ARTICLE

Analyse : Madame Bovary, l'amoureuse scandaleuse

Copyright de l'image décorative: INA - Philippe Bataillon, 1953

Par Cyrielle Le Moigne-Tolbaresponsable éditoriale, Lumni Enseignement.
Publication : 01 févr. 2023 | Mis à jour : 19 déc. 2023

Niveaux et disciplines

Elle se répétait : "J’ai un amant ! Un amant !" se délectant à cette idée comme à celle d’une autre puberté qui lui serait survenue. Le 29 janvier 1857, la prose de Gustave Flaubert résonne dans la sixième chambre du tribunal correctionnel de la Seine. Mais l’homme qui déclame cette phrase n’est pas un lecteur conquis. Au contraire. Le substitut du procureur impérial, Ernest Pinard, tonne contre Flaubert, poursuivi pour outrage à la morale publique et religieuse. Le magistrat s’indigne : La couleur générale de l’œuvre, c’est la couleur lascive. Son opinion ? Madame Bovary glorifie l’adultère.

     

Un chef d’œuvre adapté pour la télévision

Date de la vidéo: 1953

Madame Bovary

 

Pour étudier Madame Bovary avec vos élèves de 4e et de Seconde, nous vous proposons une adaptation de 1953 par Claude Barma. Il s’agit du premier film de long métrage réalisé pour la télévision française. Le réalisateur s’est appuyé sur l'ouvrage de Flaubert et sur une pièce de Gaston Baty, inspirée du roman et parue en 1857. L’actrice Luce Feyrer, fragile beauté blonde, y campe une femme mélancolique, transfigurée par la passion. Pour une lecture plus aisée, la vidéo est entièrement transcrite et chapitrée. Vous pouvez également synchroniser le texte avec le film.

Emma sur le banc des accusés

Dans la France du Second Empire, Madame Bovary diffuse un parfum de scandale. Son héroïne, Emma, fille d’un riche fermier de Normandie, épouse Charles Bovary, un médecin vivant en ville. La jeune femme croit pouvoir accéder, grâce à son époux, à une trépidante vie mondaine : elle veut les fêtes, la passion, l’aventure… Mais son époux, plus tendre que romantique, la déçoit. Délaissant ses romans d’amour, elle tue l’ennui en dépensant son argent. Elle prend un amant, puis un autre…

Ce livre de Gustave Flaubert choque la morale bourgeoise. À l’époque, le divorce est interdit et l’adultère réprimé. Les articles 336 à 339 du Code pénal de 1810 le considèrent comme une atteinte à l’ordre et à l’institution familiale. Les femmes sont plus sévèrement punies que les maris. Ainsi, l’époux infidèle n’encourt-il qu’une amende allant de cent à deux mille francs. Les femmes adultères risquent un emprisonnement de trois mois à deux ans. Scandaleuse ? Pour un tribunal du Second Empire, cette Bovary dont Flaubert détaille les vices l’est forcément.

Une héroïne prisonnière de sa condition

Les trois thèmes principaux du roman sont la condition féminine, la puissance de l’imagination et la recherche du bonheur. Emma, qui s’ennuie mortellement, ne tombe pas amoureuse de Rodolphe, mais plutôt de sa liberté sans limite, lui qui est un homme (seuls les hommes disposent alors de droits civiques) et riche ! Le bonheur ?, lui dit-elle dans l’adaptation filmique, Le trouve-t-on jamais ? Du moins vous l’avez appelé, cherché, poursuivi. Vous n’êtes pas resté à l’espérer vainement en silence. Et le libertin de lui donner sa propre conception du bonheur : Sentir ce qui est grand, adorer ce qui est beau, rejeter les conventions hypocrites de la société, être pleinement soi-même. (…) Rechercher l’absolu dans l’amour. Ce qu' Emma aime, à en mourir, c'est cette promesse de liberté. Mais elle oublie qu’en tant que femme française, au XIXe siècle, elle est un être sans autonomie, une mineure à vie livrée à la domination masculine (celle du père, puis du mari).

Lors du procès, en 1859, l’avocat de Gustave Flaubert réplique avec adresse. Maître Antoine Sénard estime qu’il faut lire le roman comme une œuvre morale : après avoir avalé de l’arsenic, l’héroïne coupable meurt dans d’atroces souffrances. L’argument fait mouche ! Le 7 février 1857, Flaubert est acquitté. Le tribunal a estimé que l’œuvre paraît avoir été longuement et sérieusement travaillée.

Le laboratoire de l’écrivain

Longuement et sérieusement travaillée ? Voilà qui est bien vu ! Pour préparer son roman, Flaubert noircit des carnets entiers, inaugurant un style - le bovarysme - et une école - le roman réaliste (même s’il ne se réclamait justement d’aucune école). Il demande à ses proches de lui donner des informations précises sur la Normandie rurale, cadre de l’intrigue. Il écrit, rature, reformule. Son Emma l’obsède pendant quatre ans et demi ! De une heure de l’après-midi à une heure avancée de la nuit, de septembre 1851 à avril 1856, Flaubert travaille à Madame Bovary.  Il trace de nombreux scénarios, puis, sur 1 788 feuillets, il ébauche Madame Bovary. (…) Ces 1 788 feuillets témoignent d’un travail surhumain, d’une volonté prodigieuse, écrit, en 1910, Louis Conard, éditeur des œuvres complètes de Flaubert, dans L’écriture de Madame Bovary. Dans sa correspondance, Gustave Flaubert exprime sa souffrance : Que ma Bovary m’embête ! Je commence à m’y débrouiller pourtant un peu. Je n’ai jamais de ma vie rien écrit de plus difficile que ce que je fais maintenant, du dialogue trivial ! Cette scène d’auberge va peut-être me demander trois mois, je n’en sais rien, j’ai envie de pleurer par moments, tant je sens mon impuissance. Mais je crèverai plutôt que de l’escamoter…

Cinq pistes pour mobiliser la créativité des élèves

Les cinq pistes pédagogiques que nous vous proposons visent à faire prendre conscience à vos élèves de quatrième et de seconde du travail colossal de préparation que nécessite une telle œuvre. La professeure agrégée de lettres modernes Sarah Cointepas vous invite à faire dialoguer les images du film de Claude Barma de 1953 et les lignes rédigées par Flaubert un siècle plus tôt.

Piste 1 : Comment représenter un personnage de roman réaliste ?

Cette piste pédagogique propose aux élèves d’imaginer leur propre adaptation de Madame Bovary : représenter les personnages sous forme de schéma, choisir les accessoires afin de rendre l’adaptation réaliste, justifier ses choix. Finalement, l’élève comprend peu à peu que toute œuvre ménage un espace de création et de liberté, dans lequel le lecteur doit s’engouffrer. La lecture a ce pouvoir fabuleux de permettre à chacun d’imaginer les personnages, de leur donner vie dans le théâtre de l’esprit avant éventuellement de les voir s'incarner sur le papier ou à l’écran, écrit Sarah Cointepas.

Piste Pédagogique

Connexion requise pour consulter cette ressource

Niveaux: Cycle 4

« Madame Bovary » : comment représenter un personnage de roman réaliste ?

Cette piste pédagogique propose une analyse comparative de Madame Bovary avec, d'un côté, le roman de Flaubert et, de l'autre, son adaptation par Claude Barma pour le petit écran, en 1953. L'étude comparative aborde l’ouverture du roman et les premiers portraits des personnages Charles et Emma.

Piste 2 : Appréhender la géographie flaubertienne

Cette piste pédagogique donnera lieu à l’écriture d’un article d’encyclopédie sur la commune fictive d’Yonville-l’Abbaye. Elle a pour but de permettre aux élèves de quatrième de mieux comprendre la description d’un lieu et de mieux appréhender le travail de l'écrivain.

Piste 3 : Décrire et créer un décor

Cette piste pédagogique implique la construction d’un plan ou d’une maquette à partir de la description de la pharmacie de M. Homais. Elle permettra aux élèves d’accéder à une compréhension fine du texte tout en travaillant les compléments circonstanciels de lieu, de constater matériellement la précision de la description réaliste et de confronter leur interprétation avec celle du réalisateur et du décorateur du téléfilm.

Piste 4 : Quel sera le véritable héros de l'œuvre ?

Piste 5 : Comment adapter la structure narrative d'un roman réaliste à la télévision ?

Cette piste pédagogique, à destination des élèves de Seconde, propose de comparer deux narrations d'un moment clé du roman Madame Bovary afin de répondre à la question suivante : comment adapter la temporalité narrative d’un roman réaliste aux contraintes inhérentes à la réalisation d’une œuvre audiovisuelle ?

Cette piste pédagogique propose aux élèves de s’interroger sur le rythme du récit et manipuler les outils d’analyse en comparant le texte et l’adaptation télévisée. Ils devront argumenter et justifier leur point de vue.

Pour aller plus loin

Prolongez l'étude des œuvres de Gustave Flaubert avec une autre adaptation tirée des fonds de l’INA, Un cœur simple. Ce téléfilm s’accompagne de pistes pédagogiques pour le cycle 4 et le lycée.

Niveaux: Cycle 4 - Lycée général et technologique - Lycée professionnel

Nos ressources pour étudier Gustave Flaubert

Retrouvez également une émission de la série « Grands classiques de la littérature » de France Culture, consacrée au personnage d'Emma Bovary.

Thèmes

Sur le même thème