PISTE PÉDAGOGIQUE

« Shoah » – Extrait 4 – Polonais de Chelmno

Par Jean-François ForgesProfesseur d'histoire
Publication : 27 janv. 2022 | Mis à jour : 25 janv. 2024

Niveaux et disciplines

Cette piste pédagogique analyse l'extrait 4 de Shoah (extraits), intitulé « Polonais de Chelmno ». Cinq autres pistes pédagogiques analysent les cinq autres extraits de Shoah.

Ces six pistes pédagogiques font partie d'un livret pédagogique « général » : Shoah de Claude Lanzmann. Le cinéma, la mémoire, l’histoire, rédigé par Jean-François Forges, auquel nous renvoyons ci-dessous.

Dans ses indications, cette piste pédagogique fait référence au livre Shoah de Claude Lanzmann, édité en 1997 chez Folio, préfacé par Simone de Beauvoir (© Librairie Arthème Fayard, 1985).

     

« Shoah » – Extrait 4 – Polonais de Chelmno

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« Shoah » - Extrait 4 - Polonais de Chelmno
1985 - « Shoah » - Extrait 4 - Polonais de Chelmno

Liste des séquences de l'extrait

17 minutes  

Shoah (éd. Gallimard, coll. « Folio », 1997 © Librairie Arthème Fayard, 1985) : pages 38 à 144.

  • Simon Srebnik et un groupe de villageois : devant l’église de Chełmno, 16 minutes 55 secondes.

Description plan par plan

Les indications de pages, correspondantes aux différents plans, renvoient à l'édition de Shoah en « Folio » (op. cit.), le texte de référence se trouvant soit en haut de page (H), soit au milieu de page (M), soit en bas de page (B).

Dans l'indication des mouvements de caméra, le terme de travelling avant ou arrière désigne à la fois les déplacements de la caméra et les zooms optiques (changement de dimension du plan en modifiant la focale de l'objectif sans bouger la caméra).

Il n'a été retenu pour désigner la dimension des plans que les termes, en ordre croissant, de plan d'ensemble, plan moyen, plan rapproché et gros plan.

  • Plan 1, page 138B

    Plan moyen. Tribune de l’église de Chełmno. Un homme chante en s’accompagnant à l’harmonium. La foule des fidèles, à l’arrière plan, en bas, dans l’église.
  • Plan 2, page 138B

    Plan d’ensemble de l’église vue de la tribune. Les fidèles, la plupart sont de femmes, avec des fichus sur la tête.
  • Plan 3, page 138B

    Plan moyen d’un prêtre, dans l’église.
  • Plan 4, page 138B

    Plan moyen de la tribune avec le joueur chanteur comme au plan  1.
  • Plan 5, page 138B

    Plan d’ensemble du paysage de l’église vue de la rive gauche de la Ner. Panoramique à droite. On entend toujours la musique religieuse, assourdie.
  • Plan 6, pages 138B et 139H et 139M

    Plan d’ensemble devant l’église. Groupe d’une dizaine de villageois avec Srebnik. Travelling avant sur Srebnik quand les Polonais parlent de lui.
  • Plan 7, pages 139B, 140, 141H

    Plan rapproché d’un homme puis panoramique à gauche faisant entrer des femmes dans le champ. Srebnik apparaît à l’image. Travelling avant sur Srebnik puis travelling arrière et plan d’ensemble. Lanzmann, hors champ, demande s’ils peuvent décrire en détail. Un personnage en chemise bleue, imperméable, chapeau et fumant une cigarette entre d’autorité dans le champ par la droite et parle. Le plan rassemble alors une vingtaine de personnes. Lanzmann  : Et tous savaient que c’était des camions de morts  ? Travelling avant sur Srebnik isolant un plus petit groupe de six Polonais autour de lui.
  • Plan 8, page 141H

    Plan moyen d’un groupe de quatre hommes et femmes. On voit la foule des villageois, devant l’église, à l’arrière plan. [Les Juifs] gémissaient, ils avaient faim.
  • Plan 8, page 141H

    Plan rapproché de Srebnik fumant une cigarette. Travelling arrière jusqu’à un plan d’ensemble de la foule puis travelling avant sur une femme à manteau rouge, puis à nouveau travelling arrière plaçant quatre femmes et l’homme dans le champ, puis panoramique sur Srebnik. On ne pouvait pas parler à un Juif. Les Juifs appelaient Jésus, Marie et le Bon Dieu.
  • Plan 10, page 141B

    Plan d’ensemble de l’entrée de l’église avec la foule des fidèles. Il y avait un dépôt où il y avait plein de valises.
  • Plan 11, page 142H

    Plan d’ensemble du groupe devant l’église, sortie de la procession. Travelling avant  : prêtres, enfants de chœur, fillettes jetant des fleurs devant le Saint-Sacrement. On entend la sonnerie des cloches.
  • Plan 12, page 142M

    Panoramique vertical, en bas en plan d’ensemble, de la croix du clocher de l’église vers le bas de l’église. Puis panoramique à droite : homme dans une charrette à côté de l’église, autres charrettes, chevaux, étang. Sonnerie des cloches.
  • Plan 13, page 142M

    Plan d’ensemble du village, une place, des charrettes, l’église au fond. Sonnerie des cloches.
  • Plan 14, page 142M

    Plan moyen de la procession, dans la campagne.
  • Plan 15, page 142M

    Panoramique vertical, en plan d’ensemble, du bas de l’église vers le clocher. Travelling avant sur la croix. Résonance de la sonnerie des cloches.
  • Plan 16, page 142M

    Plan d’ensemble des fidèles à genoux devant l’église, tournant le dos à la caméra.
  • Plan 16, page 142M

    Plan d’ensemble des fidèles à genoux devant l’église, tournant le dos à la caméra.
  • Plan 17, page 142M

    Plan d’ensemble du groupe à nouveau devant l’église, avec quelques nouveaux personnages. Lanzmann reparle des valises des Juifs.
  • Plan 18, page 142B

    Même direction de la caméra avec raccord dans l’axe sur Srebnik en plan moyen. Travelling avant isolant Srebnik avec un autre personnage à côté de lui (Kantarowski, le chanteur dans la tribune du plan 1). Poursuite du travelling avant qui isole Srebnik en gros plan.
  • Plan 19, page 143H

    Raccord dans l’axe avec un plan moyen plaçant à nouveau Kantarowski dans le champ à côté de Srebnik.
  • Plan 20, pages 143M et 143B et 144

    Plan d’ensemble du groupe devant l’église. Kantarowski est derrière Srebnik puis passe au premier plan de la foule et intervient dans la conversation, cachant Srebnik à plusieurs reprises. Les Juifs ont condamné à mort Christ   : travelling avant sur Kantarowski. Que son sang retombe sur nos têtes et celles de nos fils   : travelling arrière, élargissement du plan pour retrouver un plan d’ensemble de la foule. Une femme s’avance au centre du plan : [Pilate] a envoyé Barrabas. Kantarowski, au premier plan à droite, fait le geste de se laver les mains. À la fin du plan, travelling avant sur le visage silencieux et grave de Srebnik. Affaiblissement progressif des voix des Polonais.
  • Plan 21, page 144B

    Travelling arrière filmé d’une voiture partant de l’église et tournant sur la route à gauche. La fumée de l’échappement du véhicule apparaît dans le champ. Porte fermée de l’église, portail, la route de Chełmno avec l’église à droite. Le village s’éloigne. Deux piétons marchent, à droite. On est en hiver. La neige est amassée sur les bords de la route. On voit le panneau indicateur « Chełmno », à droite.

Éléments d’analyse de la séquence

Le texte comporte des notes de bas de pages, qui sont accessibles soit au fil du texte, en passant la souris sur le numéro ([1], [2]...), soit à la fin de la piste pédagogique, regroupées dans un chapitre.

 

C’est une des séquences les plus célèbres du film. La complexité de la mise en scène, la maîtrise des événements qui s’y déroulent, la difficulté d’interroger un groupe de personnes, aggravée encore par la nécessité d’une interprète, font de la scène un tour de force. Sans doute Lanzmann exerce-t-il une sorte de maïeutique car il sait bien, comme nous d’ailleurs au cours du film, qu’on gazait les gens à Chełmno. Ce qui est important ici, c’est de montrer comment tout un village reste fortement imprégné de la mémoire du crime que tout le monde, comme à Grabów dans la séquence précédente, a pu voir.

Le groupe varie en nombre selon les séquences. Des personnes vont et viennent, et certaines même s’imposent d’autorité dans le champ de la caméra, par le corps et la parole. Les travellings avant sur Srebnik sont toujours très impressionnants, en particulier le dernier qui exprime avec une force incomparable l’abîme qui sépare les victimes des simples témoins du drame, encore aujourd’hui, alors qu’on est précisément, dans la seule scène de Shoah où l’on voit, dans le même plan, victime et témoins.

Les deux panoramiques sur l’église sont tout autant chargés de sens sur la présence d’une église catholique qui n’a pas su et pas voulu intervenir. L’image de la croix dominant la scène est, de ce point de vue, tout à fait éloquente. Sur la bande-son, les sonneries des cloches accompagnent les images et montrent le bain religieux dans lequel vivait et vit la Pologne. On se souvient, aussi, qu’il arrivait, jadis, que la sonnerie des cloches soit perçue comme un appel au pogrom, en particulier au terme de la Semaine Sainte et de la commémoration de la mort du Christ. La sortie de la procession témoigne d’un catholicisme qui occupe l’espace public et qui a une grande influence sur les mentalités [1] On mesure cependant, au moins en France, l’évolution des connaissances. S’il s’agit de commenter le sens du geste de Kantarowski de se laver les mains, les professeurs constatent souvent que l’histoire et la légende de Ponce Pilate, Barabbas (Barrabas dans le livre Shoah), les Évangiles et la Passion du Christ ne figurent plus nécessairement dans la culture générale. .

La complexité de la scène est encore augmentée par l’ambiguïté des fillettes court-vêtues entourées d’hommes en soutanes, par l’apparition de l’or des objets du culte catholique alors qu’on vient de parler de l’or des Juifs, par les hésitations de la traductrice qui parle de Juifs (Jidi) alors que les Polonais parlent de Youpins (Jidki) ou par ce « on » indéterminé employé par les villageois  pour désigner les Allemands ou les Polonais : On les transportait dans la forêt [2] Claude Lanzmann, Shoah, Gallimard, coll. « Folio », 1997, 284 pages, page 140. et On ne pouvait pas parler à un Juif. [3] Shoah, op. cit., page 141.

Enfin, on notera sans peine dans les réponses à la seule et unique question de Lanzmann, dans tout le film, contenant un « pourquoi » (À [leur] avis, pourquoi toute cette histoire est arrivée aux Juifs ?) [4] Shoah, op. cit., page 143. les traces de l’histoire religieuse et de l’antijudaïsme dans les explications que donnent certains des participants à la scène de l’église pour l’assassinat de personnes qui étaient, tout de même, leurs compatriotes juifs [5] En particulier, Kantarowski met dans la bouche d’un rabbin la vieille accusation chrétienne de la culpabilité des Juifs dans la mort du Christ, justifiant leurs souffrances d’aujourd’hui. Soixante ans après la Shoah, on peut encore entendre des personnes évoquer une responsabilité des victimes de la Shoah. Ces considérations stupéfiantes qui donnent aux SS le rôle d’exécuter une volonté divine ne font que confirmer les prémonitions de Lanzmann sur les recherches du pourquoi de la Shoah. L’inanité des réponses faites au pourquoi montre que la posture de Lanzmann réalisant Shoah est la seule possible : travailler à savoir comment la Shoah a pu être accomplie en refusant la question du pourquoi (ce qui n’empêche pas, bien évidemment, de faire de l’histoire et de rechercher des causes politiques, historiques, intellectuelles, religieuses… de la Shoah. On trouvera le texte fondamental de Lanzmann Hier ist kein Warum dans Au sujet de Shoah le film de Claude Lanzmann, page 279). . On vérifie aussi que les Polonais de Chełmno comme ceux de Grabów ne peuvent pas penser aux Juifs sans les imaginer tous possédant de l’or.

Enfin, la fumée qui s’échappe hors du véhicule du dernier plan est terrifiante. La voiture a tourné à gauche, et nous entraîne sur la route même suivie par les camions, vers la forêt [6] On sait, aujourd’hui, que les camions étaient à l’arrêt lorsque les gazages étaient effectués. L’espace de mise à mort était organisé autour de deux lieux principaux : le château à Chełmno (Kulmhof) et le bois de Rzuchów (le camp de la forêt à 4 kilomètres du village). À partir de mars 1942, les victimes passaient leur dernière nuit enfermées dans un moulin du village de Zawadki-sur-Warta, à 9 kilomètres de Chełmno. Les Juifs étaient, au matin, conduits au château de Kulmhof et assassinés par les gaz d’échappement dirigés dans la caisse d’un camion garé contre le château. Les corps étaient ensuite conduits dans le bois de Rzuchów pour y être brûlés. À partir du mois d’avril 1943, après la destruction du château par les SS, les Juifs étaient enfermés dans l’église de Chełmno. Des camions couverts venaient au matin les chercher pour les conduire dans le bois. Là, ils devaient se déshabiller puis monter dans un camion destiné à les conduire, selon les promesses des SS, vers les douches. Ils étaient alors assassinés par les gaz d’échappement avant que le camion ne transporte les corps vers les lieux de crémation. [La source principale des précisions historiques sur les gazages à Kulmhof et ci-après à Treblinka (notes 88 et 90), est la thèse de Ayşe Sila Çehreli, Chełmno, Bełżec Sobibór, Treblinka. Politique génocidaire nazie et résistance juive dans les centres de mise à mort (novembre 1941-janvier 1945), 2007, université Paris I - Panthéon Sorbonne.]

Proposition de thèmes pour l’étude de la séquence

  • Le dispositif de mise en scène dans le lieu lui-même : l’espace devant l’église, la rue, les prés, les chemins, la campagne dans le voisinage de l’église.
  • Les personnages : l’attitude et les paroles des témoins polonais, l’attitude du clergé polonais, les enfants de chœur, les attitudes et le visage de Simon Srebnik.
  • La conduite de l’interview collective par Lanzmann.
  • La complexité d’une mise en scène comportant une partie dirigée par Lanzmann, mais aussi une partie aléatoire qui peut mettre en péril le dispositif du cinéaste. 
  • Les mouvements de caméra : manière de filmer l’église de Chełmno, le clocher, la croix ; manière de filmer les personnages : cadrage, travelling avant et arrière.
  • Le son dans la séquence : la musique religieuse, la sonnerie des cloches, les voix et le sens des variations de l’intensité du son, toujours dans la diégèse du film (c’est à dire un son dont la source est toujours réelle, visible dans le champ). 

Liens vers les autres pistes pédagogiques

Livret pédagogique général : « Shoah de Claude Lanzmann. Le cinéma, la mémoire, l’histoire », par Jean-François Forges.

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Notes de bas de page

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