Hitler vu par Leni Riefenstahl : Le Triomphe de la volonté

Contexte historique

Le Parti national-socialiste des travailleurs allemands (NSDAP), créé en 1919, arrive pour la première fois au pouvoir lorsque Adolf Hitler est nommé chancelier le 30 janvier 1933 par le président Paul Von Hindenburg, après les succès électoraux du parti aux élections de 1932. L'Allemagne traverse alors une profonde crise économique et politique. Hitler s'allie aux monarchistes et aux centristes et fait entrer ses partisans au gouvernement. En l’espace de 3 mois, le gouvernement du pays est mis au pas (Gleichschaltung), ce qui permet le triomphe du parti nazi aux élections législatives du 5 mars 1933 : le parti nazi y obtient 43,9% des voix, et compte près de 2 millions de membres. En août 1934, après le décès du président Hindenburg, Hitler réunit les postes de  président et de chancelier sous la fonction de Führer, et obtient l'assentiment du peuple par un référendum gagné à 90%.

Le 6e congrès du NSDAP, du 4 au 10 septembre 1934, a lieu dans la ville de Nuremberg, qu'Hitler a choisie comme « capitale idéologique ». En 1933, Albert Speer y a construit pour Hitler le Reichsparteitagsgelände, un immense centre de congrès pour l'organisation des événements à la gloire du parti et de son Führer. La place principale peut accueillir plus de 150 000 partisans face à la tribune. C'est pour Hitler l’occasion de mettre en scène son triomphe et celui de ses partisans, en réaffirmant son autorité, ses idéaux et ses projets, alors que le parti a fait face à des divisions internes soldées par l'assassinat des opposants à Hitler lors la nuit des Longs Couteaux fin juin 1934.

L'extrait présenté ici est le discours de clôture du congrès, prononcé par Adolf Hitler dans la halle Léopold, devant 16 000 personnes. Il est introduit par son adjoint Rudolf Hess, indéfectible compagnon de la première heure, à qui il a confié un ministère sans portefeuille dès son arrivée au pouvoir. Dans ce discours, Hitler  évoque les débuts difficiles du parti jusqu'aux succès électoraux, avant de rappeler les principes fondateurs de l'idéologie nazie : nationaliste, pangermaniste, raciste et expansionniste. Hess conclut le discours en rappelant la place centrale du Führer Hitler dans le parti et le Reich.

Éclairage média

Le Triomphe de la volonté est un film de propagande nazie tourné sous forme de documentaire qui a été produit par Leni Riefenstahl en 1935 sur l’ordre du Führer, comme précisé dès le générique du film (Hergestellt im Auftrage des Führers). Actrice et réalisatrice allemande, elle rentre au service d'Hitler et du parti nazi après avoir été impressionnée par l'énergie et l'enthousiasme d'Hitler lors d'un meeting politique en 1932. Elle réalise ensuite plusieurs films de propagande pour le régime nazi. Le Triomphe de la volonté est sa deuxième œuvre cinématographique sur un congrès du parti nazi, après La Victoire de la foi. Elle a bénéficié de moyens techniques exceptionnels pour l’époque. Si le tournage a demandé six jours, il faudra cinq mois pour venir à bout du montage. Le spectateur peut deviner le budget colossal de ce film au début de l'extrait, à travers les défilés de drapeaux orchestrés en musique, mis en valeur par une variation de plans.

L’extrait choisi représente le discours d’Adolf Hitler qui vient clôturer le congrès - et le film par la même occasion. Dans sa prise de parole, le dictateur aborde les objectifs et principes nazis ainsi que les moyens à mettre en œuvre pour les atteindre. Hitler se veut très convaincant. Durant la première partie de son discours, alors qu’il s'apprête à clore le 6e congrès du Parti, Hitler est assez neutre dans sa façon de parler. Puis le discours s’emballe lorsqu’Hitler évoque les débuts du Parti national-socialiste. La voix est plus forte, la gestuelle s'amplifie. Plus Adolf Hitler parle et plus son intonation monte jusqu’à nous donner la sensation qu’il crie pour s’exprimer. Le rythme du discours est soutenu et les pauses pour permettre à son public de réagir sont aussi importantes que le discours en lui-même. Notons l’émotion ajoutée au discours lorsqu’Hitler parle de l’avenir. Il ne crie plus et ses mains sont jointes sur son cœur. 

Le spectateur averti peut observer les techniques cinématographiques utilisées au service de la propagande. Alors que le dictateur est filmé en contre-plongée afin de montrer sa supériorité sur la foule venue l’acclamer, les spectateurs sont filmés en plongée (exception faite des chefs du parti). Ces nombreux plans en plongée de la foule permettent de saturer l’espace à travers un plan général représentant souvent le public de dos. Les rares plans rapprochés sont dédiés aux chefs du parti. L’alternance des plans permet de donner du rythme au discours afin de ne pas laisser le spectateur tomber dans l’ennui face à son orateur statique.

À sa sortie, le Triomphe de la volonté est bien accueilli par la critique et reçoit plusieurs distinctions dont deux de pays totalitaires : le Grand prix national du film allemand (1935) et le Lion d’or du festival de Venise (1935). Notons également la reconnaissance par la France : le film remporte un prix d’honneur comme meilleur documentaire de l’année avant de se voir décerner le Grand prix à l'Exposition Universelle des Arts et des Techniques de Paris (1937).

En 2019, Le Triomphe de la volonté a été retiré d’une célèbre plateforme à cause de son contenu raciste et suprématiste. Néanmoins, ce film reste précieux car il a grandement contribué à la construction de l’image que nous nous faisons aujourd’hui du nazisme.