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Qu’est-ce que la ségrégation raciale aux États-Unis ?

Copyright de l'image décorative: © Russell Lee, Public domain, via Wikimedia Commons

Par Véronique Chalmetécrivaine et journaliste spécialisée en histoire
Publication : 28 août 2023 | Mis à jour : 19 déc. 2023

Niveaux et disciplines

Faut-il, oui ou non, abolir l’esclavage ? Cette question est à l’origine de la guerre de Sécession, cette guerre civile qui a déchiré les États-Unis de 1861 à 1865. En novembre 1860, le candidat républicain Abraham Lincoln est élu à la présidence du pays avec 39,8 % des suffrages. Il est farouchement anti-esclavagiste et souhaite donc abolir l’esclavage, ignoble institution qui a cours depuis plus de 260 ans et qui soumet, en 1860, plus de 4 millions de Noirs à une existence marquée par le malheur. Toute l’économie agricole de onze États du Sud (la Confédération, qui regroupe l'Alabama, l'Arkansas, la Floride, la Géorgie, la Louisiane, le Mississippi, la Caroline du Nord, la Caroline du Sud, le Tennessee, le Texas, la Virginie) repose sur cette main d’œuvre servile. Voyant l’élection d’Abraham Lincoln comme une menace pour leur mode de vie, les États confédérés décident de faire sécession. C’est le début d’un conflit fratricide qui durera cinq ans et se soldera par la victoire des États du Nord sur le sud esclavagiste.

Le destin des Noirs américains bascule : le 6 décembre 1865, le 13e amendement de la Constitution des États-Unis supprime l'esclavage dans tout le pays. Mais il ne suffisait pas d'émanciper les esclaves, encore fallait-il prévoir leur intégration dans la société américaine... Le problème, c'est que rien n'a été prévu en ce sens. À l'époque, rares sont les politiques ou les notables prêts à défendre l'égalité des Noirs et des Blancs. Et plus rares encore sont ceux disposés à leur accorder les mêmes droits !

Le sud des États-Unis reste obstinément nostalgique de son passé esclavagiste. Ainsi, des Black codes (« codes noirs ») sont localement mis en place après 1865 pour limiter les droits civiques et les libertés fondamentales des esclaves affranchis : les Noirs ne sont pas considérés comme de véritables citoyens américains, mais ils sont généralement assimilés à des biens meubles ou à des animaux. De 1877 à 1964, dans les anciens États confédérés, les lois Jim Crow [1] Jim Crow désigne le personnage fictif et caricatural d'une chanson de 1828, incarné par un comédien blanc maquillé en noir, dans un spectacle raciste tournant les Noirs en ridicule. départissent les Noirs américains de leurs droits fondamentaux. En 1896, un arrêt de la Cour suprême crée un précédent en reconnaissant officiellement des lois ségrégationnistes, qui vont alors s'ancrer pour longtemps dans la société et les mentalités. Les lois Jim Crow relèguent les Noirs au rang de citoyens de seconde zone...

Les Noirs sont en effet séparés des Blancs dans les transports en commun, mais aussi dans les écoles, toilettes, hôpitaux, églises, logements, prisons, pompes funèbres et cimetières. Leur liberté d'expression est réduite à néant, certains États exigent des manuels scolaires séparés pour les étudiants noirs et pour les étudiants blancs. La Nouvelle-Orléans rend obligatoire la ségrégation des prostituées selon leur couleur de peau. Dans les tribunaux d'Atlanta, les Afro-Américains doivent prêter serment sur une Bible différente de celle des Blancs. Tout mariage ou cohabitation entre Blancs et Noirs est évidemment interdit. À ces règlements s'ajoutent différents usages : un Noir ne doit pas regarder une Blanche, il doit ôter son chapeau, ne jamais contredire un Blanc, etc. « Monsieur » ou « Madame » sont des titres de civilité réservés aux Blancs, qui appellent les Noirs par leur prénom plutôt que par leur nom de famille. Globalement, dans les anciens États sécessionnistes, tout est organisé pour priver la population afro-américaine de toute marque de respect, pour l'infantiliser et la soumettre par la terreur. Ceux qui tentent de défier les lois Jim Crow s'exposent à des arrestations et des violences allant jusqu'au meurtre.

De 1877 à 1950, 3 959 Afro-Américains auraient ainsi été lynchés dans 12 États du sud. Le nombre réel de ces meurtres est probablement beaucoup plus élevé et non répertorié, car la haine peut se déclencher pour un rien – bousculer un Blanc dans la rue peut suffire. La plupart de ces exécutions sommaires sont annoncées dans les journaux. Ce jour-là, pas d'école, car c'est un « spectacle » où on se rend souvent en famille. Après les exécutions, des cartes postales avec photo des cadavres sont vendues comme souvenirs [2] Source : https ://jimcrowmuseum.ferris.edu/what.htm .

Le Ku Klux Klan, club raciste et ultra-violent

À l'appareil coercitif que constituent les lois Jim Crow s'ajoute donc cette terreur que font régner les Blancs conservateurs et racistes du sud sur les Noirs. Pour l'exercer de manière organisée dès la seconde moitié des années 1860, ils forment des clubs paramilitaires tels que le Ku Klux Klan, fondé lors de l'hiver 1865 par six officiers sudistes démobilisés à Pulaski (Tennessee). Les klansmen se réunissent la nuit pour commettre en cachette diverses exactions : incendie des églises et écoles noires, lynchages, assassinats ciblés. On trouve des membres du Klan dans toutes les catégories socioprofessionnelles. Le KKK est aujourd'hui encore toujours actif, avec environ 30 000 adhérents.

Cet ancrage de la violence raciste dans la société américaine s'exprime sans fard en 1962 dans une enquête de l'émission Cinq Colonnes à la une : « Dans le delta du Mississippi, la guerre de Sécession n'a pas cessé ! », explique le journaliste en préambule. Un an avant la marche sur Washington, Camilla Brown, une sudiste interviewée, assume son racisme sans complexe envers ceux qu'elle appelle avec mépris « les Nègres ». Et pour elle comme pour tous les autres ségrégationnistes, les militants des droits civiques ne sont que des « agitateurs » dont la légitimité des revendications leur échappe. La déségrégation n'est pas une mesure « convenable » à ses yeux.

En 1966, trois ans après la marche sur Washington, les suprémacistes blancs tentent encore d'enrayer le processus de déségrégation :

Aujourd'hui, la ségrégation raciale n'existe plus officiellement aux État-Unis. En revanche, les défenseurs des droits de l'homme dénoncent un racisme systémique. Dans son rapport 2023, l'ONG Human Rights Watch déplore « l'inaction du Congrès » face à cette situation, « dans un contexte de hausse continue des crimes haineux » à caractère raciste.

Pour aller plus loin

• « Mississippi Goddam » : Nina Simone et le mouvement pour les droits civiques. Cette piste pédagogique en anglais s'adresse aux lycéens. Une première vidéo permet de découvrir la vie de Nina Simone, puis une seconde vidéo invite à étudier les paroles de la chanson « Mississippi Goddam ». Ce travail permettra aux élèves de faire des recherches sur le Civil Rghts Movement, le mouvement pour les droits civiques aux États-Unis.

• La marche sur Washington pour l'emploi et la liberté du 28 août 1963, encore appelée marche pour les droits civiques, marque un tournant décisif dans la lutte pour les droits civiques des Noirs, cent ans après l'abolition de l'esclavage par Abraham Lincoln (1809-1865), le 18 décembre 1865. 

 

• Ce mercredi 28 août 1963, à 16 heures, le pasteur Martin Luther King s'avance devant le micro pour conclure la marche sur Washington. Il se lance et détaille ses aspirations pour une Amérique où Blancs et Noirs auraient les mêmes droits : « Je fais un rêve... », scande-t-il...

 

• Si la journée de mobilisation pour les droits civiques des Noirs aux États-Unis de l'été 1963 a ouvert la voie à l'intégration raciale, dans les faits, l'égalité de tous les citoyens américains reste un idéal difficile à atteindre. Ségrégation dans les lieux publics, mariages mixtes, droits de vote, violences policières... Quelles avancées réalisées ? Quels combats reste-t-il à mener ?

 

• Enfant, sa mère lui disait : « Jamais tu ne dois avoir le sentiment que tu vaux moins que quiconque. » Alors, une fois adulte, Martin Luther King, porté par cette phrase, s'est battu à son tour pour que les Noirs, au sud des États-Unis comme au nord, aient les mêmes droits que les Blancs. Retour sur le parcours exceptionnel d'un homme qui a tout fait pour que son rêve – celui d'une Amérique plus égalitaire et plus juste – devienne réalité.

Niveaux: Cycle 4 - Lycée général et technologique - Lycée professionnel

Qui était Martin Luther King ?

 

• Le 1er décembre 1955, une femme de 42 ans rentre chez elle après une rude journée de travail, à Montgomery (Alabama). Rosa Parks s’assied à l'arrière du bus, dans la section réservée aux Noirs. Mais le chauffeur décide de déplacer le panneau qui marque la séparation entre Noirs et Blancs : « Bouge, la négresse ! » ordonne-t-il à Rosa, qui refuse de se déplacer. Par son refus, elle devient le symbole de la rébellion au racisme aux États-Unis.

Niveaux: Cycle 4 - Lycée général et technologique - Lycée professionnel

Qui était Rosa Parks ?

 

• De l'arrivée du premier bateau négrier en Virginie en 1619 à l'assassinat de Martin Luther King en 1968, retour sur 150 ans de relations entre Noirs et Blancs aux États-Unis et sur la lutte pour les droits civiques.

 

• L'épisode de La Grande Explication consacré à l'assassinat de Martin Luther King revient sur le parcours du pasteur et sur le célèbre discours qu'il a prononcé lors de la marche sur Washington.

Date de la vidéo: 2018 Collection:  - La Grande Explication

L'assassinat de Martin Luther King

 

• À consulter également :

Visuel du mouvement des droits civiques aux États-Unis - Lumni.fr

Retrouvez également le dossier édité par lumni.fr sur le mouvement des droits civiques aux États-Unis. Il revient sur le parcours d'artisans de la liberté comme Martin Luther King, Rosa Parks ou Malcom X.

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