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JO de Berlin en 1936 : l'Allemagne affirme sa puissance

Copyright de l'image décorative: © Popperfoto via Getty Images / Getty Images

Arrivée de la flamme olympique lors de la cérémonie d'ouverture. Le stade est entouré de croix gammées.
Par Axelle Szczygieljournaliste
Publication : 20 mars 2024 | Mis à jour : 28 mars 2024

Niveaux et disciplines

Une image forte, celle d’un athlète allemand blond enlaçant son adversaire noir américain, Jesse Owens. Et une phrase, prononcée par ce dernier : « Vous pouvez prendre toutes les médailles et les coupes que j’ai gagnées, elles ne vaudraient pas grand-chose comparées à l’amitié en 24 carats que j’ai éprouvée pour Lutz Long. » C’est ce témoignage de fraternité qu’on aimerait retenir des Jeux olympiques de 1936. Mais, dans la mémoire collective, ils sont surtout restés comme un sommet de l’instrumentalisation politique du sport.

Retour en arrière : nous sommes en 1931 et le CIO décide de confier les Jeux de 1936 à la république de Weimar, en signe d’apaisement international. Plus de dix ans après la fin de la Première Guerre mondiale, « la tenue de l’olympiade doit saluer la respectabilité retrouvée de l’Allemagne » qui s’est « engagée dans un processus de normalisation de relations avec ses voisins », explique Pascal Boniface, directeur de l’Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS) dans son ouvrage JO politiques, Sports et relations internationales (éditions Eyrolles, 2016). Mais la crise économique, politique et sociale qui va porter Hitler au pouvoir en 1933 change la donne.

Dans cet extrait du Triomphe de la volonté (Triumph des Willens), film de propagande nazie sorti en 1935, Adolf Hitler prononce un discours devant 16 000 personnes dans lequel il rappelle notamment les principes fondateurs de l'idéologie nazie : nationalisme, pangermanisme, racisme et expansionnisme.

L’instrumentalisation du corps aryen

Dès le départ, le sport tient une place importante dans l’idéologie nazie. « La promotion du mythe de la supériorité raciale allemande passe par les prouesses physiques et les exploits sportifs », indique Pascal Boniface. Dès avril 1933 est mise en place une politique d’aryanisation dans toutes les organisations sportives allemandes : les Juifs et les Tsiganes en sont exclus. « Le culte du corps et de la performance physique est également mis en valeur à travers le lien revendiqué entre l’Allemagne nazie et la Grèce antique » indique le chercheur. Or, le IIIe Reich se dit l’héritier légitime de la Grèce qui se trouve être… le berceau des Jeux olympiques.

Le Führer va logiquement vouloir faire des Jeux de 1936 une démonstration de la puissance allemande, y consacrant pas moins de 20 millions de marks, une somme très importante pour l’époque. C’est pour lui « une double opportunité : assurer la promotion du régime en interne et le rayonnement de la puissance allemande à l’extérieur », selon Pascal Boniface.

Des Jeux grandioses et une politique raciste sous le tapis

Lors de la cérémonie d’ouverture, l’entrée d’Hitler se fait au son de la marche de Wagner et cent mille bras se dressent dans les tribunes pour le salut nazi. Proche du salut romain (bras tendu en face de soi), le « salut de Joinville » (bras droit replié, puis tendu sur le côté) fut choisi par Pierre de Coubertin comme salut olympique pour les athlètes à partir des Jeux d’Anvers (Belgique), en 1920. Mais, en 1936, ce salut est l’objet d’une terrible méprise : lors de la cérémonie d’ouverture, en passant devant la tribune officielle, les athlètes de la délégation française lèvent leur bras droit. Prenant ce geste pour un salut nazi (bras et main droite tendus, fréquemment accompagné de la formule Heil Hitler, soit Salut à Hitler), les spectateurs ovationnent les Français. Hitler exulte.

En 1936 est par ailleurs inauguré le rituel de relais de la flamme olympique : quelques mois avant les Jeux, elle est allumée à Olympie, en Grèce, puis relayée à travers le monde jusqu’à Berlin.

Comme Hitler entend aussi rassurer l’Europe et les États-Unis sur ses intentions en donnant l’image d’une Allemagne pacifique et tolérante, tout est mis en œuvre pour camoufler la violence de sa politique raciste. Les autorités allemandes autorisent ainsi l’escrimeuse juive Hélène Mayer à représenter l’Allemagne pendant la compétition. De même, c’est un Juif, Wolfgagn Fürstner, qui a été désigné directeur du village olympique.

Cet épisode de La Grande Explication revient sur cette « grande illusion » préparée pendant trois ans par le IIIe Reich, indiquant que tout a été « soigneusement orchestré pour rassurer les dizaines de milliers de visiteurs étrangers sur la nature respectable du régime ». Le temps des Jeux, les affiches antisémites ont par exemple été retirées des murs de la ville.

Date de la vidéo: 2023 Collection:  - La Grande Explication

1936 : Les Jeux olympiques de Berlin

Des athlètes trouble-fêtes

Durant les Jeux, l’Allemagne glane pas moins de 89 médailles, dont 33 en or. C’est un triomphe. Un athlète vient toutefois perturber les plans d’Hitler. Jesse Owens, un Noir américain de 23 ans, remporte quatre titres olympiques en athlétisme. « Son succès cadre mal avec une manifestation devant servir de propagande aux thèses sur la supériorité de la race blanche sur les Juifs et les Noirs », selon Pascal Boniface. Pire : sous les yeux d’Hitler, son adversaire, Lutz Long, qu’il a battu dans l’épreuve du saut en longueur, lui donne l’accolade. Un geste de fraternité qui vaudra à l’Allemand d’être vertement réprimandé par Rudolf Hess, un des plus proches collaborateurs de Hitler. Et alors que les athlètes de haut niveau, protégés par le IIIe Reich, n'étaient habituellement pas envoyés au front, Lutz Long, lui, sera mobilisé dans la Wehrmacht et mourra en Sicile en 1943. À l’issue des Jeux, Owens ne recevra pas non plus dans son  pays les honneurs mérités. À l’aube de nouvelles élections présidentielles, le président démocrate Franklin Roosevelt craint en effet de perdre des voix dans les États du Sud, où la ségrégation raciale a encore cours à l'époque.

 

Toutefois Hitler n’aura pas tout à fait atteint son but : « La tenue des Jeux à Berlin a suscité de nombreux commentaires et débats sur la nature du régime nazi », selon Pascal Boniface. En témoignent notamment les nombreux appels au boycott en amont de la compétition ou encore la tentative d’organisation d’olympiades populaires à Barcelone en Espagne : des « contre-JO nazis » auxquels étaient attendus plus de 6 000 participants qui ont finalement été annulés à la dernière minute à cause de la guerre civile.

Pour aller plus loin

• Ce documentaire d'ARTE revient, en près de 90 minutes, sur cet été 1936 où, grâce aux Jeux olympiques, Berlin offre au monde l’image d’une Allemagne ouverte et pacifique. Les Allemands brillent par leur raffinement, les policiers par leur plurilinguisme. Et le maître de ce pays de cocagne, Adolf Hitler, apparaît comme un despote éclairé… Cette vitrine grandiose cache pourtant les intentions destructrices des nazis.

Date de la vidéo: 2018

Les Jeux d'Hitler - Berlin 1936

• Notre partenaire Retronews propose un dossier aux Jeux olympiques de 1936.

Capture d'écran du site Retronews. Il propose un dossier intitulé "Les Jeux olympiques de Berlin en 1936".

• Et si le sport constituait désormais un outil politique à l'échelle mondiale ? Des Jeux olympiques, perçus comme le reflet de la puissance des États, aux guerres qui se prolongent sur les terrains de sport, Le Dessous des cartes montre qu’il existe bel et bien une géopolitique du sport à l’heure de la mondialisation et du soft power.

Date de la vidéo: 2017 Collection:  - Le Dessous des cartes

Quand le sport est politique

• Officiellement, les Jeux olympiques n'ont rien à voir avec la politique. Mais c'est faux ! À travers les temps, nous pouvons voir que les Jeux olympiques ont été plusieurs fois marqués par des boycotts, des manifestations et des scandales.

Date de la vidéo: 2014

Jeux olympiques et politique

• Pierre de Coubertin ressuscite les Jeux olympiques à la fin du XIXe siècle en faisant de cette vieille coutume de la Grèce antique une compétition mondiale. Mais, tout au long du du XXe siècle et jusqu'à nos jours, les Jeux olympiques se sont transformés en une vitrine du pouvoir, aussi bien politique qu'économique.

• Pierre de Coubertin en était convaincu : le sport, pratiqué au niveau international, peut contribuer à développer la compréhension, le respect et la paix entre les peuples… tout en préparant de futurs soldats ! Un étonnant paradoxe qui l’a conduit à œuvrer d’arrache-pied à la restauration des Jeux olympiques, sur le modèle des premiers Jeux antiques. 

• En 1920, Adolf Hitler prend la tête du NSDAP, le parti nazi. Ce mouvement d’extrême droite, antisémite et ethno-nationaliste, suscite alors peu d’engouement. Pourtant, en treize années, le NSDAP et Adolf Hitler vont se hisser à la tête d’une des plus grandes puissances d’Europe. Comment Hitler est-il devenu le Führer, le guide de l’Allemagne ? Comment le NSDAP, ce groupuscule, est-il devenu le parti dominant du IIIe Reich ?

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