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Qu’est-ce que la marche sur Washington pour les droits civiques ?

Copyright de l'image décorative: © AFP

Par Véronique Chalmetécrivaine et journaliste spécialisée en histoire
Publication : 25 août 2023 | Mis à jour : 19 déc. 2023

Niveaux et disciplines

Le mercredi 28 août 1963, une marée humaine converge dans le calme vers la capitale fédérale américaine, Washington DC : citoyens noirs et blancs sont venus de tout le pays, en bus, en voiture ou en avion (et même, dit-on, en patins à roulettes !) pour soutenir la cause de l'égalité raciale. Il s'agit de faire pression sur le Congrès – chargé d’élaborer, de discuter et de voter les lois – pour que soit enfin voté le Civil Rights Act proposé par le président Kennedy le 28 février 1963. Ce programme prévoit la déségrégation des établissements publics du secteur privé (hôtels, restaurants, théâtres, cinémas, grands magasins et petits commerces), la déségrégation de l'enseignement public, la non-discrimination à l'embauche et l'accès à une meilleure qualification professionnelle de la main-d’œuvre noire. [1] Source : https ://www.jfklibrary.org/learn/education/teachers/curricular-resources/strategies-for-support-jfk-and-the-civil-rights-act-of-1963 La marche pour l'emploi et la liberté a été nommée ainsi pour attirer l'attention de tous les Américains sur la paupérisation des Noirs, attisée par la discrimination à l'embauche : en 1963, 5 % des Blancs sont au chômage contre près de 11 % des Noirs...[2] Source : https ://www.epi.org/publication/unfinished-march-overview  

Date de la vidéo: 2017 Collection:  - Mystères d'archives

1963 : La marche sur Washington

Les Noirs veulent la même chose que ce qu'ont les Blancs

Cette manifestation sans précédent a été organisée en un temps record – trois mois ! –  par les dix principales associations contre la discrimination raciale. Tout a commencé au printemps 1963 : Asa Philip Randolph (1889-1979), leader du mouvement des droits civiques et fondateur du premier syndicat de travailleurs afro-américains, veut organiser une grande manifestation à Washington : « Les Noirs veulent la même chose que ce qu'ont les Blancs : les mêmes droits. Ils veulent la complète égalité sociale, économique et politique. » Voilà pour l'emploi ! De son côté, le pasteur Martin Luther King voudrait un rassemblement pour la liberté. Ils décident donc d'unir leurs efforts. « Les hommes et les femmes qui se sont rassemblés il y a cinquante ans n'étaient pas à la recherche d'un idéal abstrait ! Ils cherchaient du travail tout autant que la justice, pas seulement l'absence d’oppression, mais la présence d'opportunités économiques », dira le président Barack Obama en 2013, à l'occasion des 50 ans du discours I have a dream. Cent ans après le décret du président Lincoln libérant les esclaves de leur condition, les marcheurs pour la liberté de 1963 veulent briser leurs chaînes, comme le rappellera à la fin de la journée du 28 août 1963 le pasteur Martin Luther King : « Cent ans plus tard, le Noir n’est toujours pas libre ! Cent ans plus tard, la vie du Noir est encore terriblement handicapée par les menottes de la ségrégation et les chaînes de la discrimination ! ».

Un événement retransmis en mondiovision

Le coordinateur de la marche, Bayard Rustin (1910-1987) – militant pacifiste et homosexuel, conseiller politique de Martin Luther King Jr – n'a rien laissé au hasard pour tout sécuriser. Deux mille deux cents bus et 40 trains sont affrétés, 80 000 paniers repas et 10 000 litres d'eau distribués. Près de 2 000 journalistes couvrent cet événement, le plus grand rassemblement politique que Washington ait jamais connu est retransmis en mondovision ! Mais chacun redoute des débordements de violence : un service d'ordre de 12 000 policiers et soldats se tient prêt à intervenir, les hôpitaux ont fait des stocks de plasma, les prisons des environs ont transféré des prisonniers pour faire de la place dans les cellules... On dénombrera plus de 250 000 participants, dont 190 000 Noirs et 60 000 Blancs. Malgré cette foule bien plus importante que prévu (environ 100 000 personnes étaient attendues), la journée s'écoule paisiblement selon le principe de non-violence voulu par les organisateurs et par leur leader le plus charismatique, le pasteur Martin Luther King Jr. La foule se rassemble sur le National Mall, devant le Lincoln Memorial, deux emblèmes de la nation américaine. On fraternise, on chante et on prie. 

Cette ferveur fait écho de l'autre côté de l'Atlantique, à Paris, où une marche – qui va de l'église américaine de Paris jusqu'à l'ambassade des États-Unis – est simultanément organisée par l'écrivain afro-américain James Baldwin, qui déclare alors : « On a construit un mur entre les races. Les Blancs [aux États-Unis, ndla] ne considèrent pas les Noirs comme leurs égaux... parce qu'ils ne nous considèrent pas du tout ! »

À Washington, des stars telles que Sydney Poitier, Sammy Davis Jr, Charlton Heston, Marlon Brando et Paul Newman rejoignent la foule des anonymes. Joséphine Baker, revenue pour l'occasion sur sa terre natale, fait un discours émouvant :

Quand j’ai quitté Saint Louis il y a très longtemps, on m’avait fait monter dans le dernier wagon. Vous savez tous ce que cela signifie ! Mais quand j’ai fui dans un autre pays [la France, ndla], je n’ai plus eu à faire cela. (…) Je n’avais plus peur que quelqu’un se mette à me crier dessus pour me dire : “Toi, la Négresse, tu vas au bout de la queue.” J’utilise très rarement ce mot. Mais vous savez qu’on l’a employé très souvent à mon égard. (…) J’ai été reçue dans des palais de reines et de rois, dans des maisons de chefs d'État. Mais je n’ai pas eu le droit d’entrer dans un hôtel d’Amérique ni de demander une tasse de café...
Joséphine Baker, lors de la marche sur Washington, le 28 août 1963.

Joan Baez et Bob Dylan donnent un inoubliable concert devant le monument de George Washington avant de se rendre devant la statue de Lincoln pour entendre le discours de chaque leader, Martin Luther King intervenant en dernier, avec son célèbre « I have a dream ». 

Le retentissement international de cette marche contraindra le Congrès à adopter le Civil Right Act du 2 juillet 1964 mettant fin – en principe – à toute forme de ségrégation et discrimination reposant sur la race, la couleur, la religion, le sexe ou l'origine nationale, puis celui du 4 août 1965, qui renforce ces mesures en ajoutant le Voting Rights Act, destiné à protéger le droit de vote de la minorité noire.

     

Discrimination, ségrégation : quelle différence ?

La ségrégation consiste à imposer une distance sociale à un groupe d'individus en raison de sa race, de son sexe ou de sa religion. Ce groupe est littéralement mis à part du reste de la société.

La discrimination consiste à traiter un groupe de personnes de façon différente, généralement négative, par rapport au reste de la société. Les personnes discriminées sont souvent menacées ou traitées en inférieures. La ségrégation est une forme de discrimination.

Pour aller plus loin

« Mississippi Goddam » : Nina Simone et le mouvement pour les droits civiques. Cette piste pédagogique en anglais s'adresse aux lycéens. Une première vidéo permet de découvrir la vie de Nina Simone, puis une seconde vidéo invite à étudier les paroles de la chanson « Mississippi Goddam ». Ce travail permettra aux élèves de faire des recherches sur le Civil Rghts Movement, le mouvement pour les droits civiques aux États-Unis.

• Ce mercredi 28 août 1963, à 16 heures, le pasteur Martin Luther King s'avance devant le micro pour conclure la marche sur Washington. Il se lance et détaille ses aspirations pour une Amérique où Blancs et Noirs auraient les mêmes droits : « Je fais un rêve... », scande-t-il...

• Si la journée de mobilisation pour les droits civiques des Noirs aux États-Unis de l'été 1963 a ouvert la voie à l'intégration raciale, dans les faits, l'égalité de tous les citoyens américains reste un idéal difficile à atteindre. Ségrégation dans les lieux publics, mariages mixtes, droits de vote, violences policières... Quelles avancées réalisées ? Quels combats reste-t-il à mener ?

 

• Enfant, sa mère lui disait : « Jamais tu ne dois avoir le sentiment que tu vaux moins que quiconque. » Alors, une fois adulte, Martin Luther King, porté par cette phrase, s'est battu à son tour pour que les Noirs, au sud des États-Unis comme au nord, aient les mêmes droits que les Blancs. Retour sur le parcours exceptionnel d'un homme qui a tout fait pour que son rêve – celui d'une Amérique plus égalitaire et plus juste – devienne réalité.

Niveaux: Cycle 4 - Lycée général et technologique - Lycée professionnel

Qui était Martin Luther King ?

 

• Le 1er décembre 1955, une femme de 42 ans rentre chez elle après une rude journée de travail, à Montgomery (Alabama). Rosa Parks s’assied à l'arrière du bus, dans la section réservée aux Noirs. Mais le chauffeur décide de déplacer le panneau qui marque la séparation entre Noirs et Blancs : « Bouge, la négresse ! » ordonne-t-il à Rosa, qui refuse de se déplacer. Par son refus, elle devient le symbole de la rébellion au racisme aux États-Unis.

Niveaux: Cycle 4 - Lycée général et technologique - Lycée professionnel

Qui était Rosa Parks ?

 

• Le 6 décembre 1865, après plusieurs années de guerre civile, le 13e amendement de la Constitution des États-Unis supprime l'esclavage dans tout le pays. Mais il ne suffisait pas d'émanciper les esclaves, encore fallait-il prévoir leur intégration dans la société américaine... Des premières lois limitant les droits civiques et les libertés fondamentales des Noirs américains aux années 1960, retour sur cent ans de ségrégation aux États-Unis, un mal qui continue insidieusement de diviser la société américaine.

 

• De l'arrivée du premier bateau négrier en Virginie en 1619 à l'assassinat de Martin Luther King en 1968, retour sur 150 ans de relations entre Noirs et Blancs aux États-Unis et sur la lutte pour les droits civiques.

 

• L'épisode de La Grande Explication consacré à l'assassinat de Martin Luther King revient sur le parcours du pasteur et sur le célèbre discours qu'il a prononcé lors de la marche sur Washington.

Date de la vidéo: 2018 Collection:  - La Grande Explication

L'assassinat de Martin Luther King

 

• À consulter également :

Visuel du mouvement des droits civiques aux États-Unis - Lumni.fr

Retrouvez également le dossier édité par lumni.fr sur le mouvement des droits civiques aux États-Unis. Il revient sur le parcours d'artisans de la liberté comme Martin Luther King, Rosa Parks ou Malcom X.

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