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La France, un pays francophone parmi d’autres
Niveaux et disciplines
Près de 90 % de la jeunesse francophone sera africaine à l’horizon 2050 : la France n’est plus le centre de la francophonie, mais l’une de ses nombreuses ramifications.
Le monolinguisme (officiel) de la France constitue une exception dans le monde francophone ? Il est le résultat d'une histoire centralisée autour d’une seule langue, avec, notamment, la volonté, depuis l’ordonnance royale de Villers-Cotterêts (1539), d’imposer le français comme langue de l’État, au détriment du latin et des langues régionales.
Date de la vidéo: 1989 Collection: - Journal régional - Picardie
Alain Decaux explique l'objectif de l'édit de Villers-Cotterêts signé par François 1ᵉʳ en 1539
La langue française est africaine ?
Pourtant, surprise : la première ville francophone du monde est… Kinshasa, capitale de la République démocratique du Congo, dont l’agglomération avoisine les 17 millions d’habitants ! Ce qui fait notamment dire à la philosophe franco-algérienne Razika Adnani : La langue française est aujourd’hui une langue africaine : la langue appartient au peuple qui la parle et la fait sienne.
Au-delà de la présence de la langue, un phénomène étrange s’est par ailleurs produit, décrit la linguiste Cécile Canut dans un ouvrage passionnant [1]
Cécile Canut, Provincialiser la langue, Amsterdam, 2021.
: l’empire colonial disparaissant, il s’est peu à peu transformé en un empire "francophone". De langue léguée par les colons aux nouveaux dirigeants africains, le français s’est vu élevé au rang de plus grand dénominateur commun entre les différents pays anciennement colonisés par la France.
Il est devenu, dans beaucoup de pays [2]
Au Bénin, Burkina Faso, République centrafricaine, Comores, Congo, République démocratique du Congo, Côte d’Ivoire, Gabon, Guinée, Mali, Niger, Sénégal et Togo.
, la principale ou unique langue de l’enseignement et les progrès de la scolarisation dans des pays à forte croissance démographique ont favorisé l’accroissement du nombre de personnes alphabétisées en français.
Une francophonie affranchie de l’Hexagone ?
Cela ne doit pas occulter le sujet majeur de la francophonie : comment continuer à exister hors du cadre colonial qui l’a vue naître ? Il faut désormais comprendre la francophonie dans le cadre du plurilinguisme, pas dans une chimère impérialiste
, estime celui qui était alors le PDG de TV5Monde Yves Bigot [3]
Yves Bigot a été directeur général de TV5MONDE de janvier 2013 à juin 2024.
devant les deux auteurs du Bal des illusions. [4]
Richard Werly et François D’Alançon, Le Bal des illusions : Ce que la France croit, ce que le monde voit, Grasset, 2024. Dans cet ouvrage, les deux journalistes analysent le supposé déclin français et cherchent à comprendre quel rôle la France peut encore espérer jouer sur la scène internationale. La francophonie fait l’objet d’un chapitre.
Ce n’est pas gagné : l’écrivain franco-congolais Alain Mabanckou a, en 2018, refusé de participer au projet francophone d’Emmanuel Macron, jugeant que la francophonie actuelle n’est que la continuation de la politique étrangère de la France dans ses anciennes colonies
. Il dénonce en particulier ses accointances avec des régimes dictatoriaux.
Si la francophonie, à travers la langue, porte une culture qui nous est commune, elle doit aussi, à tout prix, protéger les valeurs démocratiques de liberté d’expression, d’accès aux soins, à l’éducation, à l’eau potable, etc. Elle doit enfin s’appuyer sur celles et ceux qui parlent le français. Au début des années 1990, l’écrivain congolais Sony Labou Tansi [5] Auteur de La Vie et demi ou Les Sept Vies de Lorsa Lopes. Il est mort du sida en 1995. écrivait :
Le contenu de la francophonie ? C’est à nous de le définir. Sûr que la France n’a plus rien à dire, qu’elle se taise devant la majorité que nous sommes. Il ne faut pas admettre l’idée d’un patron de la francophonie. Il n’y en a pas. [6] Sony Labou Tansi, « La francophonie nous appartient. Entretien avec H. Koné », Ivoir’Soir, 21 juin 1993, cité par Greta Rodríguez-Antoniotti in « Où va la création artistique en Afrique francophone ? », p. 170, cité par Cécile Canut, Provincialiser la langue, Amsterdam.
Pour aller plus loin
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