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Les Perses d'Eschyle [extrait]

Institut national de l’audiovisuel

Proposé par Institut national de l’audiovisuel

Date de diffusion : 31 oct. 1961

Adaptation et réalisation des Perses d'Eschyle par Jean Prat en 1961. Situé après le récit du messager et le retrait de la reine, l'extrait s'ouvre avec le chant du chœur.

Niveaux et disciplines

Informations et crédits

Type de ressource :
Forme :
Date de diffusion du média :
31 oct. 1961
Production :
INA
Page publiée le :
18 févr. 2014
Modifiée le :
29 juin 2023
Référence :
00000001566

Contexte historique

Par Johanna Pernot

Né vers 525 à Eleusis près d'Athènes, Eschyle est membre d'une grande famille aristocratique et se met tôt à écrire. Poète et soldat, il prend part à la bataille de Marathon en 490 et dix ans plus tard à celle de Salamine, qui lui inspire Les Perses. Treize fois vainqueur du concours tragique, Eschyle aurait composé pas moins de vingt drames satyriques et quatre-vingt dix tragédies, dont seules sept nous sont parvenues : Les Perses, Les Sept contre Thèbes (voir notice La guerre, selon Eschyle et Olivier Py), Les Suppliantes, Prométhée enchaîné, la trilogie de L'Orestie. C'est un homme de spectacle complet : il invente le deuxième acteur, le costume flottant, le masque à fond blanc et fixe les règles de la mise en scène. Avant la création du troisième acteur, il joue le rôle écrasant du protagoniste : il incarne, en changeant de masque, les deux héros principaux de chaque tragédie de ses trilogies. Eclipsé à la fin de sa vie par la gloire montante de Sophocle, il meurt en Sicile en 456.

Au Ve siècle avant notre ère, Eschyle, puis Sophocle et Euripide développent les fondements de la tragédie, lors des fêtes données à Athènes en l'honneur de Dionysos. La fonction religieuse du théâtre se double d'une fonction politique. Tous les citoyens se retrouvent au théâtre pour « communier » autour de sujets mythologiques connus, le plus souvent puisés chez Homère, et partager ainsi une culture commune et le sentiment d'appartenir à la cité. À côté du genre de la comédie représenté par Aristophane, la tragédie, que théorise Aristote au IVe siècle dans sa Poétique, contribue à l'éducation morale du citoyen. S'il adhère en effet à ce qu'il voit, la scène, les masques ou le chœur, en créant une distance, lui rappellent sans cesse qu'il assiste à une fiction. Purgé de ses passions grâce à la catharsis, qui déclenche en lui la crainte du tyran et la pitié pour la victime, il peut mener dans la cité une existence exemplaire.

Si Les Perses n'est pas inspirée par Homère, la tragédie la plus ancienne de toutes les pièces antiques conservées mobilise un événement retentissant de l'histoire grecque. En 480, lors de la fameuse bataille de Salamine, les Hellènes triomphent des Perses menés par le roi Xerxès. Eschyle se saisit de ce fait récent et écrit en 472 une pièce patriotique, qui, au sein d'une tétralogie aujourd'hui disparue, remporte le concours tragique. Pour célébrer sans tapage la victoire de son peuple, il prend le parti original de se placer du côté des vaincus, incarnés par le chœur des vieillards perses. Diminué par Sophocle et surtout Euripide, le chœur chez Eschyle joue un rôle absolument essentiel. Il est le principal personnage de la tragédie.

Posant déjà les grands principes tragiques, la pièce montre que le destin ne dépend pas des hommes, mais des dieux : Xerxès, qui l'a oublié, est sanctionné par une défaite militaire. L'œuvre condamne donc la présomption et la démesure (ou hybris) qui met en danger l'ordre de la cité, et invite à méditer sur la vanité des grandes entreprises humaines. Conformément à toute l'œuvre d'Eschyle, c'est bien « la tragédie de la justice divine » qui nous est donnée à voir, pour reprendre les mots de l'helléniste Jacqueline de Romilly.

Éclairage média

Par Johanna Pernot

Jean Prat, qui a fait des études littéraires avant de se tourner vers le cinéma, a laissé derrière lui une vraie œuvre, forte et cohérente. Même s'il a vécu l'époque de la dramatique vidéo en direct, il en a produit assez peu pour privilégier les films de fictions ; il en a réalisé une trentaine dans toute sa carrière. La télévision est alors investie d'une mission pédagogique ambitieuse. Grâce à elle, le patrimoine littéraire, jusqu'ici réservé à un public limité, est enfin accessible à toutes les classes sociales. Les Perses font date dans l'histoire de la RTF. Pour la première fois, les ressources de la radio et de la télévision sont réunies dans une diffusion en stéréophonie. Et Jean Prat réussit son pari de séduire des millions de téléspectateurs avec une tragédie antique qui relève autant du théâtre que de la cérémonie sacrée. À quelques exceptions près en effet (la venue du messager, l'apparition du roi Darios et le retour de Xerxès), la pièce ne présente aucune action dramatique ; elle repose entièrement sur les récits. Comment maintenir alors l'attention du téléspectateur ? Le choix d'une mise en scène très spectaculaire est dès lors essentiel.

L'action prend place devant le tombeau de Darius, l'ancien roi des Perses. Pour le film, une copie stylisée du vrai palais de Xerxès à Persépolis a été réalisée. Les costumes hiératiques des acteurs sont à l'image de ce décor majestueux. Les masques, librement inspirés des bas-reliefs persans contemporains d'Eschyle, ont perdu leur fonction antique de porte-voix, mais ils contribuent à la solennité et l'unité d'un chœur qui parle pour tout le peuple d'une seule et même voix.

Situé après le récit du messager et le retrait de la reine, l'extrait s'ouvre avec le chant du chœur. L'oratorio composé par Jean Prodromidès se compose d'une alternance de récits parlés et de chœurs chantés à la scansion marquée, archaïsante, qui crée une atmosphère de déploration rituelle et touchante en amplifiant la plainte lyrique du peuple.

Au début de la séquence, le plan rapproché souligne les traits nobles et affligés du coryphée (François Chaumette), qui, le regard levé vers le ciel, s'adresse directement à Zeus, d'une voix profonde et solennelle. En déplorant la défaite des Perses et de l'Asie, il célèbre indirectement la toute-puissance des Grecs, que leurs dieux ont miraculeusement protégés. Le travelling arrière fait apparaître le chœur roidi dans sa douleur, dans un plan de demi-ensemble qui souligne l'unité de ce personnage collectif. En scandant le nom de Xerxès, il souligne la faute du roi perse, dont l'orgueil est puni. Le plan panoramique qui suit révèle le décor grandiose et le Ciel nuageux, figure même de la fatalité. Le lent mouvement circulaire suggère l'enfermement, le désespoir et la déroute de « l'Asie vidée de tout son sang. »

Fidèle à sa fonction pathétique, le chœur dit l'humiliation de la défaite, la mort des fils et le deuil des mères. La gestuelle, très stylisée et digne – les têtes qui se baissent puis se dressent, les mains serrées sur la poitrine – dit avec force la douleur contenue. L'accélération de la musique, les gros plans qui alternent sur les masques du coryphée et du chœur créent un crescendo dramatique, tandis que le plan de demi-ensemble en plongée, qui écrase les acteurs, reflète peut-être le point de vue des dieux sur la petitesse misérable des hommes. Enfin, dans le silence retrouvé du chœur, la malédiction, par le coryphée, de Salamine et d'Athènes, est l'aveu peut-être le plus criant de la toute-puissance des Grecs.

On pourra opposer cette adaptation hiératique à la mise en scène beaucoup plus contemporaine et délurée de Peter Sellars, qui, trente-deux ans plus tard au théâtre de Bobigny, fait entrer en résonance la défaite des Perses avec celle des Irakiens lors de la guerre du Golfe.

(Pour une étude comparative, voir la notice Les Perses d'Eschyle, consacrée à la mise en scène de Peter Sellars en 1993)

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