L'anticléricalisme à l'origine de la loi de 1905

ArteL’Histoire par l'image

Proposé par Arte - L’Histoire par l'image

Date d'évènement : 1905

Disponible jusqu'au 31 août 2024

L’affiche « Voilà l’ennemi ! » du journal républicain et anticlérical La Lanterne témoigne du débat violent qui se joue dans les années 1900 autour de la loi de la séparation de l’Église et de l’État. Votée en 1905, portée par Aristide Briand, la loi de 1905 régit encore de nos jours la laïcité française.

Niveaux et disciplines

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Informations et crédits

Type de ressource :
Forme :
Collection :
Histoires d'histoire
Réalisation :
Renaud David
Date de l'évènement :
1905
Production :
@ 2023 -  Rmn - Grand Palais  |  ARTE Studio
Page publiée le :
05 juin 2023
Modifiée le :
28 déc. 2023
Référence :
00000005467

Contexte historique

Par Vincent Doumerc

La France à la veille de la loi de séparation de 1905

La France de la première décennie du XXe siècle est en proie à de nombreuses divisions : l’Affaire Dreyfus a durablement marqué les esprits, et malgré la grâce présidentielle dont a joui le militaire en 1901, les demandes de réhabilitation sont déjà lancées par l’ancien condamné à perpétuité (elles aboutiront en 1906). Cette affaire a eu pour conséquence de constituer en France deux blocs antagonistes, qui sont, peu ou prou, les mêmes à s’opposer sur la question religieuse. La place de l’Église catholique dans les affaires politiques (définie depuis le Concordat napoléonien de 1801) provoque en effet une violente querelle entre le parti clérical et les groupes politiques majoritaires à la Chambre des députés, en particulier le parti radical. Il est d’ailleurs intéressant de noter que l’année 1902 voit la victoire aux élections du Bloc des Gauches et la nomination au poste de Président du Conseil d’Émile Combes, grande figure du radicalisme et anticlérical convaincu. Il présente un projet de séparation des Églises et de l’État mais celui-ci n'aboutit pas. En effet, le scandale des fiches fin 1904 (les promotions dans l'armée étaient influencées par des notes fournies par les loges maçonniques au ministre de la Guerre) met fin au ministère Combes. C'est le projet présenté par le député socialiste Aristide Briand qui sera adopté par le Parlement en 1905. La fracture religieuse en 1902 est donc une réalité dans la France de la Belle Époque et chaque camp n’hésite pas à employer des attaques frontales, violentes contre la partie adverse, à l’image de la couverture de la revue La Lanterne.

Analyse des images

Dénoncer l’influence de l’Eglise catholique

Cette affiche de 1902 est une couverture de la revue La Lanterne, journal violemment anticlérical et républicain, dirigé par Victor Flachon. Pour l’auteur de cette affiche, le danger est clairement mis en évidence. L’homme d’Église singé sous les traits d’une chauve-souris couvre de son ombre menaçante la ville de Paris et empêche la « ville lumière » de recevoir la clarté de l’astre solaire. La formule Voilà l’ennemi ! fait directement référence au discours de Léon Gambetta à la Chambre des députés lorsque, reprenant les paroles de son ami Peyrat en 1863, il s’exclama à la tribune le 4 mai 1877 : « Le cléricalisme, voilà l’ennemi ! »

Cette affiche insiste véritablement sur un quartier de Paris : la butte Montmartre. Le moulin évidemment, mais surtout la basilique du Sacré-Cœur qui est enserrée par les mains crochues du clerc. Ce lieu de culte est un symbole pour les anticléricaux des années 1900 puisque ce bâtiment a été construit pour expier les crimes des communards après les événements de 1871 et la répression par les troupes versaillaises de l’insurrection populaire (forte représentation des ouvriers parmi les communards), patriotique (refus de la défaite face à la Prusse) et républicaine de la Commune. Cet édifice, dont la réalisation a été votée en 1873 par l’Assemblée nationale à forte majorité monarchiste, prouvait le poids de l’Église catholique dans la vie politique de l’époque, puisqu’une révolution avait dû être effacée par la construction d’un bâtiment religieux.

La Lanterne se propose donc de démasquer les ennemis de la République et de les révéler à la population française. L’affiche, par la trace laissée dans le ciel parisien et par la prééminence des couleurs sombres, met en évidence la puissance et l’omniprésence de l’Église et par conséquent le besoin de lutter contre elle avec force. Cette trace lugubre dans le ciel parisien (évocation de la trace d’un serpent ?) s’analyse également de manière historique : elle se perd dans le ciel et peut symboliser le côté ancestral de cette influence de l’Église catholique sur la société française.

Interprétation

Une mise en cause personnelle ?

Dès sa sortie, cette affiche provoque de graves réactions. Des groupes de droite et de droite extrême, relayés par des journaux comme La Libre Parole, voient dans cet homme d’Église une mise en cause directe de l’Archevêque de Paris François Marie Benjamin Richard. Il est évident que Monseigneur Richard, proche politiquement des catholiques monarchistes, pouvait être pour les anticléricaux une cible privilégiée. C’est lui qui avait œuvré fortement depuis sa nomination à l’archevêché de Paris (en juillet 1886) à la réalisation de la basilique du Sacré-Cœur. La posture du prélat sur l’affiche peut d’ailleurs évoquer la protection du bâtiment, voire sa création. Un autre élément peut venir corroborer cette interprétation : la basilique étant considérée comme une repentance pour les fautes des communards, l’Archevêque Richard pensait certainement à honorer la mémoire de son prédécesseur, Monseigneur Darboy, pris en otage et exécuté par les troupes de la Commune lors de « la semaine sanglante ».

Nulle preuve de cette mise en cause personnelle n’existe. Par contre, il est clair que La Lanterne veut avec cette affiche jouer un rôle en rapport direct avec les combats passés de l’anticléricalisme, en particulier le mouvement des Lumières : La Lanterne (à la fois le dessin de la lampe et le nom en rouge) sont les seuls éléments de cette affiche qui sont représentés en couleurs vives. L’image ne laisse pas planer le doute, cette revue est destinée à sortir la société française de l’obscurantisme dans lequel l’Église a plongé la France. Le prélat cache la clarté du soleil, mais non pas celle de La Lanterne (coin en haut à gauche).

Enfin, dans la grande tradition anticléricale du début du XXe siècle, on ne relève pas, dans cette affiche, de signes blasphématoires mettant directement en cause la foi des croyants. L’anticléricalisme lutte contre l’influence de l’Église et, pour rallier le plus de personnes à sa cause, évite de choquer les fidèles, sur des éléments de foi (représentation de Jésus, représentation de la croix, des apôtres…).

Bibliographie

  • Jacqueline LALOUETTE, La République anticléricale, XIXe-XXe siècles, Paris, Seuil, « L’Univers historique », 2002.
  • Jean-Marie MAYEUR, La vie politique sous la IIIe République, Paris, Le Seuil, 1984.
  • Madeleine REBÉRIOUX, La République radicale (1898-1914), Le Seuil, coll. « Points Histoire », 1975.
  • René RÉMOND, L'Anticléricalisme en France de 1815 à nos jours, Paris, Fayard, 1976.
  • Michel WINOCK, La Belle Epoque, un âge d’or, Paris, Perrin, 2002.

Légende de l'image représentative

La Lanterne - Journal républicain anti-clérical - Voilà l'ennemi !, 1902, Eugène Ogé, Domaine Public © CC0, Collections La contemporaine, Nanterre.

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