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La mémoire divisée des pieds-noirs

Institut national de l’audiovisuel

Proposé par Institut national de l’audiovisuel

Date de diffusion : 15 mars 2012

À Perpignan, deux femmes pieds-noirs visitent le Centre de documentation des Français d’Algérie et se rendent devant le Mur des disparus. Une stèle rend aussi hommage aux partisans de l’Algérie française et à des membres de l’OAS. Deux autres pieds-noirs dénoncent ces monuments. L’historien Benjamin Stora est interrogé sur les conflits entre les mémoires de la guerre d’Algérie.

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Informations et crédits

Type de ressource :
Forme :
Collection :
Date de diffusion du média :
15 mars 2012
Production :
INA
Page publiée le :
29 mai 2018
Modifiée le :
29 juin 2023
Référence :
00000001899

Contexte historique

Par Christophe Gracieux

Les « pieds-noirs », terme à l’origine incertaine désignant les Européens d’Algérie, formaient une communauté nombreuse. Quelque 984 000 Européens vivaient sur le sol algérien en 1954 lorsque la guerre a éclaté, représentant 10 % de la population totale. À partir du 19 mars 1962, ils quittent en masse l’Algérie (voir Les rapatriés d'Algérie). Cet exode pour la métropole concerne un million de personnes.

Devenus « les rapatriés d’Afrique du Nord », ils s’installent un peu partout en France mais leur choix se porte principalement sur les régions méditerranéennes. Selon Jean-Jacques Jordi, 400 000 rapatriés se sont établis dans le Sud-Est. Leur installation en France est difficile. Ayant tout abandonné en Algérie, ils se retrouvent pour la plupart sans ressources. Dans un premier temps, ils ne reçoivent qu’une allocation mensuelle de subsistance. Les rapatriés sont en outre accueillis avec méfiance en France et ne jouissent d’aucune reconnaissance officielle de leur statut de victimes. Le traumatisme du départ d’Algérie est accru par les violences qui ont endeuillé les pieds-noirs à partir de mars 1962, avec pour acmés la fusillade de la rue d’Isly du 26 mars 1962 (voir La fusillade de la rue d'Isly) et le massacre d’Oran le 5 juillet 1962.

Leur mémoire est rapidement prise en charge par des associations. Jusqu’au rapatriement de 1962, la plus importante d’entre elles est l’Association nationale des Français d’Afrique du Nord, d’outre-mer et leurs amis, fondée en 1957. Puis d’autres sont créées, dont l’Union syndicale de défense des intérêts des Français repliés d’Algérie, créée en 1965. Dans les années 1970 et 1980, des amicales géographiques, réunissant des rapatriés d’une même région, voient aussi le jour.

Ces associations luttent essentiellement pour l’indemnisation des pertes subies par les rapatriés et la reconnaissance de leurs souffrances. Elles obtiennent ainsi l’adoption d’une première loi d’indemnisation le 2 janvier 1978. Elles obtiennent aussi, dans la loi du 23 février 2005, la reconnaissance des « souffrances éprouvées » et des « sacrifices endurés par les rapatriés ».

La « nostalgérie » est très forte chez les pieds-noirs : la plupart cultivent la nostalgie d’une Algérie d’avant la guerre, idéalisée. Elle est plus particulièrement entretenue par le Cercle algérianiste, créé en 1973. Cette association, qui rejette le terme de « rapatriés » au profit du seul « pieds-noirs », se donne pour objectif, d’après ses statuts, de « sauver une culture et une communauté en péril ».

Les pieds-noirs ont aussi leurs lieux de mémoire. Ainsi, des milliers d’entre eux se réunissent chaque 15 août à l’église Notre-Dame d’Afrique de Carnoux-en-Provence, où figure depuis 1965 une Vierge noire réplique de celle de la basilique Notre-Dame d’Afrique d’Alger. Rémi Dalisson y voit « un hymne à la nostalgérie et à la culture rapatriée, mais aussi à la mémoire des traumatismes. ». Les pieds-noirs sont de même nombreux à se rendre en pèlerinage à l’Ascension à Nîmes devant la statue de Notre-Dame de Santa-Cruz, transférée d’Oran. Le Mur des disparus, édifié en 2007 à Perpignan, rend hommage à 2 619 Français disparus en Algérie entre 1954 et 1963. D’autres monuments célèbrent ouvertement les activistes de l’Algérie française, comme le mémorial des rapatriés, édifié à Nice en 1973.

Cultivant la nostalgie de l’Algérie française, la plupart des associations de rapatriés apparaissent ainsi engagées à droite ou à l’extrême droite. L’Association des pieds-noirs progressistes, créée en 2008, fait exception. Marquée à gauche, elle souhaite, selon ses statuts, « contribuer à faire connaître la réalité du régime colonial imposé à l’Algérie » et « œuvrer à une amitié sincère entre les peuples français et algérien ».

Bibliographie

  • Dalisson R., Guerre d’Algérie. L’impossible commémoration, A. Colin, 2018.
  • Jordi J.-J., De l’exode à l’exil. Rapatriés et pieds-noirs en France, L’Harmattan, 1993.

Éclairage média

Par Christophe Gracieux

Diffusé dans le « Soir 3 » de France 3 le 15 mars 2012, ce reportage consacré à la mémoire des pieds-noirs a été réalisé à l’occasion du cinquantième anniversaire de la signature des accords d’Évian. La présentatrice Patricia Loison rappelle d’ailleurs la prochaine commémoration de cet événement qui a mis fin à la guerre d’Algérie et entraîné le rapatriement en métropole d’un million de pieds-noirs.

Ce reportage a été tourné à Perpignan. Cette ville accueille en effet une population pied-noir nombreuse : environ 15 000 rapatriés s’y sont établis à leur arrivée en France en 1962. Perpignan accueille également deux lieux de mémoire des pieds-noirs très controversés, édifiés par le Cercle algérianiste : le Mur des disparus et le Centre de documentation des Français d’Algérie. Le premier, inauguré en 2007, rend hommage à certaines victimes françaises de la guerre d’Algérie. Il se compose d’une sculpture « à la mémoire des disparus morts sans sépulture » en Algérie entourée de deux plaques de marbre « à la mémoire des harkis » et de dix plaques de bronze sur lesquelles figurent les noms de 2 619 Français disparus en Algérie entre 1954 et 1963, auxquels s’ajoutent ceux de 400 appelés portés disparus au combat. Le Centre de documentation des Français d’Algérie, inauguré en 2012 à côté du Mur des disparus, réunit quant à lui des documents sur la colonisation française en Algérie fournis par des rapatriés. Ces deux lieux ont toutefois suscité de vives oppositions de la part des associations de défense de droit de l’homme, des partis et des associations d’anciens combattants de gauche.

Le reportage de France 3 propose des portraits croisés de pieds-noirs de Perpignan aux opinions opposées. Il vise ainsi à montrer les divisions qui parcourent les pieds-noirs. Dans un premier temps, le sujet suit deux femmes qui incarnent la « nostalgérie » : la journaliste les présente comme des femmes qui « s’attachent à l’image jaunie d’un pays qui n’existe plus, une Algérie du passé façonnée par la France. » Interrogées dans le Centre de documentation des Français d’Algérie et devant le Mur des disparus, elles évoquent en effet la « déchirure » que représente encore leur départ d’Algérie et leur amour pour ce pays perdu.

Une deuxième séquence présente un monument très controversé rendant hommage aux partisans de l’Algérie française condamnés par la justice. Il s’agit d’une stèle édifiée en 2003 dans le cimetière du Haut-Vernet, lui aussi à Perpignan. Sur ce monument figure la sculpture d’un homme attaché à un poteau d’exécution qui s’effondre, ainsi que l’inscription « aux fusillés, aux combattants tombés pour que vive l’Algérie ». Sur son socle est gravée la phrase « Terre d’Algérie ». Et une autre plaque comporte le nom de quatre membres de l’OAS, tous fusillés après avoir été condamnés à mort : Jean Bastien-Thiery, l’organisateur de la tentative d’assassinat du général de Gaulle au Petit-Clamart en août 1962, et trois autres membres des commandos Delta de l’OAS, Roger Degueldre, Albert Dovecar et Claude Piegts.

Une troisième séquence prend le contrepied des deux premières en offrant le portrait de deux autres pieds-noirs, Jacky Malléa et sa femme. Ceux-ci apparaissent en tous points opposés aux « nostalgériques ». Membre de l’Association nationale des pieds-noirs progressistes et leurs amis, fondée en 2008, Jacky Malléa défend ainsi le droit des Algériens à s’être battus pour leur  indépendance et le maintien de liens étroits de la France avec l’Algérie. Né à Guelma, Jacky Malléa « vit avec l’Algérie d’aujourd’hui » selon les mots de la journaliste. Il se différencie des autres pieds-noirs interrogés dans le reportage qui semblent encore vivre avec l’Algérie coloniale.

Immédiatement après le sujet, l’historien Benjamin Stora apporte son éclairage sur les mémoires divisées de la guerre d’Algérie. Invité sur le plateau de France 3, il intervient en tant que spécialiste incontournable de ce conflit.

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