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Douces et soumises : comment l’éducation des filles a enfermé les femmes du XIXe siècle à nos jours

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Par Véronique Chalmetécrivaine et journaliste spécialisée en histoire
Publication : 24 févr. 2023 | Mis à jour : 19 déc. 2023

Niveaux et disciplines

Fabriquer une fille parfaite, c’est aussi simple qu’une recette de cuisine ! Prenez une fille à la naissance, apprenez-lui qu’elle doit être douce, féminine, gracieuse. (…) Et apprenez-lui surtout à vivre pour contenter les autres. Le court-métrage Good Girl, réalisé en 2022 par Mathilde Hirsch, en collaboration avec la Maison des femmes de Saint-Denis, décrypte sur un ton décalé les mécanismes qui régissent l'éducation des filles depuis un siècle. L’affaire est très sérieuse. Le poids d'un véritable formatage patriarcal pèse sur les épaules des filles depuis leur naissance. En France, le Code civil de 1804 a fait des Françaises des mineures à vie. Mais la loi n'explique pas tout. En 1998, le sociologue Pierre Bourdieu rappelait dans La Domination masculine (éditions du Seuil, 1998) les raisons pour lesquelles cet ordre patriarcal se perpétue : hommes et femmes sont enfermés dans un rôle appris, reproduit et transmis d'une génération à l'autre.

     

De la soumission à la libération

Ce dossier thématique à destination des élèves de collège et de terminale revient sur l’évolution de l’image des femmes dans la société du XIXe siècle à nos jours.

Il se propose de montrer comment les femmes sont parvenues à se défaire des carcans de l’éducation pour conquérir de nouveaux droits dans quatre domaines : à la maison, à l’école, en famille et dans leur propre corps.

Il s'appuie sur une sélection de ressources audiovisuelles et plus particulièrement sur le court-métrage Good Girl, produit par Cinétévé et la Maison des femmes, en partenariat avec l'INA et en collaboration avec le magazine Causette.

À la maison : la fabrique des parfaites ménagères

Dès l'Antiquité, les écrits des médecins grecs Hippocrate (460-377 av. J.-C.) et Galien (129-201), et du philosophe Aristote (384-322 av. J.-C.) instaurent le mythe d'une infériorité biologique féminine. Appartenir au sexe faible conditionne la vie des femmes pour plus de deux mille ans. Michelle Perrot, professeure émérite d’histoire contemporaine, explique en 2005 comment, jusqu'au XIXe siècle, les dictionnaires stipulent que la femme est la femelle de l'homme.

Au nom de cette classification arbitraire qui conditionne durablement les mentalités, les femmes sont écartées de la vie politique, des métiers nécessitant des machines – qui se déclinent invariablement qu'au masculin, tels que garagiste ou grutier – et de certains sports. Pour exemple, la loi de 1941 interdisant le football féminin, jugé nocif par le régime de Vichy, n'a été abrogée qu'en 1971. Et les compétitions de boxe n'ont été autorisées aux femmes qu'en... 1997 ! 

Il s'agit plutôt de formater les filles à leur rôle de femme au foyer. L'enseignement ménager est une matière obligatoire dans les écoles de filles à partir de 1899. La science du ménage est la plus utile et la plus honorable science à une femme : cette citation de Montaigne (Essais, Livre troisième, 1588) se retrouve dans les Manuels d'enseignement ménager diffusés jusque dans les années 1960 ! Cet apprentissage vise à moraliser les classes populaires et à confiner les femmes – toutes classes confondues – dans l’espace domestique.

Les écoles d'art ménager, pour les jeunes filles de 14 à 17 ans, sont nombreuses dans les années 1940 : on y apprend couture, cuisine, puériculture et économie domestique. Ces établissements tombent progressivement en désuétude et disparaissent au milieu des années 1970, mais leurs injonctions demeurent. L'option enseignement ménager du bac ne sera supprimée qu'en 1984. Jusque-là, comme le rappelle le documentaire Good Girl, les filles doivent apprendre les savoirs féminins fondamentaux pour devenir des épouses, des mères et des ménagères accomplies.

Pendant les Trente Glorieuses, la vie des Françaises devient un peu plus facile grâce aux appareils ménagers. En 1949, on prend soin de les rassurer : Ménagères, vous ne blanchirez plus votre linge à la force du poignet ! Lave-linge, réfrigérateur et télévision annoncent la société de consommation – dont on dénoncera les excès dans les années 1970.

Ce progrès technique dégage un temps de plus en plus précieux, mais qui devient minuté pour les femmes d'aujourd'hui. De nos jours, en France, les femmes réalisent à elles seules en moyenne 71 % du travail domestique (ménage, cuisine et linge, entre autres) et 65 % du travail familial (soins aux enfants) [1] Chiffres cités dans l'article Partager les tâches domestiques ? La division du travail dans les couples selon le type d’union en France, 1985-2009, in Populations, 2021. . L'inégalité dans la répartition des tâches reste caricaturale, alimentée là encore dès le jardin d'enfants : en 2021, 71 % des garçons, contre 42 % des filles, craignent qu’on se moque d’eux s’ils jouent avec des jouets traditionnellement réservés au sexe opposé, même si la distinction fille / garçon tend à disparaître des catalogues et des rayons. En 2023, les stéréotypes sexistes perdurent dans les pubs télé à destination des enfants : les filles sont invitées à se créer des looks hyper tendance et les garçons à se tenir prêts pour la bataille... L’égalité entre les sexes, acquise en droit, est loin d’être acquise dans les faits. 

À l’école : de bonnes élèves qui ne concurrencent pas les garçons

Pendant longtemps, on ne doute pas des vertus ménagères des filles, mais on doute de leurs vertus intellectuelles ! L'historienne Michelle Perrot souligne que, au XIXe siècle, on disait que les études n'étaient pas faites pour les filles, que ça leur gâtait le teint !

À partir de 1880, grande première, les lois Jules Ferry rendent l'école obligatoire pour garçons et filles.

En 1924, ces dernières seront enfin autorisées à passer le bac, cent ans après sa création...

En 1959, la décision du gouvernement de ne plus construire que des lycées mixtes fait débat : élément néfaste aux études ou sain esprit de compétition ?

Date de la vidéo: 1961 Collection:  - L'Avenir est à vous

La mixité scolaire

En 1975, la loi Haby tranche et impose cette révolution pédagogique !

Date de la vidéo: 1975 Collection:  - Journal de 20 heures

La réforme Haby

Les filles peuvent désormais se mesurer aux garçons. Et on dit souvent que les filles travaillent mieux que les garçons. Nouveau stéréotype ? De fait, les filles se sont engouffrées dans la brèche... En 1968, pour la première fois en France, le nombre de bachelières dépasse celui des bacheliers, preuve d'un indéniable progrès vers l'autonomie des filles. Est-on enfin sur le chemin de l'égalité scolaire ? Pas si simple ! On s'aperçoit que les filles sont plus performantes, mais moins compétitives. En 2022, 92 % d'entre elles ont obtenu leur bac (toutes catégories confondues) contre 82 % des garçons. Mais la tendance s'inverse quand il s'agit d'entrer dans des filières sélectives : en 2022, les écoles d'ingénieurs ne comptent que 29 % de filles et celles-ci ne sont que 17 % à l'École polytechnique. Pourquoi ? Non seulement parce que certains métiers tardent à s’ouvrir à elles – comme le numérique où elles ne sont, encore en 2018, que 15 % –, mais aussi parce qu'on les dissuade de pouvoir bâtir une carrière en même temps qu'une vie de famille. Vieille rengaine !

En famille : sortir d’un mariage qui emprisonne

En 1919, le sénateur de l'Ain Alexandre Bérard déclare que séduire et être mère, c'est pour cela qu'est faite la femme. Les femmes ne doivent pas vouloir autre chose que trouver un mari et faire des enfants.

On constate pourtant que ce diktat se fissure de plus en plus : en 1960, l'âge moyen du mariage pour une femme est de 25 ans et l'âge moyen de la mère au premier enfant de 27 ans ; en 1996, cette moyenne passe à 30 ans après avoir enfanté à 29 ans ; en 2022, c'est encore plus tard : à 37 ans pour le mariage, après un premier bébé à 31 ans. Les femmes d'aujourd'hui choisissent plus souvent d'assurer leur carrière professionnelle – et leur indépendance financière – avant de fonder une famille. Elles choisissent donc souvent de faire un enfant avant même de se marier. Un revirement essentiel.

Car, depuis le Code civil de 1804, la femme était une éternelle mineure : la femme mariée ne pouvait pas disposer de ses biens ni de son salaire, étudier ou travailler sans l'autorisation de son mari. Le Code pénal de 1810 a renforcé cette emprise masculine en interdisant le divorce et l’adultère, plus sévèrement réprimé pour les épouses que pour les maris : l'homme infidèle risque alors une simple amende quand les femmes adultères risquent la prison ! À l'époque, quelques hommes prennent la plume pour interroger ce modèle d’union. En 1841, Honoré de Balzac tente de comprendre de l'intérieur la place difficile assignée aux femmes par le mariage dans Mémoires de deux jeunes mariées, tandis que Gustave Flaubert est traîné devant les tribunaux en 1857 pour avoir osé explorer le désir au féminin dans Madame Bovary.

 

La condition féminine par Balzac et Flaubert

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Un siècle plus tard, c'est une femme qui ose s'élever contre le poids du patriarcat. En 1949, dans Le Deuxième Sexe, Simone de Beauvoir dénonce l'asservissement des femmes. On ne naît pas femme, on le devient ! : la philosophe scandalise. Son essai devient la bible mondiale du féminisme naissant. En France, il déclenche de violentes critiques masculines, comme celles de l'écrivain François Mauriac qui le qualifie d'abject, notamment parce que le mariage y est comparé à une forme de prostitution. 

Date de la vidéo: 2021 Collection:  - La Grande Explication

Simone de Beauvoir, le scandale du Deuxième Sexe

Mais, de fait, la soumission au mari est absolue dans cette institution... Il faudra attendre le 13 juillet 1965 pour que la femme obtienne au moins l'égalité juridique.

 

Des clichés pour faire rire, vraiment ?

Dans ce document d'avril 1965 sur la réforme des régimes matrimoniaux, la femme est présentée comme une coquette qui profite de sa nouvelle indépendance juridique au sein du couple pour s'acheter une fourrure à crédit. L’image cadre une femme qui se love dans le joli manteau convoité et la voix du journaliste suggère : Vous pourrez obtenir l’accord (de votre mari) après quelques concessions qu’on imagine sexuelles... 

Le corps féminin : conquérir le droit de choisir

Dans les années 1960, la France entre en adolescence ! Ce groupe d’âge qu'on appelle les jeunes n’a démographiquement pas toujours existé. Au cours des années 1930, il naît en France environ 600 000 enfants par an ; entre 1945 et 1964, ce chiffre passe en moyenne à 800 000. Ce phénomène du baby-boom s’explique par l'effervescence de la Libération, puis par la politique familiale de la IVe et de la Ve République. Au milieu des années 1960, les moins de 20 ans représentent environ 35 % de la population totale : une proportion inégalée depuis le tout début du XXe siècle. Une contre-culture jeune surgit, qui s'oppose au mode de vie des parents. Les filles découvrent blue-jeans et minijupes ; les garçons portent les cheveux longs. Cette jeunesse réclame à grands cris l'égalité des sexes et l'amélioration de la condition féminine. Michelle Perrot explique que les femmes certes veulent être mères, mais pas uniquement cela ! et rappelle que les lois sur le contrôle des naissances se sont succédé rapidement entre 1961 et 1975.

 

Nos ressources sur la lutte des femmes pour disposer librement de leur corps

Niveaux: Cycle 4 - Lycée général et technologique - Lycée professionnel

Les femmes dans la société française depuis 1945

Date de la vidéo: 1974 Collection:  - Journal de 20 heures

Appel du MLF à la grève des femmes

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Dans le couple, il y a encore cinquante ans, le consentement de l'épouse reste facultatif, comme le rappelle le film Good Girl : Jusque dans les années 1980, c’est inscrit dans le Code civil : une jeune femme ne peut se refuser à son mari si celui-ci la désire. La sexualité conjugale est alors affaire de devoir et de domination masculine, et le viol entre époux n'est pas reconnu.

En 1975, enfin, une épouse peut quitter son mari sans être considérée comme fautive : la loi instaure le divorce par consentement mutuel. Le garde des Sceaux Jean Lecanuet, qui tente de rassurer les milieux conservateurs inquiets de cette réforme, affirme qu'il s'agit de remédier au mal lorsqu'il existe.

Cependant, jusqu'en 1985, seul le mari garde les prérogatives de chef de famille : la femme reste son subalterne, elle doit suivre ses décisions familiales.

En matière de sexualité aussi, l'homme continue à décider. La reconnaissance de viol sur conjoint ne sera légalement reconnue qu'en 1990, un grand pas vers l'émancipation. Qui ne sera pas facile, car les stéréotypes ont la peau dure... 

Féminisme n’est plus un gros mot

En 1976, le mot sexisme est intégré dans le dictionnaire. On a fait du chemin depuis 1881, quand le mot féminisme était un terme médical utilisé pour désigner les sujets masculins dont la virilité s'est arrêtée.  Le mariage, la maternité et la vie de famille peuvent enfin devenir des choix assumés et non plus subis. Les filles ne sont plus éduquées dans le seul but de servir d'épouses ou de mères. Elles veulent être aimées et valorisées pour elles-mêmes.

Le débat d'aujourd'hui porte sur la notion de genre avec des implications politiques et sociales. D’un côté, les féministes universalistes considèrent qu’il ne faut pas différencier les femmes des hommes et s'opposent, par exemple, à l’instauration de quotas féminins dans les grandes écoles. De l’autre, les féministes différencialistes soutiennent une spécificité féminine qui doit être prise en compte et sont, par exemple, favorables à la stricte parité. L'image des femmes dans la société d'aujourd'hui fait craquer les carcans de la morale et des conventions. On ne veut plus d'une vision normée et formatée d'un idéal féminin... qui ne serait édicté que par les hommes.

Dates clés

Dates clés 1804 – 2020 : de la soumission à la libération

Dates clés 1804 – 2020 : de la soumission à la libération

  • 1804 Le Code civil consacre l’incapacité juridique totale de la femme mariée.
  • 1881 Les lois Jules Ferry instaurent l’enseignement primaire obligatoire, public et laïc, ouvert aux filles comme aux garçons.
  • 1924 Les programmes d’études dans le secondaire deviennent identiques pour les garçons et les filles, entraînant l’équivalence entre les baccalauréats masculin et féminin.
  • 1944 Les femmes obtiennent le droit de vote et l’éligibilité.
  • 1946 Le préambule de la Constitution pose le principe de l’égalité des droits entre femmes et hommes dans tous les domaines.
  • 1975 La loi du 11 juillet instaure le divorce par consentement mutuel.
  • 1981 Création d’un ministère des Droits de la femme.
  • 1995 Création d’un Observatoire de la parité entre les femmes et les hommes.
  • 2001 Suppression de l’autorisation parentale pour l’accès des mineures à la contraception.
  • 2006 L’âge légal du mariage, antérieurement fixé à 15 ans pour les femmes, est désormais identique à celui des hommes (18 ans).
  • 2010 Loi du 9 juillet instaurant le délit de harcèlement moral au sein du couple.
  • 2017 Le 13 octobre, lancement sur les réseaux sociaux des mots-dièse #BalanceTonPorc et #MeToo encourageant les femmes victimes d’agression ou de harcèlement sexuels à faire part de leurs témoignages.
  • 2020 Le 30 juillet, loi visant à protéger les victimes de violences conjugales. Les professionnels de santé sont autorisés à déroger au secret médical quand la victime de violences conjugales est en danger immédiat. Gratuité de la contraception aux mineures de moins de 15 ans.
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