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Des Jeux olympiques pour la paix, vraiment ?

Copyright de l'image décorative: © Collection F. Grob/Kharbine-Tapabor

Par Axelle Szczygieljournaliste
Publication : 20 mars 2024 | Mis à jour : 27 mars 2024

Niveaux et disciplines

Pierre de Coubertin en était convaincu : le sport, pratiqué au niveau international, peut contribuer à développer la compréhension, le respect et la paix entre les peuples… tout en préparant de futurs soldats ! Un étonnant paradoxe qui l’a conduit à œuvrer d’arrache-pied à la restauration des Jeux olympiques, sur le modèle des premiers Jeux antiques. 

 

Nous sommes en 884 avant notre ère, en Grèce. Iphitos, roi d’Élide, cherche à mettre un terme aux violences qui ravagent le Péloponnèse. Désemparé, il consulte la pythie de Delphes. Ce qu’elle lui suggère ? Restaurer les concours sportifs à Olympie et en faire une célébration de la paix ! Revenu à Olympie, Iphitos s’exécute et organise les premiers Jeux olympiques. Il en profite pour signer un accord de paix avec Lycurgue, de Sparte, et Cléosthène, de Pisa. C’est la trêve olympique : du septième jour avant l’ouverture jusqu’au septième jour après la clôture, toutes les hostilités sont suspendues à Olympie pour permettre à chacun de venir assister ou participer aux Jeux en toute sécurité.

Si les premières traces officielles des Jeux olympiques ne remontent en réalité qu’à 776 avant J.-C., la légende d’Iphitos n’en traduit pas moins l’idéal olympique, jamais remis en cause sur le papier depuis : bâtir un monde meilleur, par le sport.

Ces deux vidéos permettent de se faire une idée de ces tout premiers Jeux olympiques : une compétition de cinq jours pendant laquelle l’épreuve du pentathlon est particulièrement mise à l’honneur (course de stade, saut en longueur, lancer du disque et du javelot, lutte). On y apprend aussi que les vainqueurs ne reçoivent pas de médaille, mais une simple couronne d’olivier.

Date de la vidéo: 2014

Les premiers Jeux olympiques

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En 392, lorsque les célébrations païennes sont interdites dans l’Empire romain – qui a adopté le christianisme comme religion officielle au début du IVe siècle – les Jeux tombent dans l’oubli.

Le renouveau de l’esprit olympique

Au cours du XIXe siècle, on tente à plusieurs reprises de restaurer des Jeux olympiques en Grèce, en France ou en Angleterre. En vain. Jusqu’à ce que le baron Pierre de Coubertin s’en mêle. Ce pédagogue français, qui pratique notamment la boxe, l’équitation ou l’escrime, est convaincu que le sport joue un rôle central dans le développement d’un individu et qu’il faut donc augmenter sa place dans le système éducatif français. Sous sa houlette est créée, en 1889, l'Union des sociétés françaises de sports athlétiques. 

Pierre de Coubertin

Photo en noir et blanc de Pierre de Coubertin

Pierre de Coubertin. © George Grantham Bain collection, Library of Congress.

 

Étape suivante : internationaliser le sport pour le rendre encore plus populaire. La portée de la redécouverte du site d’Olympie entre 1875 et 1881 par l’archéologue allemand Ernst Curtius achève de convaincre le baron de relancer la machine olympique.

Son parcours est semé d’embûches (notamment à cause des nombreuses rivalités entre États en Europe), mais aboutit à la création, en 1894 à Paris, du Comité international olympique (CIO), qui va œuvrer à la restauration des Jeux.

« Les guerres éclatent parce que les nations se comprennent mal. Nous n'aurons pas la paix tant que les préjugés qui séparent aujourd'hui les différentes races n'auront pas disparu. Pour y parvenir, quoi de mieux que de réunir périodiquement les jeunes de tous les pays pour des épreuves amicales de force musculaire et d'agilité ? »

Pierre de Coubertin, 1894.

 

Les premiers Jeux olympiques modernes se déroulent deux ans plus tard en Grèce, à Athènes. 

Le 6 avril 1896, devant plus de 60 000 spectateurs, s’ouvre la première édition des Jeux olympiques modernes, réunissant 241 sportifs issus de 14 pays différents. Les Jeux suivants se dérouleront à chaque fois dans une ville et un pays différents. Au fur et à mesure, un cérémonial va se mettre en place : les anneaux olympiques, le serment des athlètes, la remise des médailles sur un podium…

• Porté par des idéaux d'universalité et de sportivité, les Jeux olympiques renaissent de leurs cendres et la première édition moderne se tient en 1896 en Grèce. Retour sur cette renaissance au travers de cette vidéo.

• Cet article de notre partenaire Retronews revient sur les premiers Jeux modernes à Athènes en 1896.

Les Jeux olympiques modernes sur le site Retronews

Capture d'écran de la page que le site Retronews consacre aux premiers Jeux olympiques modernes.

Prôner la paix… en préparant la guerre

Paradoxalement, ces Jeux pacifiques sont aussi une façon de former de futurs soldats. En cette fin de XIXe siècle, la France est encore traumatisée par sa défaite face à l’Allemagne en 1870. Pour beaucoup, c’est une évidence : la préparation physique des jeunes Allemands a été déterminante. D’où la volonté de Pierre de Coubertin de favoriser le sport et l’éducation physique pour préparer les jeunes Français à la revanche ! 

« Les sports ont fait fleurir toutes les qualités qui servent à la guerre. Insouciance, belle humeur, accoutumance à l'imprévu, notion exacte de l'effort à faire sans dépenser des forces inutiles. Le jeune sportsman se sent évidemment mieux préparé à partir que ne le furent ses aînés et, quand on se sent préparé à quelque chose, on le fait plus volontiers. »

Pierre de Coubertin, en 1912, deux ans avant la Première Guerre mondiale.

C’est à ce moment-là qu’est intégré le pentathlon moderne dans les disciplines olympiques (équitation, escrime, tir, natation et cross). « Le baron citait l’image d’un agent de liaison qui, perdant son cheval en territoire ennemi, devait se défendre avec son épée et son pistolet, traverser un cours d’eau à la nage et courir se réfugier dans son propre camp. Discipline sportive ou entraînement militaire ? » s’interroge Pascal Boniface, directeur de l’Institut de relations internationales et stratégiques de Paris, dans JO politiques : sport et relations internationales (éditions Eyrolles, 2016). Une chose est sûre : les Jeux n’ont pas empêché les guerres ! Les Jeux de 1916 ont même été annulés pendant la Première Guerre mondiale, tout comme ceux de 1940 et 1944 pendant la seconde.

Le retour de la trêve olympique

Depuis 1993, l'Assemblée générale des Nations unies adopte par consensus tous les deux ans – un an avant chaque édition des Jeux olympiques – une résolution intitulée « Pour l'édification d'un monde pacifique et meilleur grâce au sport et à l'idéal olympique ». L’idée est d’inviter ses États membres à respecter la trêve olympique et à chercher, conformément aux buts et principes de la Charte des Nations unies, le règlement de tous les différends internationaux par des moyens pacifiques et diplomatiques. Un engagement surtout symbolique. 

« L’idée même de trêve olympique est ambiguë. Interrompre une guerre pour mieux la reprendre n’est guère satisfaisant. Ce ne sont pas les JO qui vont amener la paix mondiale. En revanche, ils peuvent contribuer à développer les contacts internationaux et les relations pacifiques. »

Pascal Boniface, JO politiques : sport et relations internationales, éditions Eyrolles, 2016.

Un prétexte pour apaiser les tensions

Faire concourir les deux Allemagnes, RFA et RDA, dans une seule et même équipe ? En pleine guerre froide, cela paraissait impensable. Et pourtant ! En 1956, à Melbourne, contraints de présenter une équipe commune, les deux comités olympiques allemands ont bel et bien défilé derrière le même drapeau ! Toutefois, à partir de 1968, les deux délégations seront de nouveau séparées.

Pas de trêve olympique, en revanche, entre les deux Corées en 1988. La Corée du Nord a en effet choisi de boycotter les Jeux de Séoul, prétextant un rejet de sa demande d’accueillir la moitié des épreuves. Si le coup de projecteur sur la Corée du Sud à l’occasion des Jeux n’a pas permis un rapprochement avec son voisin du Nord, il a néanmoins contribué à apaiser les tensions à l’intérieur même du pays.

Ce reportage de France 3 Lorraine, datant de juin 1987, fait le point sur la préparation des Jeux olympiques à Séoul. L’occasion d’évoquer les manifestations massives en faveur de la démocratisation de la Corée du Sud qui viennent de se dérouler. Un membre du CIO interviewé par le journaliste estime que ces événements ne remettent pas en cause la tenue des Jeux. De fait, ne voulant pas recourir à la violence juste avant les JO de 1988, le régime militaire en place a finalement accepté les principales revendications des manifestants, notamment l’instauration d’une élection présidentielle directe.

 

Changement d’ambiance entre les deux Corées trente ans plus tard : Coréens du Nord et du Sud acceptent de défiler ensemble sous une même bannière représentant une Corée unifiée à l'occasion des Jeux olympiques d'hiver qui se sont déroulés à PyeongChang en 2018.

Cette courte vidéo d’animation de la série Geopoliticus permet de comprendre l’évolution des relations entre la Corée du Nord et la Corée du Sud, de 1945 à l’organisation des Jeux olympiques de 2018.

Date de la vidéo: 2019 Collection:  - Géopoliticus

Les deux Corées

 

À travers l’histoire des Jeux modernes, le CIO a par ailleurs tenté de défendre un certain idéal de paix en utilisant un autre instrument : l’exclusion. Les vaincus de la Première Guerre mondiale (Allemagne, Autriche, Hongrie, Turquie, Bulgarie) ont ainsi été exclus des Jeux d'Anvers en 1920, puis les vaincus de la seconde (Allemagne et Japon) n’ont pas été conviés à ceux de Londres en 1948. À l’inverse, l’attribution des jeux de 1960 à Rome, puis de 1964 à Tokyo ont été le signe symbolique d’un pardon accordé aux vaincus de la Seconde Guerre mondiale. L'Afrique du Sud de l'apartheid (de 1964 à 1988) est un autre cas célèbre d’exclusion, tout comme celui de la Yougoslavie qui n’a pas été autorisée à disputer les Jeux de Barcelone en 1992, en conséquence de la guerre dans les Balkans et des sanctions décidées par l'ONU.

Pour aller plus loin

• Accordée à l'Allemagne en 1931 en signe de réconciliation après le premier conflit mondial, la XIe olympiade de l'ère moderne qui se tient à Berlin en août 1936 porte pourtant en elle les germes d'une nouvelle guerre. Hitler, au pouvoir depuis trois ans, entend se servir des Jeux olympiques pour promouvoir la supériorité de la race aryenne et le pouvoir nazi. 

Date de la vidéo: 2023 Collection:  - La Grande Explication

1936 : Les Jeux olympiques de Berlin

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• Et si le sport constituait désormais un outil politique à l'échelle mondiale ? Des Jeux olympiques, perçus comme le reflet de la puissance des États, aux guerres qui se prolongent sur les terrains de sport, Le Dessous des cartes montre qu’il existe bel et bien une géopolitique du sport à l’heure de la mondialisation et du soft power.

Date de la vidéo: 2017 Collection:  - Le Dessous des cartes

Quand le sport est politique

• Pierre de Coubertin ressuscite les Jeux olympiques à la fin du XIXe siècle en faisant de cette vieille coutume de la Grèce antique une compétition mondiale. Mais, tout au long du du XXe siècle et jusqu'à nos jours, les Jeux olympiques se sont transformés en une vitrine du pouvoir, aussi bien politique qu'économique. 

• Officiellement, les Jeux olympiques n'ont rien à voir avec la politique. Mais c'est faux ! À travers les temps, nous pouvons voir que les Jeux olympiques ont été plusieurs fois marqués par des boycotts, des manifestations et des scandales.

Date de la vidéo: 2014

Jeux olympiques et politique

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