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De 1789 à 2004 : les six textes qui ont fondé la laïcité

Copyright de l'image décorative: Journal "Le Rire", 1905. Domaine public

Par Nicolas Françoisjournaliste spécialisé en histoire
Publication : 14 nov. 2023 | Mis à jour : 19 déc. 2023

Niveaux et disciplines

Au travers de six textes fondateurs, voici comment, au terme d’un long processus entamé sous la Révolution française, la République a inventé la laïcité.

Les dates-clés de la laïcité sont indiquées dans la frise chronologique ci-dessous, téléchargeable en PDF.

Les dates-clés de la laïcité en France

Frise chronologique de 1789 à 2013

Les dates-clés de la laïcité en France

  • 1789 - Déclaration des droits de l’homme et du citoyen
    • L’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen précise : « Nul n’a le droit d’être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public. »
  • 1881 - L’école devient laïque
    • Jules Ferry, président du Conseil, vote une série de lois qui rend l’école gratuite, laïque et obligatoire.
  • 1905 - La loi de séparation entre l’Église et l’État
    • La République « assure la liberté de conscience » et « ne reconnaît, ne salarie et ne subventionne aucun culte ».
  • 1946 - Constitution de la IVe République
    • La laïcité est inscrite dans le préambule et l’article 1 de la Constitution de la IVe République.
  • 1958 - Constitution de la Ve République
    • La Ve République réaffirme le caractère constitutionnel de la laïcité. « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. »
  • 1989 - L’affaire du foulard islamique
    • Le refus de trois jeunes filles d’un collège de Creil (Oise) d’enlever leur voile en classe suscite de vives polémiques.
  • 2004 - Loi sur le respect de la laïcité 
    • Il est désormais interdit de porter des signes religieux ostentatoires à l’école.
  • 2005 - Circulaire relative à la laïcité dans les établissements de santé
    • Le personnel soignant doit soigner les patients de façon égale et respecter leur liberté de conscience. 
  • 2007 - Publication de la Charte de laïcité dans les services publics
  • 2010 - Loi interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public 
  • 2013 - Publication de la Charte de la laïcité dans les écoles
Frise chronologique à télécharger.

Un souverain de droit divin

Depuis le baptême de Clovis vers 500 et la fin de la monarchie absolue en 1792, le pouvoir spirituel est lié à celui du roi. De « droit divin », le souverain reçoit directement son autorité de Dieu. Dans ce contexte, le terme « laïcité » n’a pas du tout le même sens qu’aujourd’hui. « Laïcité » vient du latin laïcius et désigne tout simplement un individu qui n’est pas un homme d’église.

Date de la vidéo: 2015 Collection:  - Journal de 13 heures

L’histoire de la laïcité en France

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Sous l’Ancien Régime (entre le XVe et le XVIIIe siècle), le catholicisme est le seul culte autorisé dans le royaume de France. Mais au XVIe siècle, le pays est secoué par des guerres de religion (huit conflits entre catholiques et protestants de 1562 à 1598). Apogée de ce conflit : le massacre de la Saint-Barthélemy, pendant la nuit du 24 août 1572, se traduit par la mort de milliers de protestants à Paris.

Date de la vidéo: 2020 Collection:  - Histoires d'histoire

Le massacre de la Saint-Barthélemy

     

Tuer au nom de Dieu

Consultez cet album de la BnF qui montre comment, depuis des millénaires, la religion est au cœur de nombreux conflits.

Dossier Tuer au nom de Dieu - Bnf Les Essentiels

Lien vers l'album de la BnF intitulé "Tuer au nom de Dieu", qui montre comment, depuis des millénaires, la religion est au cœur de nombreux conflits.

1598 : l’édit de Nantes instaure l’idée de tolérance

En 1598, l’édit de Nantes, décidé par Henri IV – un protestant converti au catholicisme – accorde une tolérance aux protestants : « Avons permis et permettons à ceux de ladite religion prétendue réformée de vivre et demeurer par toutes les villes et lieux de notre royaume et pays de notre obéissance sans être enquis [poursuivis], vexés, molestés, ni astreints à faire chose pour le fait de la religion contre leur conscience. » Elle reste toutefois limitée : les protestants sont par exemple tenus de respecter les fêtes catholiques et de ne pas travailler ces jours-là, le culte reste interdit dans plusieurs villes du royaume. C’est un premier pas vers une coexistence pacifique sans changer le caractère profondément catholique du pouvoir politique.

Cet article du site BnF - Les Essentiels rappelle comment Henri IV met fin aux guerres de religion en signant l’édit de Nantes le 13 avril 1598. 

Dossier Edit de Nantes - Bnf Les Essentiels

Lien vers le dossier de la BnF sur l'édit de Nantes. Illustration avec une gravure montrant l'abjuration d'Henri IV le 13 avril 1598.

En 1685, le roi Louis XIV abroge le texte : le culte protestant est de nouveau interdit. Le roi souhaite ainsi consolider son pouvoir, absolu et de droit divin, et obtenir les faveurs du pape Innocent XI.

1789 : la liberté de conscience

L’idée que chacun puisse « aller au ciel par le chemin qui plaît » comme l’écrivait Voltaire, se diffuse au cours du XVIIIe siècle.

Traité sur la tolérance, de Voltaire

Ce dossier publié sur le site Les Essentiels - BnF revient sur l'affaire Calas, qui suscita de la part du philosophe Voltaire une réflexion sur la tolérance religieuse. Injustement accusé du meurtre de son fils, Jean Calas, protestant de Toulouse, est roué vif le 20 mars 1762. Voltaire prend rapidement conscience du crime perpétué et de l'injustice. Il y voit le souvenir de la Saint-Barthélemy. Il accumule les pièces sur la mort des Calas, refait l’enquête et publie en 1762 un Mémoire de Donat Calas et l’Innocence et Supplice de Jean Calas. Peu après paraît, de manière anonyme, le Traité sur la Tolérance (Genève, 1763) dans lequel Voltaire attaque toutes les formes de fanatisme. Ce livre connaît dans toute l’Europe un grand retentissement.

Dossier Jean Calas - Bnf Les Essentiels

Lien vers le dossier publié sur le site Les Essentiels - BnF revient sur l'affaire Calas, qui suscita de la part du philosophe Voltaire une réflexion sur la tolérance religieuse.

Lien vers un article de la BnF - Les Essentiels comportant un extrait du Dictionnaire philosophique, de Voltaire (article « Tolérance »).

Date de la vidéo: 2020 Collection:  - Histoires d'histoire

L’affaire Calas

Date de la vidéo: 1978 Collection:  - Le Supplicié de Toulouse

Voltaire : l'affaire Calas

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En 1787, Louis XVI signe l’édit de tolérance : les protestants peuvent enregistrer mariages, naissances et décès auprès d’une institution civile. En revanche, les charges officielles et l’enseignement leur restent interdits. Il faut attendre la Révolution pour qu’ils obtiennent l’égalité devant la loi.

En 1789, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen insiste sur la tolérance religieuse. Le terme « laïcité » n’est pas encore mentionné.

1789 : la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen

Article 10 : Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la loi.

Décryptage : Il s’agit d’une première affirmation nette de l’égalité de tous, quelle que soit sa religion. Mais rien d’anti-chrétien dans ce texte qui s’appuie notamment sur les travaux de Jérôme Champion de Cicé, député du clergé et archevêque de Bordeaux. Il s’agit d’abord d’affirmer la liberté religieuse de l’individu. C’est une valeur essentielle dans la redéfinition du rapport entre l’Église et l’État qui s’amorce et qui continuera tout au long du XIXe siècle. 

Au XIXe siècle : des curés salariés de l’État

Le 12 juillet 1790, à Paris, l'Assemblée constituante adopte la Constitution civile du clergé. Les clercs deviennent salariés de l’État et sont invités à prêter serment à la Nation. Ceux qui refusent sont privés de lieu de culte. Après la chute de la monarchie le 10 août 1792, la Convention nationale (l’assemblée qui proclamera la Ire République) inaugure une politique de déchristianisation de la société avec notamment l’instauration du mariage civil et l’autorisation du divorce (30 août 1792), mais aussi des décisions plus radicales : fermeture des lieux de culte (23 septembre 1792), calendrier de fêtes républicaines remplaçant les fêtes religieuses (7 mai 1794), etc. Le 21 février 1795, elle décrète la séparation des Églises et de l’État, qui assure la liberté religieuse, mais abandonne l’idée de salarier les cultes. Dans un régime instable, ces lois ravivent les tensions religieuses et contribuent à nourrir un sentiment contre-révolutionnaire, notamment dans l’ouest du pays. Elles ne peuvent être appliquées.

C’est Napoléon Bonaparte qui apportera une solution pérenne. Premier Consul depuis le coup d’état du 18 Brumaire (9 novembre 1799), il négocie avec le pape Pie VII pour établir le Concordat qui redéfinit les rapports entre l’Église et l’État. À partir de 15 juillet 1801, les clercs sont payés par l’État qui reconnaît quatre cultes : protestant réformé, luthérien, israélite et catholique. Ce n’est pas un retour à la situation d’avant 1789 : désormais, le catholicisme n’est plus la religion d’État, mais celle de « la majorité des Français ». (Un encadré sur le Concordat est consultable en fin de page, dans la rubrique Pour aller plus loin.)

La sécularisation progressive de l’éducation : de la loi Falloux aux lois Ferry

À partir de 1814, le pouvoir royal est restauré. Louis XVIII (1814-1824), Charles X (1824-1830), puis Louis-Philippe (1830-1848) ne modifient guère les dispositions du Concordat.

La question religieuse se déplace sur le terrain de l’école. En 1850, sous la IIe République, l’école est gérée à la fois par l’État… et par l’Église ! Le ministre de l’instruction publique Alfred de Falloux autorise les congrégations religieuses à ouvrir des établissements secondaires, en plus des établissements primaires qu’elles géraient jusque-là. Plus encore : plusieurs représentants religieux siègent au Conseil supérieur de l'instruction publique, qui contrôle les établissements publics. En revanche, ceux de la IIIe République, instaurée en 1870, s’inquiètent de l’influence du pape Pie IX. En 1864, ce dernier publie le Syllabus, texte qui dénonce « les principales erreurs » de « la civilisation moderne ». Selon le souverain pontife, cette « civilisation moderne » met en cause le pouvoir de l’Église en affirmant notamment que « l’Église doit être séparée de l’État et l’État, séparé de l’Église (article 55) ». 

En réaction, le député Léon Gambetta annonce la couleur en 1877 : « Le cléricalisme ? Voilà l'ennemi ! ». Avec une série de lois votées en 1881 et 1882, le ministre de l’Instruction publique Jules Ferry rend l’école primaire obligatoire, gratuite et laïque. Désormais, l’enseignement religieux est exclu de l’école publique, remplacé par « l’instruction morale et civique ».

27 novembre 1883 : la lettre aux instituteurs de Jules Ferry

L’instruction religieuse appartient aux familles et à l’Église ; l’instruction morale, à l’école. Le législateur n’a donc pas entendu faire une œuvre purement négative. Sans doute il a eu pour premier objet de séparer l’école de l’Église, d’assurer la liberté de conscience et des maîtres et des élèves, de distinguer enfin deux domaines trop longtemps confondus : celui des croyances, qui sont personnelles, libres et variables, et celui des connaissances, qui sont communes et indispensables à tous, de l’aveu de tous.(...) En vous dispensant de l’enseignement religieux, on n’a pas songé à vous décharger de l’enseignement moral ; c’eût été vous enlever ce qui fait la dignité de votre profession. Au contraire, il a paru tout naturel que l’instituteur, en même temps qu’il apprend aux enfants à lire et à écrire, leur enseigne aussi ces règles élémentaires de la vie morale qui ne sont pas moins universellement acceptées que celles du langage ou du calcul. (…) Au moment de proposer aux élèves un précepte, une maxime quelconque, demandez-vous s’il se trouve à votre connaissance un seul honnête homme qui puisse être froissé de ce que vous allez dire. Demandez-vous si un père de famille, je dis un seul, présent à votre classe et vous écoutant, pourrait de bonne foi refuser son assentiment à ce qu’il vous entendrait dire. Si oui, abstenez-vous de le dire ; sinon, parlez hardiment : car ce que vous allez communiquer à l’enfant, ce n’est pas votre propre sagesse ; c’est la sagesse du genre humain, c’est une de ces idées d’ordre universel que plusieurs siècles de civilisation ont fait entrer dans le patrimoine de l’humanité.

Décryptage : Le ministre Ferry définit ainsi le principe d’un enseignement moral empreint de neutralité. Une « neutralité sereine » selon le professeur de philosophie Guy Haarscher, auteur de La Laïcité (Presses universitaires de France, 1996) : l’enseignement se veut laïque sans pour autant nier l’existence de Dieu. Les instructions officielles évoquent d’ailleurs les « devoirs envers Dieu » dans les cours de morale aux élèves : « L'instituteur (...) leur apprend à ne pas prononcer légèrement le nom de Dieu (…) et il habitue chacun d'eux à environner du même respect cette notion de Dieu alors même qu'elle se présenterait à lui sous des formes différentes de celles de sa propre religion. »  C’est ici la liberté de pensée sans contrainte et de manière autonome qui est promue. Quant au catéchisme, un jour est spécialement consacré pour son enseignement – le jeudi –, mais il doit avoir lieu en dehors de l’école. 

La laïcité, principe constitutionnel républicain
2003 - La laïcité, principe constitutionnel républicain [EXTRAIT]
1981 : Centenaire des lois Jules Ferry sur l'école laïque
1981 - 1981 : Centenaire des lois Jules Ferry sur l'école laïque

Vers la séparation

Durant la décennie 1880, la IIIe République continue la laïcisation de l’espace et du temps publics : suppression du repos dominical obligatoire (1880), retrait des emblèmes religieux des tribunaux (1881), rétablissement du divorce (1884) qui avait été interdit en 1816, suppression des prières à la Chambre des députés (1884), etc. Ces dispositions finissent par être acceptées par les clercs, notamment grâce au pape Léon XIII qui, en 1892, appelle les catholiques à accepter les lois de la République française. Mais en 1898, l’Affaire Dreyfus – l’accusation d’un officier français juif de haute trahison sur fond d’antisémitisme – relance les passions entre la France républicaine et les milieux catholiques. Ces derniers se rangent majoritairement dans le camp des antidreyfusards, par antisémitisme, par conservatisme ou par attachement à l’armée. 

La querelle religieuse est rouverte. On fustige d’un côté l’influence « des Juifs et des francs-maçons » ; de l’autre, le complot de « l’hydre jésuite ». Les républicains veulent faire porter la responsabilité de l’agitation aux ordres religieux. En 1904, la loi Combes interdit toute activité d’enseignement aux congrégations religieuses. Puis, la même année, la visite du président de la République Émile Loubet à Rome, territoire alors revendiqué par le Vatican depuis son annexion par le jeune royaume d’Italie, est perçue comme une provocation par le pape Pie X, qui proteste. En mai 1904, la France rappelle son ambassadeur près le Saint-Siège. C’est la fin des relations diplomatiques entre la France et le Vatican. Dans ce contexte d’un pouvoir anticlérical, le débat s’ouvre sur la séparation des Églises et de l’État.

Date de la vidéo: 1978 Collection:  - Émile Zola ou la Conscience humaine

« J'accuse... ! » d'Émile Zola

Date de la vidéo: 2023 Collection:  - Histoires d'histoire

J'accuse... ! d'Émile Zola

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1905 : La France devient une république laïque

À partir du 21 mars 1905, un projet de loi de séparation des Églises et de l’État est porté à la Chambre par le député socialiste Aristide Briand. Pour les plus à droite, cette loi s’apparente à une persécution de l’Église. Pour les plus à gauche, la séparation doit avoir pour but d’affaiblir l’Église, notamment en lui retirant la jouissance de tous les lieux de culte, en supprimant les jours fériés religieux ou encore en interdisant la soutane dans les lieux public. Au centre, Briand veut concilier l’impératif de liberté religieuse et la neutralité de l’État. Il convainc les plus intransigeants à se modérer : « Vous voulez une loi qui soit braquée sur l’Église comme un revolver ? Ah vous serez bien avancés. Et si l’Église ne l’accepte pas, votre loi ? »

Il s’agit de séculariser la société, non de la déchristianiser. C’est cette ligne qui l’emporte. L’État cesse de subventionner l’Église qui pourra cependant continuer à utiliser les lieux de cultes existants. La loi est promulguée le 9 décembre 1905.

9 décembre 1905 : loi concernant la séparation des Églises et de l'Etat

Article 1 : La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l'intérêt de l'ordre public.

Article 2 : La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. En conséquence, à partir du 1er janvier qui suivra la promulgation de la présente loi, seront supprimées des budgets de l'Etat, des départements et des communes, toutes dépenses relatives à l'exercice des cultes. 

Pourront toutefois être inscrites auxdits budgets les dépenses relatives à des services d'aumônerie et destinées à assurer le libre exercice des cultes dans les établissements publics tels que lycées, collèges, écoles, hospices, asiles et prisons.

Article 35-1 : Il est interdit de tenir des réunions politiques dans les locaux servant habituellement à l'exercice d'un culte ou dans leurs dépendances qui en constituent un accessoire indissociable. Il est également interdit d'y afficher, d'y distribuer ou d'y diffuser de la propagande électorale, que ce soit celle d'un candidat ou d'un élu.

Décryptage : Désormais, la République assure le libre exercice des cultes et « la liberté de conscience », mais « ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte » (neutralité religieuse de l'État). Cette loi libérale et équilibrée est saluée par l’écrivain catholique Charles Péguy, pourtant très opposé aux politiques « laicïstes » d’Émile Combes. Dans Notre Patrie, il décrit la loi comme « opérée dans un esprit républicain » et la qualifie de « programme sérieux de liberté mutuelle organisée ». En l’occurrence, il s’agit de la liberté de chacun à croire ou ne pas croire.

La loi de séparation en 3 images

Le site Histoire par l'image propose l'analyse de trois images illustrant l'adoption de la loi de 1905 et son application : le texte de la loi, une photographie qui montre la défense de la petite église de Cominac (Ariège) par des fidèles hostiles à l'inventaire, et le télégramme du sous-préfet d'Hazebrouck qui relate la mort, le 6 mars 1906, de Ghysel Gery, opposant de 29 ans, lors de l’inventaire de l’église de Boeschépe (Nord).

Lien vers l'analyse de 3 images liées à la loi de Séparation sur le site Histoire par l'image.

Date de la vidéo: 2015 Collection:  - Journal de 13 heures

L’histoire de la laïcité en France

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La querelle des inventaires

Avec cette loi de séparation des Églises et de l’État, les édifices religieux sont laissés à la disposition des associations cultuelles. Pour cela, il faut faire l’inventaire des biens des 35 000 églises du pays. Seulement, le pape Pie X ayant condamné cette loi, certains activistes catholiques refusent d’ouvrir les tabernacles aux fonctionnaires chargés de réaliser l’inventaire. À Cominac (Ariège), la porte de l’église du village est même gardée par deux ours ! À Boeschèpe, dans les Flandres, un homme est tué par balle dans une église le 6 mars 1906. Pour éviter davantage de débordements, les inventaires sont suspendus. Le nouveau ministre des Cultes, Georges Clemenceau, estime que « la question de savoir si l'on comptera ou ne comptera pas des chandeliers dans une église ne vaut pas une vie humaine ». 

De nombreux catholiques condamnent cette désobéissance civile, le curé parisien de l’église Sainte-Clotilde qualifie les agitateurs de « pieux apaches ». Nombre de catholiques se sont en effet résignés au principe d’une séparation. On note des incidents dans moins de 5 000 paroisses sur 63 000. Et aux élections législatives de 1906, c’est bien la gauche sortante qui gagne les élections.

Les radicaux des deux camps ne désarment pas et une véritable guerre scolaire éclate en 1906. Des catholiques opposés à la séparation, réunis en associations de pères de famille, dénoncent les manuels d'école primaire qu'ils jugent hostiles à leur religion. Un instituteur de la Côte-d'Or, Morizot, est poursuivi pour avoir tenu en classe des propos antireligieux : Le bon Dieu, c'est un porte-monnaie bien garni, Ceux qui croient en Dieu sont des imbéciles. En cassation, Morizot est condamné notamment pour avoir tenu dans sa classe des propos violant gravement la neutralité scolaire en matière religieuse. À la suite de cette condamnation, l'épiscopat multiplie les mises en garde contre les écoles publiques. Ainsi, le 14 septembre 1909, La Lettre pastorale des cardinaux, archevêques et évêques de France sur les droits et les devoirs des parents relativement à l’école condamne aussi bien le contenu des manuels, l'absence d'instruction religieuse et la mixité : Outre le péril de la foi, il y a le péril de la vertu : vous devez vous en préoccuper aussi, surtout s’il s’agit de ces écoles mixtes, où l’on pratique, par le mélange des enfants des deux sexes, un système d’éducation contraire à la morale et tout à fait indigne d’un peuple civilisé. En réaction, les instituteurs se réunissent en amicales et intentent eux aussi des procès en diffamation contre des évêques fustigeant l'école publique et laïque...

La vraie guerre, celle de 1914-1918, met fin à ces batailles judiciaires. Au front se côtoient des prêtres et des instituteurs radicaux ou francs-maçons. Tous versent l'impôt du sang. Après la guerre, cette fraternité des tranchées se poursuit dans les associations d'anciens combattants, dont la plus importante, l'Union fédérale des Anciens combattants, compte parmi ses dirigeants un instituteur laïque, un chanoine, un abbé.

La laïcité, c’est la France républicaine

En juin 1940, le maréchal Philippe Pétain assiste à plusieurs cérémonies religieuses dès son intronisation comme chef de l’État français. Puis il autorise à nouveau les congrégations religieuses à enseigner, octroie des subventions publiques aux écoles confessionnelles, permet la présence de signes religieux sur les édifices publics … Pourtant, le régime de Vichy, peu à peu affaibli par l’avancée des Alliés, ne revient pas sur la séparation des Églises et de l’État.

À la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’Assemblée constituante chargée de rédiger la Constitution de la IVe République intègre la notion de laïcité dans son article Premier : « La France est une République laïque », mentionne le texte du 27 octobre 1946.  

1946 : Constitution de la IVe République

13e alinéa du préambule :  La Nation garantit l'égal accès de l'enfant et de l'adulte à l'instruction, à la formation professionnelle et à la culture. L'organisation de l'enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l'État.

Article 1 – La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale.

Décryptage : En séance, le député communiste Étienne Fajon estime alors que « ce mot [laïcité], introduit dans la Constitution, consacre comme conséquence la séparation des Églises et de l’État. (…) Cet amendement implique la neutralité de l’État à l’égard de toutes les religions et de tous les cultes. » Avec ce texte, communistes, socialistes et démocrates-chrétiens, les trois principaux partis du gouvernement provisoire, consacrent la laïcité comme consubstantielle de la République. Elle cesse d’être un combat politique pour être intégrée pleinement à « l’ADN » français.

 

Lorsque la IVe République laisse place à la Ve, il n’y a pas de débat pour revenir sur cet ajout : le début de la Constitution de 1958 est rigoureusement identique à celle de 1946.

Le retour de la querelle religieuse

Pourtant, dans les années 1950, la laïcité revient sur le devant de la scène à travers la question de la liberté d’enseignement. Les établissements privés sont alors en grande difficulté financière. Une conséquence de la suppression, après-guerre, de la loi de Vichy autorisant les subventions aux écoles privées. Or, elles scolarisent un tiers des élèves du secondaire. En 1951, les lois Marie et Barangé permettent de distribuer des bourses aux élèves du privé, mais rien aux établissements. En 1959, sous la présidence du général de Gaulle, la loi Debré instaure le contrat d’association avec l’État : il exige notamment que les programmes de l’enseignement privé soient alignés sur ceux du public. En contrepartie de cette laïcisation, l’État paye les salaires des professeurs et les dépenses de fonctionnement des établissements privés.

1959 : Loi sur les rapports entre l'État et les établissements d'enseignement privés

« L’État proclame et respecte la liberté de l’enseignement et en garantit l’exercice aux établissements privés » Article 1

Article 4 :

Les établissements d'enseignement privés du premier et du second degré peuvent demander à passer avec l’État un contrat d'association à l'enseignement public, s'ils répondent à un besoin scolaire reconnu qui doit être apprécié en fonction des principes énoncés à l'article 1er de la présente loi. 

Le contrat d'association peut porter sur une partie ou sur la totalité des classes de l'établissement. Dans les classes faisant l'objet du contrat, l'enseignement est dispensé selon les règles et programmes de l'enseignement public. Il est confié, en accord avec la direction de l'établissement, soit à des maîtres de l'enseignement public, soit à des maîtres liés à l'Etat par contrat.
Les dépenses de fonctionnement des classes sous contrat sont prises en charge dans les mêmes conditions que celles des classes correspondantes de l'enseignement public.

Décryptage : Pour le professeur de philosophie politique Philippe Reynaud, auteur de La Laïcité, Histoire d’une singularité française (Gallimard, 2019), cette loi propose « un nouveau compromis laïque, différent de celui de la IIIe République (…). Les laïques devaient accepter l’idée qu’ils n’avaient pas le monopole de la laïcité, qui pouvait exister dans un espace régi ou contrôlé par l’Église ; en contrepartie, les catholiques ne pouvaient faire "reconnaître" le "caractère propre" de leurs écoles que si celles-ci acceptaient d’abandonner leur contre-culture dans les programmes d’enseignement. »

Les nouveaux défis de la laïcité

En octobre 1989, à Creil (Oise), trois élèves de confession musulmane sont exclues de leur collège car elles refusent de retirer leur voile en cours. Pendant près de quinze ans, ces affaires se multiplient, généralement réglées au cas par cas. Mais en 2004, l’État change de ton : l’Assemblée nationale vote à une large majorité une loi interdisant le port de signes ou de tenues manifestant ostensiblement une appartenance religieuse dans les établissements scolaires.  

Date de la vidéo: 1989 Collection:  - Journal de 20 heures

L'affaire du foulard islamique en 1989

15 mars 2004 : loi sur le port de signes manifestant une appartenance religieuse à l'école

Article 1 de la loi du 15 mars 2004 encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics : Dans les écoles, les collèges et les lycées publics, le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit.

Décryptage : 

Avec cette loi, le législateur cantonne les manifestations religieuses « ostensibles » en dehors de l’école. L’aboutissement d’un long processus, qui a d’abord concerné les adultes, enseignants et personnels pour qui toute manifestation religieuse est interdite. Ainsi, en 1886, la loi Goblet avait laïcisé le personnel enseignant en interdisant aux clercs d’enseigner à l’école publique dans le primaire et le secondaire. Puis, avec les lois Ferry de 1881 et 1882, les crucifix étaient retirés des salles de classes. L’attention s’était portée sur les élèves plus tardivement, en 1916, avec la circulaire Painlevé. Elle parlait d’élèves ayant « porté ostensiblement des insignes n'ayant aucun caractère scolaire », et ajoutait : « En principe (…) le port des insignes doit être interdit à l'intérieur des lycées et collèges » Mais précisait : « Cette interdiction est générale : elle ne vise aucun signe en particulier ».  En 1937, une loi interdit le prosélytisme mais ne vise pas les signes religieux, plutôt la propagande politique. En 2004, c’est bien la religion qui est visée. Plus de référence au prosélytisme : la manifestation ostensible (qui renvoie au fait que l’on se fait reconnaître par les autres comme pratiquant une religion) d’une appartenance suffit à prohiber un signe de l’enceinte scolaire. Pour les élèves, le principe est la discrétion du port de tenues et de signes religieux.

Depuis 2015, le 9 décembre, date anniversaire de la loi sur la séparation des Églises et de l’État, on célèbre la journée nationale de la laïcité. Une manière de rappeler l’importance de cette valeur fondamentale, objet de controverses récurrentes depuis le XIXe siècle. Dans un sondage Ifop de mai 2023, 67 % des Français estiment que la laïcité est menacée. Tout en y affirmant son attachement : 71 % des Français souhaitent conserver la loi de séparation des Églises et de l’État, 21 % souhaitent l’assouplir et 8 % la supprimer.

 

Pour aller plus loin

Parler de la laïcité en classe

• De 1882 à nos jours : les Français et la laïcité à l'école

Après les « guerres scolaires » qui ont fait rage au XIXe et au XXe siècle, les questions religieuses ressurgissent à l’école. Plus de cent quarante ans après les lois Ferry, la laïcité est plus que jamais au cœur des débats.

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L'école et la laïcité en France

La laïcité, c'est contre les religions ? (SPAM version élèves). La laïcité est régulièrement questionnée, remise en cause depuis trente ans, dans une confusion accrue des discours. À travers l'histoire de son traitement médiatique, nous tenterons de comprendre comment un principe de liberté et de respect a pu générer malentendus et amalgames.

La laïcité, c'est contre les religions ? (SPAM version enseignants). De la loi de séparation des Églises et de l'État à l'assassinat de Samuel Paty, en passant par le mouvement de l'école libre, l'affaire dite du « foulard de Creil » ou le 11 Septembre, retour sur le traitement médiatique de la laïcité, avec des clés pour mieux aborder cette question en classe. Olivier Lopez, chargé de mission « Laïcité et valeurs de la République » pour l'académie d'Aix-Marseille, s'entretient avec l'historienne Valentine Zuber.

• La laïcité : 30 ans de fracture à gauche

En une heure, ce documentaire retrace les trente années, depuis l'affaire du voile à Creil, qui ont fracturé la gauche sur le thème de la laïcité. Avec Élisabeth Badinter, Manuel Valls, Philippe Val, Jean-Luc Mélenchon, Jean Glavany, Stéphane Pocrain, Mimouna Hadjam, Edwy Plenel, Jean-Louis Bianco, Marie-George Buffet et Caroline Fourest.

• 1801 : Napoléon et Pie VII signent le Concordat

Le 15 juillet 1801, en accord avec le pape Pie VII, Napoléon Bonaparte instaure le Concordat. Ayant pris acte des échecs de la politique de déchristianisation de la Révolution, il rétablit l’unité de l’Église qui était divisée entre les clercs qui avaient prêté serment à la Constitution et les réfractaires. Son lien direct avec le Saint-Siège est également restauré. Mais on ne revient pas à la situation d’avant 1789. Le catholicisme devient « la religion de la majorité des Français » et non pas la religion d’État. Dans Administration des cultes pendant la période concordataire (Nouvelles éditions latines, 1988), l’historien Jean-Michel Leniaud explique cette différence notable : « Sous l’Ancien Régime, l’État reconnaissait la divinité de l’école catholique. Sous le Concordat, l’État ne se prononce pas sur la vérité du catholicisme. » Mais il prend acte de son « utilité sociale ».

Lien vers un article de BnF - Les Essentiels sur la signature du concordat.

• Un dossier de la BnF sur la laïcité

Dans les médias comme dans les repas de famille, le mot « laïcité » est fréquemment employé. Mais comment la définir ? Quelle est son histoire ? Quels sont ses principes, ses limites, ses valeurs ? Est-elle encore valable dans notre société contemporaine ?

Lien vers un dossier de BnF - Les Essentiels sur la laïcité.

• Quelques livres :

  • 1905, La séparation des Églises et de l’État, les textes fondateurs, collectif, éd. Perrin.
  • Histoire de la laïcité en France, Jean Beauberot, éd. Puf.
  • La laïcité, Guy Haarscher, éd. Que-sais-je?.
  • La laïcité, histoire d’une singularité française, Philippe Reynaud, éd. Gallimard.

Décrypter les médias avec la série SPAM

Retrouvez toutes les ressources de la série SPAM pour décrypter les médias et l'information avec vos élèves.

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SPAM, une série pour décrypter les médias et l'information avec vos élèves (EMI)

Dans « SPAM » (« Savoir, Penser, Analyser les Messages »), des professeurs et des experts répondent aux questions que se posent les élèves sur 11 thématiques-clés pour décrypter les médias et l’information. Produite par l’INA pour France Télévisions et créée avec le ministère de l’Éducation nationale et de la Jeunesse et le Centre pour l’éducation aux médias et à l’information (CLEMI), cette série s'adresse aux élèves du cycle 2 à la Terminale.

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