Enterrement de la IIe République

ArteL’Histoire par l'image

Proposé par Arte - L’Histoire par l'image

Date de diffusion : 2020 | Date d'évènement : 1849

Disponible jusqu'au 31 août 2024

Un enterrement dans un village du Doubs. C'est un sujet banal, loin des sujets nobles des tableaux d’histoire. En 1849, Courbet fait scandale avec cette toile de 7 mètres sur 3 mètres. Il signe là le manifeste du réalisme et nous fait entrer dans la modernité.

La collection « Histoires d'histoire » est proposée par la Rmn-Grand Palais.

Niveaux et disciplines

Pour approfondir

Informations et crédits

Type de ressource :
Forme :
Collection :
Histoires d'histoire
Réalisation :
Renaud David
Date de l'évènement :
1849
Date de diffusion du média :
2020
Production :
@ 2020 -  RMN - Le Grand Palais
Page publiée le :
11 mars 2021
Modifiée le :
28 déc. 2023
Référence :
00000004229

Contexte historique

Par Ivan Jablonka

Singulier destin que celui de cet enterrement de campagne ! Symbole de l’ordure moderne pour les contemporains, chef-d’œuvre révéré aujourd’hui, brûlot socialiste pour les uns, manifeste réaliste pour les autres, allégorie politique pour les historiens, Un enterrement à Ornans a déchaîné les passions et suscité de nombreux commentaires.

Malgré la médaille de deuxième classe qui l’a récompensé au Salon de 1851, sa vulgarité et sa laideur ont fortement déplu aux publics dijonnais et parisien de l’époque. Dupays, un critique, dénonça par exemple un amour du laid endimanché. Gustave Courbet, de son côté, professait que le réalisme est par essence l’art démocratique et que sa peinture visait à introduire la démocratie dans l’art. Qu’en dit-on aujourd’hui ? Mais, avant d’entrer dans le débat, tâchons d’abord de regarder cet Enterrement si controversé.

Analyse des images

De son vrai nom Tableau de figures humaines, historique d’un enterrement à Ornans, la toile de Courbet, de dimensions exceptionnelles, est une galerie de portraits qui compte pas moins de 46 personnages.

La composition monumentale, organisée en frise comme les portraits de confréries hollandaises, est statique et sans perspective.

La palette, dominée par des teintes pâles ou sombres, est en accord avec cette cérémonie funèbre dans laquelle une communauté villageoise est rassemblée autour d’une fosse pour enterrer l’un des siens.

La scène se passe dans le nouveau cimetière d’Ornans, village natal du peintre, qui montre par ce détail tout son intérêt pour l’actualité locale. Dans ce tableau figurent, de gauche à droite, les employés en uniforme chargés du cercueil, le prêtre, ses enfants de chœur, les sacristains dans leur bel habit rouge, des notables d’Ornans, deux vieux de la Révolution de 1793 avec leurs habits du temps, enfin des femmes en pleurs. Tous sont Ornanais. À quelques exceptions près, tous les personnages de l’Enterrement ont été identifiés. On notera par exemple que le grand-père de Courbet, Oudot, un « sans-culottes », a été représenté à l’extrême gauche du tableau ; les propres sœurs de l’artiste ont posé comme modèles des pleureuses ; Hippolyte Proudhon, avocat à Ornans et substitut du juge de paix, figure au milieu de la toile, avec son nez effilé et son habit noir.

La diversité sociale du tableau est remarquable : les petits propriétaires vignerons d’Ornans côtoient les notables, parmi les rentiers, les artisans et les fossoyeurs, sous la direction spirituelle d’un pauvre curé de campagne. Cela dit, on trouve dans Un enterrement à Ornans davantage de propriétaires et professions libérales que n’en comptait le village franc-comtois au milieu du XIXe siècle. Ici, la petite bourgeoisie domine : c’est que Courbet a peint son propre milieu social, et non le menu peuple des ouvriers et des journaliers. Il est en tout cas intéressant de remarquer que Courbet, que ses sympathies portaient plutôt vers le socialisme, fait ici le portrait d’une communauté unanimiste, cimentée par une certaine cohésion et harmonieusement rassemblée autour de ses chefs civils et religieux.

Interprétation

La richesse de ce tableau a donné lieu à de nombreuses interprétations, qui toutes glosent sur la principale inconnue de la scène : qui enterre-t-on ?

Les falaises nues, au loin, et le ciel pluvieux qui assombrit ces visages désertés par l’espérance constituent le décor d’un monde abandonné par Dieu. Le crâne posé près de la fosse, détail macabre, vient rappeler que seule une décomposition rapide attend l’homme après sa mort ; la béance du trou, au milieu de la toile, symbolise l’au-delà dans lequel il va disparaître. Le réalisme forcené de Courbet s’apparente, sur un plan métaphysique, à une négation de toute transcendance et, sur un plan historique, au reflet de la déchristianisation précoce de certaines populations rurales françaises.

On a pu dire, aussi, que l’Enterrement était une « négation de l’idéal » en peinture, une réfutation aussi bien de David et de l’ingrisme que de Delacroix et du romantisme. Il est vrai qu’en élevant des personnages triviaux (un sacristain à trogne d’ivrogne, par exemple) à la dignité d’acteurs de l’histoire représentés grandeur nature et qu’en transformant une scène de la vie quotidienne en fresque imposante qui rappelle L’Enterrement du comte d’Orgaz du Gréco, Courbet crée un genre nouveau opposé à la peinture dite de grand style. La révolution réaliste, selon lui, mettra l’art au service de l’homme.

Enfin, certains historiens, parmi lesquels Jean-Luc Mayaud, ont noté que cette toile comportait beaucoup de républicains, petits propriétaires vignerons, vieux révolutionnaires de l’an II et notables républicains. Or, aux élections de 1849, Ornans en particuler et le Doubs en général ont voté contre la République sociale et les émeutiers de Paris, donnant une grande victoire aux conservateurs du Parti de l’ordre. Ce résultat ne pouvait que chagriner Courbet, de conviction républicaine. Celle qu’on enterre ici, c’est alors la République, c’est Marianne tombée victime des réactionnaires et de Louis-Napoléon ; et toutes les nuances du républicanisme assistent à la cérémonie. Quelques années plus tard, cette allégorie militante de l’enterrement de Marianne [sera] subversive pour le Second Empire (J.-L. MAYAUD, Courbet, L’Enterrement à Ornans : un tombeau pour la République, Boutique de l’histoire, 1999, p. 65).

Mort de Dieu, mort de l’idéalisme, mort de la République : telles sont les interprétations par lesquelles on tente d’expliquer ce chef-d’œuvre, dont la modernité scandaleuse a choqué le XIXe siècle, douze ans avant les audaces du Déjeuner sur l’herbe de Manet.

Bibliographie

  • Jean-Louis FERRIER, Courbet, Un enterrement à Ornans, Paris, Denoël/Gonthier, coll. « Bibliothèque Médiations », 1980.
  • Claudette MAINZER, « Who Is Burried at Ornans ? », in Sarah FAUNCE, Linda NOCHLIN (dir.), Courbet Reconsidered, catalogue de l’exposition à l’Institute of Arts à Mineapolis et au Brooklyn Museum, Brooklyn, Brooklyn Museum, 1988, p. 77-81.
  • Jean-Luc MAYAUD, Les Paysans du Doubs et la Seconde République : genèse d’une paysannerie conservatrice, thèse, Paris, Paris X, 1984.
  • Jean-Luc MAYAUD, Les Paysans du Doubs au temps de Courbet. Étude économique et sociale des paysans du Doubs au milieu du XIXe siècle, Paris, Les Belles Lettres, coll. « Annales littéraires de l’université de Besançon », 1979.
  • Jean-Luc MAYAUD, Courbet, L’Enterrement à Ornans : un tombeau pour la République, Paris, La Boutique de l’histoire, 1999.
  • COLLECTIF, Ornans à l’enterrement. Tableau historique de figures humaines, catalogue de l’exposition à Ornans du 13 juin au 1er novembre 1981, musée départemental, maison natale de Courbet à Ornans, Ornans, 1981.

Personnalités

Thèmes

Sur le même thème