La chanteuse Monique Morelli interprète le poème d’Aragon sur « l’Affiche rouge »

Contexte historique

Le procès de 23 membres des Francs-tireurs partisans - Main-d’œuvre immigrée (FTP-MOI) de la région parisienne qui se tient à Paris en février 1944 devant le tribunal militaire allemand fait l’objet d’une importante médiatisation de la part des Allemands. L’occupant orchestre en effet à cette occasion une grande campagne de propagande associant xénophobie, antisémitisme et anticommunisme. Une affiche sur fond rouge est diffusée avec le portrait d’une partie des accusés, dix hommes sous lequel figurent le nom, l’origine étrangère, la religion et l’appartenance au Parti communiste. Des images de sabotages et d’attentats les présentent comme les membres d’une armée du crime. Leur chef, Missak Manouchian, est qualifié de la sorte : Arménien, chef de bande, 56 attentats, 150 morts, 600 blessés.

Comme une forme d’ironie de l’histoire, cette « Affiche rouge » voulue par les Allemands pour alimenter une grande campagne de propagande visant à ternir la Résistance et à la discréditer auprès de l’opinion a constitué le socle originel sur lequel s’est construite la mémoire héroïque des FTP-MOI de la région parisienne et de leur chef, Missak Manouchian. Peu mis en avant dans l’immédiat après-guerre parce qu’ils n’incarnaient pas des figures nationales de la Résistance et ne correspondaient pas au discours mémoriel que voulaient imposer à la fois les gaullistes et les communistes, les combattants de « l’Affiche rouge » allaient entrer dans la mémoire collective des Français au cours des années 1950 grâce à deux des plus grands poètes français du XXe siècle. Paul Éluard tout d’abord, le premier à leur rendre hommage, avec un poème intitulé Légion en 1951. Puis surtout Louis Aragon, avec son poème Strophes pour se souvenir qu’il rédige à l’occasion de l’inauguration d’une rue portant le nom du groupe Manouchian dans le XXe arrondissement de Paris l’année du dixième anniversaire de la fin de la guerre. La mise en musique et l’interprétation de ce poème par le chanteur Léon Ferré en 1959 contribuera beaucoup à sa renommée et permettra de lui donner une très large audience.         

Éclairage média

Alors que la télévision française se résume à cette époque aux seules chaînes de l’ORTF (Office de radiodiffusion télévision française), l’émission « Discorama » créée en 1959 par l’une des icônes de la télé, Denise Glaser, est l’une des principales émissions musicales de la période. Elle reçoit les grandes figures de la chanson française, qui viennent y interpréter leurs succès. Jean Desailly en assure à ses débuts la présentation avant que Pierre Tchernia ne lui succède en 1960, suivi du duo Philippe Noiret/Jean-Pierre Darras en 1961.

Monique Morelli est invitée à venir chanter le poème d’Aragon consacré à « l’Affiche rouge » lors de l’émission du 30 septembre 1961. L’artiste, qui a commencé sa carrière dans les cabarets de Montmartre et qui fréquente de nombreux poètes et écrivains gravitant dans le quartier de la Butte, s’impose comme l’une des grandes spécialistes de la chanson poétique, notamment avec les textes des principaux poètes de l’époque comme Pierre Mac Orlan ou Louis Aragon. Elle est en réalité la première à prêter sa voix à la chanson L'Affiche rouge, une mise en musique par Léo Ferré du poème d’Aragon Strophes pour se souvenir. C’est lors de son passage à l’émission « Discorama » en septembre 1961, qu’elle interprète pour la première fois cette chanson à la télévision. Léo Ferré la reprendra ensuite à son tour. Le succès de la chanson a été immédiat. La force du texte d’Aragon repose en grande partie sur le fait d’avoir renversé le message que voulaient faire passer les Allemands à travers « l’Affiche rouge » en présentant les partisans aux portraits menaçants et aux noms difficiles à prononcer comme des combattants morts pour la France. La force du texte repose aussi sur le fait d’être constituée de certains extraits de la dernière lettre envoyée par Missak Manouchian à sa compagne Mélinée juste avant son exécution.

Nombreux seront ensuite les artistes à reprendre cette chanson, parmi lesquels Catherine Sauvage, Francesca Solleville, Leni Escudero, Bernard Lavilliers et plus récemment, le groupe Feu ! Chatterton.