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Good Girl : l’éducation des filles en question

Par Véronique Chalmetécrivaine et journaliste spécialisée en histoire
Publication : 01 mars 2023 | Mis à jour : 19 déc. 2023

Niveaux et disciplines

Fabriquer une fille parfaite, c’est aussi simple qu’une recette de cuisine : prenez une petite fille à la naissance, apprenez-lui dès son plus jeune âge qu’elle doit être douce, féminine, gracieuse. Donnez-lui, pour jouer, des poupées, des plumeaux afin que, très vite, elle se forme à devenir une merveilleuse ménagère. Et apprenez-lui, avant tout, à vivre pour contenter les autres. Enfin, lorsqu’elle grandit, veillez attentivement à ce qu’elle reste dans le moule. Ces conseils, distillés avec la voix délicieusement ironique de l’actrice, scénariste et réalisatrice Agnès Jaoui, donne le ton de ce film de 16 minutes : il y est question de déconstruire avec légèreté et humour – et néanmoins avec efficacité – un  siècle d’éducation des filles. Commandité par Ghata Hatem, directrice de la Maison des femmes de Saint-Denis et réalisé par Mathilde Hirsch et Camille d’Arcimoles, ce court-métrage, constitué d’images d’archives de l’INA, donne à voir comment la société assigne, très vite, un rôle aux petites filles pour qu’elles deviennent de futures épouses (de maris forcément virils) et de futures mères (forcément dévouées à leurs enfants). En mettant en lumière les mécanismes qui régissent la place prédéfinie des femmes, aussi bien dans leur vie personnelle que professionnelle, il a l’ambition d’aider à lutter contre les violences sous-tendues par notre système patriarcal et d’équilibrer – enfin – les relations hommes-femmes.

 

Good Girl, le court-métrage

Durée
16'24
Réalisation
Mathilde Hirsch et Camille d'Arcimoles
Produit par
Fabienne Servan-Schreiber et Estelle Mauriac
Voix
Agnès Jaoui
Production
Cinétévé, en partenariat avec l'INA, sur une initiative de La Maison des femmes de Saint-Denis, avec la collaboration du magazine Causette
Année
2022

Entretien avec Ghata Hatem, directrice de la Maison des femmes de Saint-Denis

Ghata Hatem

Ghata Hatem est en bas d'un escalier et s'appuie sur la rampe en souriant à l'appareil photo. Cheveux mi-longs en carré frisés, elle porte des lunettes. Elle est habillée d'une blouse blanche sur un tee shirt blanc et un jean. Elle porte des chaussures rouves à talon.

Comment la Maison des femmes et Cinétévé se sont rencontrés ? C’est-à-dire, commet est née l’idée de ce film ?

L'idée du film vient de moi :  je trouvais intéressant de montrer l'évolution du discours pédagogique sur les filles et les jeunes femmes à partir d'archives, ce que l'INA permet. L'idée de fond était de montrer qu'on venait de très loin, mais qu'il y avait sans doute à espérer un avenir meilleur.

Quant à Cinétévé, c'est mon amitié et mon admiration pour Fabienne Servan-Schreiber qui m'ont conduite à lui demander son aide.

Dans la violence des propos sexistes tenus au travers de tous ces documents, y-a-t-il quelque chose en particulier qui vous a étonnée, voire prise au dépourvu ?

Ce que j'ai trouvé le plus choquant dans les différents extraits sélectionnés, c'est sans aucun doute la séquence concernant la femme parfaite dans l'émission télévisée. Cet entre-soi masculin, persuadé de son bon droit, de sa subtilité et de son humour, sans une once de doute ou de gêne m'a fait l'effet d'une gifle !

Good Girl : un siècle d'éducation des jeunes filles
- Good Girl : un siècle d'éducation des jeunes filles [EXTRAIT]

Quel est, selon vous, le dernier progrès en date le plus important dans l'évolution du droit des femmes ?

L'accès à une contraception sûre et réversible reste pour moi un des plus grands progrès dont nous avons bénéficié au siècle dernier. Car, sans contrôle des naissances, comment poursuivre des études, accéder à des métiers réputés masculins (et gagner autant qu'un homme !) et, enfin, choisir sa vie ? Le congé paternel est un progrès qui me semble s'inscrire dans la même lignée.

Dans quel espace – de l'école, de la maison, de l’intimité ou de la vie en société – reste-t-il aujourd’hui le plus de progrès à accomplir ?

L'ensemble de ces espaces est concerné car ils sont tous reliés les uns aux autres et les progrès à accomplir comme les reculs qu'on y observe les impactent.

Mais peut-être que la vie en société mériterait une attention particulière car les injonctions que continuent à transmettre de manière insidieuse les réseaux, les publicités, les films, le porno, voire les familles elles-mêmes sont toujours prégnantes. Nombre de mes patientes me disent en souffrir et avoir du mal à s'en affranchir.

Dans les violences faites aux femmes que vous combattez chaque jour, quel est le plus grand obstacle actuel ?

Sortir des violences est un combat qu'il faut mener sur plusieurs fronts : la santé – physique et psychique –, la sécurité de ses enfants et sa propre sécurité, la question financière, le logement, la police, la justice... 

Il me semble pour autant que deux domaines mériteraient qu'on y consacre énergie et financements : une justice plus rapide, car les délais de traitement sont désespérants pour les victimes, et une prise en charge très active des auteurs afin de limiter les risques de récidive, voire de féminicide. Or, la question des auteurs est encore loin de mobiliser la société à la hauteur des enjeux qu'elle porte.

Sur quel point, en priorité, pensez-vous qu'il est urgent de faire évoluer les mentalités aujourd'hui ?

L'urgence, aujourd'hui, est de faire évoluer notre compréhension de la protection de l'enfance. Les violences éducatives sont encore trop banalisées et les agressions sexuelles intrafamiliales insuffisamment prises en considération, victimes de tabous, voire d'opprobre à l'encontre des enfants (qui seraient responsables ou qui mettraient l'équilibre de la famille et sa bonne moralité en danger). Ces violences rendent les enfants particulièrement vulnérables. 

Dans le même temps, les dangers de l'hypersexualisation des préadolescentes et les risques de prostitution des mineures sont encore loin d'être correctement pris en charge et prévenus. Cette vision de la femme objet de plaisir nourrit le sexisme et flatte une certaine idée de la virilité qu'il est également urgent de combattre dès le plus jeune âge.

À partir de quel âge se joue, selon vous, cette bataille pour l’égalité ? Quel rôle l’école peut-elle jouer ?

Je pense qu'on peut commencer à aborder l'égalité dès l’âge de 2 ans, à partir des jeux, des vêtements, etc. pour lutter au plus tôt contre les stéréotypes.

Les enseignants disposent de nombreux outils qui permettent d'aborder ces questions de manière ludique et participative (jeux, photos, vidéos, théatre forum), et sans faire de pub, l'exposition que nous avons construite avec Cartooning for Peace « Dessine moi l'égalité » est un très chouette outil !

Propos recueillis par Véronique Chalmet

La Maison des femmes

La Maison des femmes de Saint-Denis est un lieu de prise en charge unique des femmes en difficulté ou victimes de violences. 

Rattachée à l’hôpital Delafontaine, elle propose une prise en charge pluridisciplinaire de proximité, avec un guichet unique. Elle a été créée en juillet 2016 par la Dr Ghada Hatem, gynécologue-obstétricienne.

Son objectif est d’apporter une aide concrète et complète aux femmes en difficulté en Seine-Saint-Denis, dans le Val-d’Oise, les Hauts-de-Seine et à Paris.

Elle intervient aussi dans les domaines de la prévention, de l’éducation et de la santé publique. 

Pour aller plus loin

Retrouvez notre dossier thématique intitulé Douces et soumises : comment l’éducation des filles a enfermé les femmes du XIXe siècle à nos jours. Destiné aux élèves de 3e et du lycée, il revient sur l’évolution de l’image des femmes dans la société du XIXe siècle à nos jours. Il montre comment les femmes sont parvenues à défier les carcans de l’éducation pour conquérir de nouveaux droits dans quatre domaines : à la maison, à l’école, en famille et dans leur propre corps.

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