vidéo -  Apostrophes

Daniel Cordier revient sur sa démarche d’historien suite à la polémique avec Frenay

Institut national de l’audiovisuel

Proposé par Institut national de l’audiovisuel

Date de diffusion : 03 nov. 1989

Dans l’émission Apostrophes diffusée sur Antenne 2 le 3 novembre 1989, Daniel Cordier revient sur son choix d’écrire la biographie de son ancien patron, après avoir été déstabilisé par les accusations portées par Henri Frenay à l’encontre de Jean Moulin lors de l’émission Les Dossiers de l’écran en 1977. Il explique ici sa démarche d’historien.

Niveaux et disciplines

Informations et crédits

Type de ressource :
Forme :
Collection :
Apostrophes
Date de diffusion du média :
03 nov. 1989
Production :
Antenne 2
Page publiée le :
19 juin 2023
Modifiée le :
18 sept. 2023
Référence :
00000005519

Contexte historique

Par Raphaëlle BellonResponsable des activités pédagogiques de la Fondation de la Résistance )

Jean Moulin  ne figure pas parmi les figures de la Résistance les plus célébrées après-guerre. S’il fut l’homme d’une cause (la Résistance), d’un homme (le général de Gaulle), d’une mission (l’unification de la Résistance), il ne fut pas l’homme d’un parti : à l’heure où les partis politiques mettent en avant la mémoire des résistants issus de leurs rangs, Jean Moulin – dont le rôle fut pourtant capital –, est marginalisé. Il pâtit aussi de la « traversée du désert » du général de Gaulle, qui quitte le pouvoir en 1946. Sa panthéonisation en 1964, dont le pouvoir politique gaulliste fait une grande messe républicaine, est un tournant. Jean Moulin devient le « héros éponyme » de la Résistance, une figure consensuelle dont la place dans les mémoires devient centrale dans les décennies qui suivent.

Mais dans le même temps, une polémique éclate entre historiens et anciens résistants. Henri Frenay, chef du mouvement Combat, qui avait eu des désaccords avec Jean Moulin, vient de publier un ouvrage intitulé L’énigme Jean Moulin. Invité le 11 octobre 1977 dans l’émission des Dossiers de l’écran, il critique certains aspects de l’attitude de Moulin lors de sa mission d’unification de la Résistance et explique par ailleurs que le représentant du général de Gaulle aurait créé le CNR pour servir les objectifs du parti communiste dont il aurait été l’un des agents. Selon Frenay, Moulin aurait été un « cryptocommuniste » (soit communiste sans le dire). Le succès de l’émission, le contexte de guerre froide et l’anticommunisme d’une large partie de l’opinion, augmentent la portée de cette déclaration. Cordier, l’ancien secrétaire de Rex, réagit vivement. Il décide alors de se faire historien, et consulte des archives pour écrire la biographie de Jean Moulin, partant du constat que Frenay ne s’appuie que sur quelques témoignages. Lancé dans un travail de recherche et d’écriture depuis plus de dix ans, Cordier démontre ainsi de façon scientifique que la thèse d’un Jean Moulin cryptocommuniste ne repose sur aucune preuve. Douze ans après la polémique, il revient dans l’émission Apostrophes sur sa démarche en se présentant désormais comme historien. Son travail a apporté une pierre importante à l’écriture de l’histoire de la Résistance en privilégiant le recours aux archives, plutôt qu’aux seuls témoignages. Ce « moment Cordier », pour reprendre une formule de Laurent Douzou, a contribué à renouveler l’historiographie de la Résistance.

Éclairage média

Par Raphaëlle BellonResponsable des activités pédagogiques de la Fondation de la Résistance )

Pour présenter Daniel Cordier, le présentateur Bernard Pivot choisit le détour de l’anecdote, en rappelant le basculement consécutif à la polémique lancée en 1977 : de marchand d’art, l’ancien secrétaire de Jean Moulin devient historien. 

Daniel Cordier ne porte pas son témoignage sur le terrain polémique, contrairement à sa première réaction face à Frenay dans les Dossiers de l’écran. Parlant d’une voix posée, il est relancé par le présentateur pour des précisions : face à l’homme qui a vécu les événements et pour qui certaines choses sont évidentes (comme le rôle d’Henri Frenay), Bernard Pivot doit penser à son public, moins informé.

Cordier se pose en chroniqueur de sa propre expérience, puis explique sa démarche, présentée comme un travail d’historien, et non comme une croisade mémorielle. Il rappelle d’abord le contexte de sa participation aux Dossiers de l’Écran en 1977 : c’était son premier plateau télé, lui qui n’avait pas lu un seul ouvrage sur la guerre, et il retrouvait pour la première fois ses anciens « camarades » résistants. Il explique s’être senti alors humilié par Frenay, avançant que celui-ci avait mieux travaillé ses dossiers. Il ne mentionne pas que l’ancien chef de Combat a alors dit qu’il n’était que petit « secrétaire » de Jean Moulin chargé de « l’intendance », sans être associé aux grands débats entre les chefs de la Résistance. 

Ainsi, en mettant en perspective son travail de biographe de Jean Moulin, Cordier livre indirectement des éléments sur son rapport à son passé de résistant. Il dit avoir voulu prouver les déclarations de Frenay, lui qui connaissait bien les archives de la Résistance, en acceptant la possibilité de s’être trompé sur le compte de son patron. Le doute, plutôt donc que la conviction, comme moteur de la recherche : c’est une démarche d’historien. On peut questionner cette affirmation. Il s’agissait sans doute bien de défendre la mémoire de Moulin, ce qui n’ôte rien au caractère scientifique du travail de Cordier qui cherche l’administration de la preuve. De fait, comme il l’évoque face à Bernard Pivot, Cordier a trouvé lors de ses recherches des éléments montrant que Jean Moulin n’était pas cryptocommuniste comme il le rappelle dans son ouvrage, L'inconnu du Panthéon, que Pivot tient entre ses mains.

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