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Interview du général Aussaresses à propos de la torture pendant la guerre d’Algérie

Institut national de l’audiovisuel

Proposé par Institut national de l’audiovisuel

Date de diffusion : 23 nov. 2000

Le présentateur du journal télévisé de vingt heures de France 2 Claude Sérillon s’entretient avec le général Paul Aussaresses, ancien coordinateur des services de renseignement à Alger en 1957. Paul Aussaresses reconnaît avoir participé à des exactions et d’avoir lui-même procédé à l’exaction de 24 Algériens. Il justifie le recours à la torture pendant la bataille d’Alger.

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Informations et crédits

Type de ressource :
Forme :
Collection :
Date de diffusion du média :
23 nov. 2000
Production :
INA
Page publiée le :
29 mai 2018
Modifiée le :
29 juin 2023
Référence :
00000001897

Contexte historique

Par Christophe Gracieux

La torture a été utilisée pendant la guerre d’Algérie par l’armée française comme une « arme de guerre, une violence employée à dessein, pour gagner » (Raphaëlle Branche, La Torture et l’armée pendant la guerre d’Algérie, Gallimard, 2001). Bien que couverte par les autorités militaires et politiques, elle est révélée à l’opinion française dès l’époque même du conflit. Des témoignages accablants sur le recours à la torture sont en effet publiés, dont La Question du militant communiste Henri Alleg et L’Affaire Audin de l’historien Pierre Vidal-Naquet, tous deux publiés en 1958 (voir Pierre Vidal-Naquet et son engagement contre la torture pendant la guerre d’Algérie).

Pourtant de 1962 au début des années 2000 la torture disparaît du débat public. Ce n’est véritablement qu’avec la publication le 20 juin 2000 dans Le Monde du témoignage de Louisette Ighilahriz, militante du FLN torturée de septembre à décembre 1957 à Alger par des parachutistes que la torture fait de nouveau irruption dans le débat public (voir Témoignages de victimes de la torture pendant la guerre d'Algérie).

Par la suite, les aveux du général Paul Aussaresses dans Le Monde du 23 novembre 2000 connaissent un très grand retentissement. Ancien combattant de la France libre puis en Indochine, où il a servi à la tête d’un bataillon parachutiste sous les ordres du général Pâris de Bollardière, Paul Aussaresses est appelé par le général Jacques Massu en 1957 pour assumer le rôle de coordinateur des services de renseignement. Dans cette fonction, il doit démanteler les réseaux du FLN pendant la bataille d’Alger.

Il accepte ainsi de s’entretenir à plusieurs reprises à l’automne 2000 avec la journaliste du Monde Florence Beaugé, qui avait déjà recueilli le témoignage de Louisette Ighilahriz. Dans son entretien paru dans Le Monde du 23 novembre 2000, le général Paul Aussaresses avoue « sans regrets ni remords » avoir recouru à la pratique de la torture en Algérie : « La torture ne m’a jamais fait plaisir mais je m’y suis résolu quand je suis arrivé à Alger. À l’époque, elle était déjà généralisée. Si c'était à refaire, ça m’emmerderait, mais je referais la même chose car je ne crois pas qu’on puisse faire autrement ». Il dit « personnellement » n’avoir « jamais torturé » mais reconnaît avoir procédé lui-même à l’exécution sommaire de 24 Algériens. « Si j’ai moi-même procédé à des exécutions sommaires, c’est que je voulais assumer ce genre de choses, pas mouiller quelqu’un d’autre à ma place », dit-il à Florence Beaugé. Dans l’entretien, il décrit ainsi les méthodes de l’armée française pendant la bataille d’Alger, et notamment des différents sévices pratiqués.

Dans l’ouvrage Services spéciaux. Algérie 1955-1957 paru en mai 2001 (Perrin), Paul Aussaresses va plus encore loin en légitimant le recours à la torture. Il fait en outre scandale en reconnaissant dans ce livre deux assassinats de deux responsables importants du FLN en mars 1957 après les avoir d’abord torturés : il avoue avoir fait procéder à l’exécution sommaire du militant du FLN Labri Ben M’Hidi, par pendaison maquillée en suicide, puis à celle de l’avocat Ali Boumendjel, par défenestration.

À la suite de ces révélations dans l’ouvrage Services spéciaux. Algérie 1955-1957, le président de la République Jacques Chirac se déclare « horrifié par les déclarations du général Aussaresses » et demande des sanctions disciplinaires à son égard. Le général Aussaresses est ainsi mis d’office à la retraite dès juin 2001 et suspendu de la Légion d’honneur. Il est également poursuivi par la justice pour complicité d’apologie de crimes de guerre. Il est ainsi condamné en janvier 2002 par le tribunal correctionnel de Paris à 7 500 euros d’amende, peine confirmée en appel en avril 2003. Puis par décret présidentiel du 14 juin 2005, il est exclu de l’ordre national de la Légion d’honneur.

Éclairage média

Par Christophe Gracieux

Cet entretien de Claude Sérillon avec le général Paul Aussaresses a été diffusé en direct le 23 novembre 2000 dans le journal télévisé de vingt heures de France 2. La rédaction de France 2 a en effet décidé d’inviter l’ancien coordinateur des services de renseignement à Alger en 1957 à la suite de la publication de ses aveux sur la torture la veille dans Le Monde. Au cours de son entretien sur le plateau de France 2, le général Aussaresses fait d’ailleurs référence à son interview dans Le Monde (« Je l’ai dit à la journaliste qui m’a interrogé »).

Cet entretien avec Claude Sérillon est précédé de trois reportages traitant de la pratique de la torture par l’armée française pendant la guerre d’Algérie. Le premier propose le témoignage de deux Algériens torturés par des soldats français dont celui de Louisette Ighilahriz, l’ancienne militante du FLN dont les révélations en juin 2000 ont permis de faire resurgir la question de la torture (voir Témoignages de victimes de la torture pendant la guerre d'Algérie).  Le second s’intéresse, lui, aux réactions face à la torture de deux soldats ayant combattu en Algérie, l’ancien appelé déserteur Noël Favrelière et l’ancien officier du renseignement Pierre-Alban Thomas. Enfin, le troisième sujet traite des réactions de la classe politique face aux révélations sur la torture.

L’entretien du général Aussaresses sur France 2 est exceptionnel à plusieurs titres. D’abord c’est la première fois qu’il témoigne des pratiques de la torture et des exécutions sommaires sur un plateau de télévision, qui plus est à une heure de grande écoute. L’interview dure plus de six minutes, même si seule la première moitié a été retenue dans l’extrait proposé ici.

L’indifférence qui se dégage du général Aussaresses apparaît également stupéfiante. L’œil bandé, à la suite d’une opération de la cataracte ayant échoué, portant encore la Légion d’honneur à la boutonnière de sa veste – il en sera suspendu en juin 2001 avant d’en être définitivement privé en juin 2005 –, Paul Aussaresses ne manifeste aucune émotion au cours de son interview. Il reconnaît d’ailleurs explicitement n’éprouver ni remords ni regrets d’avoir eu recours à la torture et aux exécutions sommaires. Il justifie même très calmement ce recours : « Nous n’avions pas le choix ». À aucun moment, il ne remet donc en cause cette pratique, estimant qu’elle visait des terroristes contre lesquels la justice se serait montrée impuissante. Ses réponses, très lapidaires, frappent également. Paul Aussaresses hausse même les épaules lorsque Claude Sérillon le questionne sur le nombre de personnes qu’il a exécutées lui-même.

Le présentateur du journal télévisé de France 2 se montre pourtant pugnace. Il débute ainsi l’interview par deux questions sans détour sur la participation de son invité à des actes de torture et à des exécutions sommaires. Il tente également à plusieurs reprises de pousser le général Aussaresses dans ses retranchements : « Vous devriez avoir des regrets, c’est pas comme ça qu’on mène la guerre », « les lois de la guerre autorisent la torture d’après vous ? », « vous exécutiez les gens très vite donc la justice n’avait pas le temps de s’en mêler. » Mais aucune de ces questions ou remarques ne parvient à faire sortir le général Aussaresses de son impassibilité et moins encore à le faire sortir de ses gonds.

Claude Sérillon le confronte même en vain à l’exemple de deux hommes « qui n’ont pas choisi comme [lui] d’exécuter ou de torturer », le général Jacques Pâris de Bollardière et Paul Teitgen. Le premier a demandé à être relevé de son commandement en Algérie en mars 1957, refusant la torture qu’il avait lui-même connue et combattue sous l’occupation nazie. S’exprimant ensuite dans L’Express à ce sujet, le général Pâris de Bollardière est condamné à soixante jours d’arrêt de forteresse. Ancien résistant et déporté, le secrétaire général de la police d’Alger Paul Teitgen a quant à lui démissionné en septembre 1957 afin de protester contre les actes de torture commis par les parachutistes du général Massu.

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