« Verfügbar aux enfers » : Un manuscrit longtemps passé sous silence

Réseau Canopé

Proposé par Réseau Canopé

Interview de Christophe Maudot, auteur de la restitution musicale du Verfügbar aux enfers de Germaine Tillion. Dans cet extrait, Christophe Maudot évoque la volonté qu'avait longtemps eue Germaine Tillion de ne pas révéler sa composition, jusqu'à ce que, dans les années 1980, elle commence à y faire référence, au cours d'interviews, notamment télévisées.

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Informations et crédits

Type de ressource :
Forme :
Collection :
« Le Verfügbar aux enfers », de Germaine Tillion
Réalisation :
Zornitta Laura
Copyright :
2016
Année de production :
2016
Page publiée le :
12 juil. 2023
Modifiée le :
25 sept. 2023
Référence :
00000005442

Description

Par Réseau Canopé

Une opérette à Ravensbrück

Le Verfügbar aux enfers est une opérette-revue écrite clandestinement en 1944, par Germaine Tillion, alors détenue au camp de concentration de Ravensbrück.

Germaine Tillion était ethnologue. Plongée dans l’horreur de la détention, elle a su prendre le recul nécessaire pour observer et comprendre les règles de l’univers concentrationnaire qu’elle et ses camarades subissaient. Le rire étant la seule arme qui lui restait, elle a écrit cette œuvre très singulière, qui dépeint de façon inattendue l’enfer du camp. Des parties jouées s’entremêlent aux parties chantées, les paroles des musiques empruntées ayant été modifiées par Germaine Tillion et ses camarades de détention.

Éclairage

Par Réseau Canopé

Comment le manuscrit de l'opérette-revue est-il sorti du camp ?

C’est dans l’introduction à la seconde édition de Ravensbrück (Paris, éditions du Seuil, 1973. Éditions Famot pour la Suisse, 1973) aux pages 25 et 26 que l’on trouve les conditions dans lesquelles le manuscrit du Verfügbar aux enfers a pu sortir du camp. Ce texte a aussi été repris dans Fragments de vie, Paris, éditions du Seuil, 2009.

 

« Deux semaines plus tard, le 2 avril 1945, 299 Françaises furent libérées par l’intermédiaire de la Croix-Rouge internationale de Genève, mais les NN étaient exclues de cet échange; le 23 avril elles furent comprises dans les libérations organisées par la Croix-Rouge suédoise grâce aux négociations du comte Bernadotte.

Les prisonnières partirent cette fois avec les vêtements qu'elles avaient sur elles. Il y eut naturellement avant le départ des séries de fouilles, mais désordonnées, car celles qui venaient d'être fouillées parvinrent à se passer de main en main ce que celles qui allaient l'être, voulaient conserver. Deux «objets» clandestins plus remarquables que les autres échappèrent ainsi au contrôle: deux bébés français, les seuls survivants. Mes amies s'étaient réparties quelques-uns de mes papiers: ma petite Imitation de Jésus-Christ pleine de repères chronologiques traversa la fouille dans la poche de Danielle (Anise Postel-Vinay) ; une opérette que l'automne précédent j'avais écrite, cachée dans une caisse du kommando du Bekleidung, (elle s'intitulait Le Verfügbar aux enfers), fut prise en charge par Jacqueline d'Alincourt [...] J'emmenais, quant à moi, d'abord ce que j'avais noté pendant les derniers jours, ensuite les identités des principaux SS du camp (vaguement camouflées en recettes de cuisine) et, enfin, une bobine photographique non développée qui représentait les jambes des jeunes lycéennes sur lesquelles le Dr Gebhardt avait fait de la vivisection. Je la gardais dans ma poche depuis le 21 janvier 1944, mais, pour ne pas attirer l'attention en cas de fouille, j'avais enroulé tout autour de vieux bouts de laine ternes et crasseux. »

Bekleidung : Entrepôt des vêtements et des nombreux autres objets accumulés par le pillage des pays occupés par le Reich. Note d’Anise Postel-Vinay pour l’édition du Verfügbar aux enfers aux éditions de La Martinière : Ce butin remplissait de nombreuses halles, immenses : les prisonnières devaient en décharger et trier le contenu. Le butin arrivait par wagons entiers et les françaises avaient surnommé la colonne du Bekleidung: "les wagons".

 

 

À partir du mois de juillet 1945 et jusqu’en 2004, Germaine Tillion conservera, à son domicile, le manuscrit, estimant probablement pendant plusieurs années qu’il avait été utile et bienvenu en son temps, et en son lieu d’écriture, mais qu’il était devenu un témoignage de sa vie personnelle. Face aux récits des horreurs rapportées par les rares rescapés des camps de concentration nazis, le risque d’une lecture simpliste et erronée associée au négationnisme, au révisionnisme, et aux tentatives de falsifications historiques expliquent la conservation privée du manuscrit.

À son retour en France, et après une période difficile de plusieurs semaines consacrée à se réadapter à une vie normale, Germaine Tillion sera occupée à vérifier et établir des données scientifiques sur le système de Himmler.  Dans les jours qui suivirent notre libération par la Croix-Rouge suédoise j’ai pensé d’abord, intensément et désespérément, au gouffre.  Fragments de vie, textes rassemblés et présentés par Tzvetan Todorov, Paris, éditions du Seuil, 2009.

Elle suivra le procès de Pétain puis ceux des officiers nazis à Hambourg en 1946-1947 et à Rastatt en 1951. En 1946 sera publiée sa première étude sur Ravensbrück, À la recherche du vrai et du juste, numéro spécial des Cahiers du Rhône. Puis en 1973, la seconde édition considérablement remaniée et augmentée. En septembre 1965, une brève évocation de l’ouvrage sera faite dans le livre collectif Les Françaises à Ravensbrück rédigé par l’amicale de Ravensbrück et l’association des déportées et internées de la résistance pour la NRF Gallimard. Dans la réédition du 7 juin 2005 on lit à la page 243, Les récits et témoignages de nos compagnes parlent de recueils de poèmes écrits de mémoire, d’une feuille humoristique intitulée Le Verfügbar, qui circulait dans un groupe de N.N. à Ravensbrück.

Suite à sa publication en fac-similé par les éditions de La Martinière en mars 2005 le manuscrit original est aujourd’hui déposé au musée de la Résistance et de la Déportation de Besançon où se trouve également un fond conséquent de documents relatifs à l’arrestation, l’emprisonnement et la déportation de codétenues de Germaine Tillion.


Historique de la réapparition de l'ouvrage

Alors qu’il a été sorti du camp de Ravensbrück en 1945, il faudra attendre un certain nombre d’années avant que Germaine Tillion n’ose parler en public du Verfügbar aux enfers.

Une fois le texte édité, les théâtres s’intéressent au Verfügbar aux enfers et soixante-trois ans après son écriture, une première représentation a lieu au théâtre du Châtelet, la restitution musicale est opérée par Christophe Maudot.

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