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Corneille : le groupe CoBrA et l'art nègre

Institut national de l’audiovisuel

Proposé par Institut national de l’audiovisuel

Date de diffusion : 20 sept. 1976

Le peintre Corneille, membre de l'influent groupe CoBrA, évoque dans une interview son goût pour l'art nègre et plus généralement le goût du groupe CoBrA pour le primitif dans l'art.

Niveaux et disciplines

Informations et crédits

Type de ressource :
Forme :
Collection :
Date de diffusion du média :
20 sept. 1976
Production :
INA
Page publiée le :
26 nov. 2013
Modifiée le :
29 juin 2023
Référence :
00000001535

Contexte historique

Par Alexandre Boza

Le groupe CoBrA est fondé en novembre 1948 au café Notre-Dame quai Saint-Michel à Paris par six artistes de Copenhague, Bruxelles et Amsterdam – d'où son nom – issus de différentes avant-gardes : les Hollandais Karel Appel, Constant Anton Nieuwenhuis dit Constant, et Cornelis van Beverloo dit Corneille ; les Belges Christian Dotremont et Joseph Noiret, le Danois Asger Jorn qui est la figure centrale du groupe.

Leur objectif est de rompre avec les formalismes qui dominent les débats dans les arts plastiques, aussi bien les surréalistes et leur imaginaire, que le constructivisme de Mondrian ou le réalisme socialiste. Ils veulent fournir, de manière nomade et autonome, les arguments pour « riposter » à un art prisonnier des « modèles » dictés par l'idéalisme artistique lui-même prisonnier du formalisme social des projets politiques. Ces artistes ne prétendent pas avoir d'unité théorique mais parlent de « travail » et « d'efficacité » nés de la rencontre de leurs horizons géographiques variés et de leurs savoir-faire divers. Ils invitent dans leur manifeste La cause était entendue d'autres artistes à les rejoindre, ce que feront Jean-Michel Atlan et Pierre Alechinsky, mais ne souhaitent pas faire école. Dans une démarche de réseau d'artistes dont le siège est à Bruxelles, ils développent une importante mais confidentielle activité éditoriale. Les éditions Cobra publient des monographies d'artistes, mais surtout une revue, Cobra, au contenu très varié, et des bulletins de liaison, Petit Cobra et Tout petit Cobra. Ces publications accompagnent le développement en Europe du Nord d'un mouvement d'art expérimental fondé sur les sens.

Influencés par le regard ethnologique néerlandais, par les surréalistes, l'expressionnisme d'Edvard Munch et l'abstraction, les artistes Cobra cherchent les moyens d'un « art sauvage » fondé sur l'expérimentation comme « imagination matérielle ». Ils veulent s'affranchir des codes de représentation, des savoir-faire et des jugements sur le laid et le beau. Ils sont une voie parallèle à Dubuffet dans la naissance de l'art brut et posent la question de la matérialité des œuvres, utilisant au besoin de la mie de pain, du sable ou du cirage dans leurs compositions.

Ces artistes puisent leurs références dans les mythologies, notamment scandinaves, dans les folklores et les arts primitifs. Ils s'appuient également sur la singularité des œuvres des aliénés, des graffitis ou des dessins d'enfants. La matière et le geste y précèdent la forme. Les tracés, souvent appuyés, et les couleurs, très contrastées, sont laissés à l'initiative de l'artiste comme dans le Cri de la liberté ou les Enfants interrogateurs d'Appel (1948), qui « barbouille comme un barbare », ou la Guerre de Constant (1950). Leurs œuvres ne sont pas conçues selon un cadre conceptuel a priori, elle ne se comprennent et ne s'interprètent qu'une fois réalisées. CoBrA est enfin hostile à la spécialisation : les écrivains parmi eux peuvent s'essayer à la peinture, les peintres à la poésie ; la peinture et la sculpture ne sont pas séparés.

Leur œuvre collective la plus spectaculaire et révélatrice date de de l'été 1949 : ils repeignent avec leurs enfants une maison d'architecte. Mais cette démarche n'est pas toujours bien perçue. Leurs discours révolutionnaires récusant la dérive technicienne de la civilisation occidentale les rendent scandaleux. Les Enfants interrogateurs d'Appel donne lieu à la création d'une fresque pour l'hôtel de Ville d'Amsterdam en 1949 qui sera vandalisée puis recouverte à la demande du conseil municipal. Le groupe est officiellement dissout en 1951, mais son projet continue à exercer une influence sur ses membres et plus largement sur l'art contemporain d'après-guerre. Constant et Jorn, croyant à la maxime de « l'imagination au pouvoir », poursuivent leur trajectoire critique en rejoignant l'Internationale situationniste dans les années 1960, prémisse à mai 68.

Éclairage média

Par Alexandre Boza

Né en Belgique, Corneille Guillaume van Beverloo, dit Corneille (1922-2010), a fait des études de dessin à Amsterdam. Il est dès 1948 l'un des membres néerlandais cofondateurs de CoBrA, nom trouvé « non seulement à cause de ces trois capitales groupées, mais aussi probablement l'image du serpent, dangereux, agressif ; ça faisait plaisir de le prendre comme emblème », dit-il dans un sourire. Illustrant ce terme, il rappelle que Cobra c'est la « redécouverte d'un art élémentaire, sauvage, populaire, que les Danois déjà pratiquaient ».

Corneille s'installe à Paris en 1950 mais ne cesse de parcourir le monde depuis la Seconde Guerre mondiale. Il a la « bougeotte » comme il le dit : Hongrie, Afrique, Amérique du Sud, Haïti, Cuba où il trouve de nouvelles sources de création en sortant des frontières. Son atelier reflète ce goût : les murs sont couverts d'images et d'affiches reflétant ses intérêts.

Corneille aime confronter le naturel et l'imaginaire ; il l'exprime dans le primitivisme. Son atelier expose la présence de l'art extra-européen, surtout africain. Il n'est pas sans rappeler les ateliers des peintres surréalistes de l'entre-deux-guerres, notamment celui d'André Breton, lui aussi fasciné par cet art longtemps appelé « art nègre ». Au mur sont accrochés de nombreux masques car selon Asger Jorn « le masque est l'élément de base de tous les arts picturaux et sculpturaux ». L'atelier tient autant du lieu de travail que du cabinet de curiosité, mélangeant les groupes ethniques dans une collection d'une grande richesse.

Corneille aime « être entouré d'objets. On les appelle primitifs mais moi je dirais plutôt des objets primaires [...]. L'art africain se distingue beaucoup des autres arts sauvages justement par cet espèce d'élémentarisme, de primitivisme qu'il contient, c'est-à-dire que c'est vraiment un art premier qui n'est pas encore un art brut, qui n'a pas encore connu véritablement de décadence, et les objets sont beaux, ils sont forts, ils sont laids. Mais en tout cas ils sont vrais. Hélas aujourd'hui, on les trouve même au marché aux Puces, mais ça c'est très dommage évidemment. On les copie. » Corneille déclare sa passion pour l'art nègre mais sépare clairement art primitif et art brut. L'un est le signe de la vigueur et de la pureté, source d'un renouvellement de l'art. L'autre est le signe de la décadence de l'art occidental. Il semble n'avoir au contraire plus grand-chose à dire ou à faire ressentir. Corneille prend ainsi ses distances avec l'art brut.

« Un objet authentique nègre est absolument... contient une telle vérité. C'est un art de présence et il commence effectivement à agir sur le spectateur. Un peintre est peut-être un peu plus qu'un spectateur parce qu'il s'approprie, c'est un grand gourmand. [...] Je crois qu'on n'a jamais mis l'accent sur la sensualité de l'art nègre. Pour moi c'est un art hautement sensuel ». Des œuvres de Corneille apparaissent entre deux objets et frappent par les choix de couleurs : des rouges, des roses, des violets et des verts brutaux car « en art, pas de politesse. L'art, c'est du désir brut ». La relation entre puissance de la figuration et sensualité sont deux traits donnés à l'art nègre depuis les années 1920. Mais en même temps qu'ils dénoncent la faiblesse de l'art européen, ils produisent des stéréotypes inverses sur l'art nègre.

L'intervieweur Michel Lancelot (1938-1984), apparaît dans le plan, sur un pied d'égalité avec l'artiste qu'il tutoie. Lancelot est une figure atypique du journalisme : formé en psychologie puis en histoire-géographie, il s'est fait connaître comme le relais de la parole de mai 68 dans les médias. Corneille s'ouvre à lui et, chose assez rare mais ici naturelle, réalise pour la caméra une œuvre à l'encre. Il peint souvent des oiseaux et des jardins de manière spontanée. Il élabore un répertoire de formes abstraites ou figuratives, de lignes et de signes. « Je peux dessiner ce que j'écris, mais je ne peux pas écrire ce que je dessine ».

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