux espions : ce sont les metteurs en scène qui tirent les ficelles et décident, tandis que Junie et Britannicus sont les acteurs malheureux de la tragédie qu'on a écrite pour eux.

Les gros plans sur les visages des acteurs, qu'affectionne Kerchbron, disent la stupeur désolée, puis l'effroi glacé de l'amante qui n'a pu prévenir le prince et se sait prise au piège. Kerchbron aime à montrer les effets d'un acteur sur l'autre : au visage exalté de Britannicus répond le masque de Junie. L'amoureux, qui cherche un écho à sa flamme, tourne autour de Junie qui régulièrement se dérobe. Les deux en viennent à tourner le dos à la caméra, l'écran obstrué pouvant figurer leur impasse ou reléguer les spectateurs de leur drame – Néron en tête – au rang de voyeur.

Junie met d'ailleurs en garde son amant : « Ces murs mêmes, Seigneur, peuvent avoir des yeux ». Et à cet instant exactement, entre les profils des deux interlocuteurs, se dresse la silhouette floue de Narcisse, qui les observe à l'arrière-plan. De même, au moment où l'amant inconscient semble impunément braver Néron, le champ, obstrué lentement par une colonne, semble imiter le point de vue d'un observateur secret, et rappelle que l'empereur écoute.

Quant à la brouille finale, elle est signifiée autant par les paroles que par l'image : la figure noire de Narcisse, le suppôt de Néron, s'immisce définitivement entre les deux amants vêtus de blanc.

Britannicus parti, Junie, acculée contre le mur entre Narcisse et Néron, puis isolée au milieu des colonnes par un plan rapproché, a tout de l'héroïne tragique, condamnée à pleurer (scène 7). La caméra ne bouge plus, la dernière scène de l'acte frappe par son statisme : le maître au premier plan, l'homme de main dans son ombre, gardent les yeux fixés sur le point où a disparu Junie, l'objet de leurs pensées et de leur machination.

On pourra comparer cette adaptation avec la mise en scène réalisée par Antoine Vitez vingt-deux ans plus tard. Si les deux spectacles utilisent le décor et les gestes pour exprimer les rapports entre les personnages, le travail de Vitez sur la scène de Chaillot nous fait davantage pénétrer dans l'intimité du drame.

(pour une étude comparative, voir la notice consacrée à la mise en scène d'Antoine Vitez en 1981).

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