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Les Misérables, de Victor Hugo [extrait]

Institut national de l’audiovisuel

Proposé par Institut national de l’audiovisuel

Date de diffusion : 21 sept. 1972

Adaptation du roman Les Misérables de Victor Hugo par Marcel Bluwal en 1972. L'extrait proposé est situé au début du roman (I, 2, chapitre 12-13): Cosette vient de rencontrer Marius au Luxembourg, et Jean Valjean pressent l'amour naissant entre les deux jeunes personnes. Il en conçoit une profonde douleur, et se remémore toutes les injustices qu'il a dû endurer. 

Niveaux et disciplines

Informations et crédits

Type de ressource :
Forme :
Date de diffusion du média :
21 sept. 1972
Production :
INA
Page publiée le :
18 févr. 2014
Modifiée le :
29 juin 2023
Référence :
00000001585

Contexte historique

Par Alexandra Von Bomhard

« Je suis fils de ce siècle », disait Victor Hugo. Et de fait, sa longévité, la diversité de son oeuvre (il est à la fois poète, romancier et dramaturge) et de son engagement dans la vie politique, font de lui un auteur majeur du XIXe siècle.

Né en 1802, il affirme très tôt sa vocation et s'adonne à la poésie. Ses Odes, publiées en 1822, sont remarquées par Louis XVIII. Hugo défend l'idée que le poète est investi d'une mission, mais son engagement prend tout d'abord une dimension esthétique. Il revendique, dans la Préface de Cromwell, un nouvel art dramatique, libéré du cloisonnement des genres et des règles classiques. Ces principes se concrétisent dans de nombreux drames, tels que Hernani, Ruy Blas, ou Torquemada (voir Torquemada, de Victor Hugo). Entre 1830 et 1840, il compose quatre recueils lyriques, ainsi qu'un roman historique : Notre-Dame de Paris.

En 1843, Victor Hugo est frappé par la mort brutale de Léopoldine, sa fille préférée. Il ne publie rien pendant 10 ans, mais c'est durant cette décennie qu'il écrit les poèmes les plus sombres des Contemplations et qu'il commence Les Misérables. Son engagement devient politique. Il prend le parti des républicains. Elu député à l'Assemblée Constituante de 1848, il s'impose comme un brillant orateur, prononce de vibrants réquisitoires contre la déportation ou le travail des enfants. Au nom de la liberté, il s'oppose farouchement au coup d'Etat de Louis Napoléon Bonaparte le 2 décembre 1851. Après son pamphlet Napoléon le Petit, Victor Hugo est condamné à l'exil.

Son influence va alors grandissant. Ses Châtiments, publiés clandestinement, font de lui le phare de l'opposition au Second Empire. Il compose ses Contemplations et achève Les Misérables, publié en 1862. La défaite de 1870 lui permet de rentrer dans son pays. Il y continue son action politique : député, puis sénateur, il lutte pour l'amnistie des communards, l'abolition de la peine de mort, le droit des femmes. Quatre-vingt-treize est son dernier roman. Victor Hugo meurt en 1885. Ses funérailles nationales, grandioses, révèlent l'ampleur de sa popularité.

Victor Hugo commence Les Misérables en 1845, sous la Restauration (le roman s'intitule alors Les Misères). Il le délaisse 12 ans pour le reprendre lors de son exil sous Napoléon III. Cette oeuvre reflète donc les évolutions politiques de son auteur (royaliste, bonapartiste, puis républicain). C'est un roman résolument engagé, qui prend le parti des victimes de la société que sont les «misérables». Largement influencé par le roman-feuilleton remis à la mode par Eugène Sue, Les Misérables connaissent un véritable succès populaire. La réception critique, quant à elle, est plus mitigée : alors que l'école dominante de l'Art pour l'Art prône la non-implication de l'auteur, Hugo, lui, ne cesse d'intervenir dans son oeuvre. C'est d'ailleurs ces prises de position qui séduisent Marcel Bluwal. L'auteur assigne en outre une mission morale, sociale et politique à son roman, clairement affirmée dans sa préface : «Tant qu'il existera, par le fait des lois et des moeurs, une damnation sociale créant artificiellement, en pleine civilisation, des enfers, et compliquant d'une fatalité humaine la destinée qui est divine; [...] tant qu'il y aura sur la terre ignorance et misère, des livres de la nature de celui-ci pourront ne pas être inutiles ». Cette oeuvre explore les scandaleuses destinées de ceux qui souffrent, le pouvoir de la Charité, l'espoir d'une rédemption par l'élévation morale.

Jean Valjean est un des personnages majeurs de ce livre. Condamné au bagne pour le vol d'un pain, le forçat doit, à sa libération, présenter un passeport jaune qui le rend immédiatement suspect. Rejeté violemment par tous, il erre, désespéré, prêt à devenir un vrai criminel. C'est alors qu'il est recueilli avec charité par Monseigneur Myriel, l'évêque de Digne. Moment clé dans l'économie du roman, et décisif dans l'évolution du personnage, c'est la première fois que Valjean se voit confronté au Bien.

Éclairage média

Par Alexandra Von Bomhard

Marcel Bluwal fait partie de ces réalisateurs qui se posent en «hussards noirs de la culture mise à la disposition du plus grand nombre, dans la plus grande volonté élitaire» (M. Bluwal, Dossiers de l'audiovisuel n°49, INA, 1993). Véritable instituteur du petit écran, il est l'auteur d'adaptations célèbres (Le Mariage de Figaro, Dom Juan, ou encore La Double Inconstance ) qui visent à mettre la littérature à la portée de tous. A chaque fois, il entend proposer une vision personnelle et critique des classiques, s'opposant à la lecture souvent édulcorée et soporifique que l'école lui avait infligée.

En adaptant les Misérables, le réalisateur entend restituer l'impact que l'oeuvre pouvait avoir auprès du public du XIXe siècle. C'est pour cette raison que le vidéaste choisit de centrer sa dramatique sur les barricades (le film est tourné en 1971, trois ans après 68) : il s'agit de montrer l'échec d'une révolution dépourvue de soutien populaire. Pourtant, Bluwal insiste sur la fidélité de sa lecture : selon lui, une adaptation fidèle ne saurait se résoudre à un survol linéaire de l'intrigue. Suivre pas à pas le roman hugolien relèverait au contraire de la plus grande trahison, car une telle démarche ne rendrait pas compte du sens profond de l'oeuvre : la défense des «misérables».

Ainsi, l'extrait proposé, situé au début du roman (I, 2, chapitre 12-13), ne prend sa place qu'assez tardivement dans le film. Cosette vient de rencontrer Marius au Luxembourg, et Jean Valjean pressent l'amour naissant entre les deux jeunes personnes. Il en conçoit une profonde douleur, désespéré de voir son bonheur de vivre avec sa protégée lui échapper. Il se remémore alors toutes les injustices qu'il a dû endurer. Par un fondu enchaîné, le réalisateur nous plonge dans les pensées du personnage. Le flash back permet au téléspectateur de prendre connaissance du passé de Jean Valjean. Après vingt ans de bagne, le forçat tente de retrouver une place dans la société, mais sa condition éveille la méfiance de ceux qu'il rencontre. Pour Bluwal, il est primordial de placer les personnages en action : en montrant Jean Valjean poursuivi par une bande de villageois, il donne à voir, de manière très explicite, l'hostilité des hommes à l'égard du galérien. Le passage de l'extérieur (la rue) à l'intérieur et du bruit au silence suggèrent d'emblée que la maison de Monseigneur Myriel est un havre de paix.

Le face à face avec l'évêque de Digne est en effet la première rencontre de Jean Valjean avec le Bien. La caméra focalise sur le visage du misérable. Le jeu bourru et agressif de Georges Géret contraste avec la voix douce et apaisée de François Vibert, dans un champ/contre-champ qui magnifie la rencontre entre les deux hommes. Alors que Monseigneur Myriel offre au bagnard son hospitalité (les draps blancs, les chandeliers d'argent, le souper), l'incompréhension du bagnard devant tant de bonté est soulignée par le gros plan sur son visage. A plusieurs reprises, la caméra se fait subjective et trahit les pensées secrètes de Jean Valjean. Ainsi, le travelling avant, centré sur les chandeliers apportés par Madame Magloire sur la table du souper, dit la convoitise du pauvre homme. Au moment du vol, un autre mouvement de caméra fait comprendre au spectateur que Valjean renonce aux chandeliers, pour «se contenter» des couverts en argent. En ne montrant pas l'arrestation du bagnard par les forces de l'ordre, le scénario gagne en efficacité : il précipite l'action, qu'il recentre une nouvelle fois sur le face à face Myriel/Valjean. Cette fois-ci, la bonté de l'évêque confine à la sainteté, ce qui génère à nouveau l'incompréhension du forçat. Son mouvement de recul révèle la peur du personnage devant ce sentiment inconnu, il esquisse aussi le mouvement de rédemption de Jean Valjean, qui, après cet épisode, en vient à quitter la voie du Mal dans laquelle il s'était engagé.

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