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Répression du 17 octobre 1961 : une lente reconnaissance

Par L'équipe Lumni Enseignement
Publication : 14 oct. 2022 | Mis à jour : 19 déc. 2023

Niveaux et disciplines

Le 17 octobre 1961, à l’appel de la Fédération de France du FLN (Front de libération nationale), 20 000 à 30 000 travailleurs algériens, accompagnés de leur famille, marchent vers Paris. Ils entendent manifester leur refus du couvre-feu imposé le 5 octobre 1961 par le préfet de police Maurice Papon aux « Français musulmans d’Algérie ». Dans la capitale, les manifestants sont dispersés, frappés, embarqués dans des cars de police ou jetés dans la Seine. Cette répression d’une rare violence fait entre 150 et 200 morts selon les plus récentes estimations des historiens. Mais, à l’époque, le bilan officiel annonce 2 morts. Le patient travail des historiens permettra de faire reconnaître ce massacre, jusqu’à la reconnaissance, en octobre 2021, par le président Emmanuel Macron, de ces « crimes inexcusables pour la République ».

Pour aider les élèves de terminale à comprendre le contexte de cette répression et sa place dans la mémoire de la guerre d’Algérie, nous avons rassemblé ici trois archives contextualisées.

Une tension accrue à la fin de guerre d’Algérie

Une partie de l’épisode 6 de la série documentaire En guerre(s) pour l’Algérie est consacrée au massacre du 17 octobre 1961 (plus particulièrement entre 17 min 54 et 22 min 12). Les auteurs (le réalisateur Rafael Lewandowski et l’historienne Raphaëlle Branche) rappellent que cette manifestation a lieu à la fin de la guerre d’indépendance algérienne, qui a débuté en 1954. Cinq mois plus tard, le 19 mars 1962, seront signés par la France et le GPRA (le Gouvernement provisoire de la République algérienne) les accords d’ Évian qui mettront fin au conflit.

Chaque camp met la pression en vue de cette échéance. À Paris, les attaques contre des commissariats redoublent d’intensité. Des policiers tombent régulièrement sous les balles du FLN, est-il rappelé dans le documentaire. Le préfet de police Maurice Papon, farouchement anti-indépendance, interdit aux travailleurs algériens de Paris, via un couvre-feu discriminatoire, de circuler entre 20 h 30 et 5 h 30 du matin. Il impose aussi la fermeture à 19 heures de leurs débits de boissons. 

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Un coup de force du FLN

Pour tenter de retourner l’opinion française en sa faveur, la Fédération de France du FLN décide d’organiser une manifestation pacifique. Les Algériens, hommes, femmes et enfants, devront converger vers Paris, en tenue de ville. Et surtout sans armes. Cependant, un important dispositif policier est déployé autour et dans la capitale pour empêcher les 20 000 à 30 000 manifestants de progresser : les policiers sont ainsi particulièrement concentrés sur les ponts (de Clichy, de Neuilly, de Gennevilliers, notamment). Ils jettent à la Seine des dizaines d’Algériens. Ils tirent aussi sur des civils désarmés. Des milliers d’hommes sont appréhendés et envoyés au camp d’internement de Vincennes ou au Palais des sports de Paris, où les coups continuent de pleuvoir. Le documentaire En guerre(s) pour l’Algérie exploite des photographies d’époque montrant des policiers équipés de « bidules » (les matraques en bois d’alors) entraînant des hommes algériens vers des car bondés. D’autres manifestants gisent la nuit sur le trottoir, le visage en sang. 

Un simple fait divers selon la RTF

Ces clichés, peu de Français les ont vus à l’époque. Et pour cause. Les médias diffusent l’image d’une manifestation plutôt paisible, bien prise en main par des forces de police en état d’alerte. Ce sont les mots utilisés dans ce reportage des Actualités françaises diffusé le 25 octobre 1961. Celui-ci s’ouvre sur des images tournées de jour et montrant des femmes « musulmanes » ayant bravé l’interdiction de manifester. Avec leurs enfants, elles sont escortées, dans le calme, « vers des centres sociaux » ou « reconduites chez elles ». Au pire, laisse penser le reportage, quelques Algériens seront reconduits en avion « vers leur douar d’origine ». 

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La presse dans son ensemble a accepté le bilan de la police (2 morts algériens et 78 blessés), écrit notre auteure Eve Bonivard dans le contexte historique qui accompagne le sujet des Actualités françaises. Le soir même du 17 octobre, aucun sujet n’est diffusé sur la manifestation dans le journal de la RTF : Elle nous avait été présentée comme un simple fait divers, raconte aujourd'hui Joseph Pasteur, qui présentait à l'époque le journal télévisé. Pour expliquer l'absence de reportages, il faut se rappeler que nous étions en pleine guerre d'Algérie et que la télévision était placée sous la férule personnelle du général de Gaulle, qui en avait fait son porte-voix.

La lente émergence de la vérité

Christophe Gracieux, professeur agrégé d’histoire-géographie et auteur pour Lumni Enseignement d’un contexte historique sur ce sujet, rappelle que l’occultation de la vérité n’est pas uniquement le fait des autorités françaises. Le FLN de l’époque, tiraillé entre plusieurs courants rivaux, n’a pas souhaité mettre en avant ce coup de force organisé par sa Fédération de France. Mais la gauche française, et plus particulièrement le PCF divisé sur la question algérienne, a aussi participé à ce que l’historien Gilles Manceron nomme la « triple occultation ».

Il faudra attendre la marche pour l’égalité et contre le racisme de 1983, dite « marche des Beurs », pour que les enfants des victimes algériennes brisent le silence. Des associations sont créées, comme Au nom de la mémoire en 1990. L’un de ses fondateurs, Mehdi Lallaoui, tourne alors un documentaire sur la répression du 17 octobre 1961 : Le Silence du fleuve.

Pendant ce temps, les historiens interrogent les archives et les témoins tentent d’établir de nouveaux bilans. En 1991, Jean-Luc Einaudi, chercheur autodidacte, publie La Bataille de Paris, 17 octobre 1961 (Points Seuil) et dresse une liste de plus de 200 morts – cent fois le bilan officiel. La qualité de son travail est aujourd’hui reconnue par une majorité d’historiens.

En 1997, le procès de Maurice Papon pour crimes contre l’humanité permet de redonner à cette manifestation réprimée une juste place dans la mémoire de la guerre d’Algérie. L’ancien haut fonctionnaire est alors jugé pour sa responsabilité  dans la déportation des Juifs, alors qu’il officie à la préfecture de la Gironde de 1942 à 1944. Les avocats des parties civiles demandent qu’une journée d’audience soit consacrée à son rôle comme préfet de police de Paris, et plus particulièrement son rôle dans les événements tragiques le 17 octobre 1961. Jean-Luc Einaudi, parmi d’autres, témoigne à la barre et présente les résultats de ses recherches. Mais surtout, en 1998, Jean-Luc Einaudi emploie, dans une tribune du Monde, le terme de « massacre » à propos de cet événement : ll y eut à Paris un massacre perpétré par des forces de police agissant sous les  ordres de Papon. Ce dernier porte plainte pour diffamation, mais il est débouté. Cette décision de justice favorable à l’historien est capitale : les juges considèrent que le terme de « massacre » est légitime.

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Reconnaissance officielle

Mais le débat ne s’apaise pas pour autant. Vous trouverez ci-dessous un reportage, diffusé dans le journal télévisé de 20 heures de France 2 le 17 octobre 2001, rendant compte de la commémoration de la répression et des vives controverses qu’elle a entraînées. En effet, rappelle notre auteur Christophe Gracieux, le maire de Paris Bertrand Delanoë dévoile en 2001 une plaque commémorative en mémoire des « nombreux Algériens » tués. Cette plaque a été placée en un lieu symbolique : le pont Saint-Michel, d’où plusieurs manifestants algériens avaient été précipités dans la Seine le 17 octobre 1961. Le reportage de France 2 se compose de quatre séquences distinctes », écrit Christophe Gracieux, retraçant chronologiquement les événements de la journée de commémoration comme autant d’épisodes : « Le matin, la contre-manifestation de quelques militants d’extrême droite puis la cérémonie de dévoilement de la plaque commémorative ; l’après-midi, l’incident provoqué par des députés de droite à l’Assemblée nationale et la manifestation organisées par des associations et des partis de gauche en hommage aux victimes algériennes d’octobre 1961.

En 2012, le président François Hollande rend hommage aux victimes d’une « sanglante répression ». Et le 17 octobre 2021, le président Emmanuel Macron va un peu plus loin en reconnaissant « une vérité incontestable ». Alors qu’il rend hommage aux victimes sur le pont de Bezons (Hauts-de-Seine), il déclare : Des tirs à balles réelles se sont produits à cet endroit et des corps ont été repêchés dans la Seine. Occulté pendant des décennies, le massacre du 17 octobre retrouve toute sa place dans les mémoires.

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