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Massacre des Tutsi du Bugesera en mars 1992 : la manipulation de Radio Rwanda

Institut national de l’audiovisuel

Proposé par Institut national de l’audiovisuel

Date de diffusion : 25 mars 1992 | Date d'évènement : 1992

Nommé à la tête de Radio Rwanda en 1990, Ferdinand Nahimana, idéologue du régime du président du Rwanda Juvénal Habyarimana, multiplie les opérations de désinformation ciblant l’opposition, le Front patriotique rwandais (FPR) et les civils tutsi. L’éditorial diffusé à la radio d’État le 3 mars 1992, basé en réalité sur de fausses informations, entraîne le massacre de centaines de Tutsi dans la région du Bugesera durant les jours qui suivent (du 4 au 10 mars 1992).

Niveaux et disciplines

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Informations et crédits

Type de ressource :
Forme :
Date de l'évènement :
1992
Date de diffusion du média :
25 mars 1992
Copyright :
1992
Année de production :
1992
Page publiée le :
21 mars 2024
Modifiée le :
03 sept. 2024
Référence :
00000006007

Contexte historique

Par Louis Laurentdoctorant en Études politiques à l’EHESS. )

La promulgation au Rwanda d’une nouvelle Constitution le 10 juin 1991 met fin au régime du parti unique du président Juvénal Habyarimana, le Mouvement révolutionnaire national pour le développement (MRND), et autorise le multipartisme. Des partis politiques d’opposition sont fondés, comme le Mouvement républicain démocratique (MDR, héritier du Parmehutu, le parti du président de la Ire république rwandaise Grégoire Kayibanda), le Parti libéral (PL), le Parti social-démocrate (PSD), mais également le parti extrémiste anti-Tutsi Coalition de défense de la République (CDR) en mars 1992. La CDR se lie avec le MRND, l’ex-parti unique du président, rebaptisé Mouvement républicain national pour la démocratie et le développement MRNDD [1]. Moins de six mois après cette ouverture au multipartisme, de vives tensions politiques apparaissent dans le Bugesera, une région située au sud de la capitale Kigali peuplée en grande partie par des Tutsi ayant fui les pogroms de la « révolution sociale » hutu et de l’indépendance des années 1960. 

Les représentants locaux du parti présidentiel, MRND, ne supportent pas de voir l’opposition – incarnée par les Tutsi – gagner en influence dans la région. Fidèle Rwambuka, bourgmestre de Kanzenze, organise en octobre 1991 des rafles de jeunes Tutsi suspectés d’aider le Front patriotique rwandais (FPR), le parti des Rwandais tutsi exilés depuis les pogroms de l’indépendance. Hassan Ngeze, directeur du journal Kangura, brûlot raciste fondé en 1990, avant le déclenchement de la guerre civile entre le FPR et le régime présidentiel, distribue à plusieurs reprises des tracts exhortant la population à « l’autodéfense » contre les Tutsi. Le 1er mars 1992, Rwambuka organise une nouvelle opération de tractage ciblant le Parti libéral et les Tutsi.

Le 3 mars 1992, la radio nationale, Radio Rwanda, diffuse à cinq reprises un éditorial révélant l’existence d’un prétendu complot du FPR et de ses « complices » (l’opposition interne) qui prévoirait l’assassinat de personnalités du régime. 

Rédigé par Ferdinand Nahimana, historien diplômé de l’université Paris-VII, professeur à l’université du Rwanda, directeur de l’Orinfor (Office rwandais d’information) et de Radio Rwanda, cet éditorial est basé sur un faux document. Il constitue un appel à la violence qui va être pris au mot par les autorités du Bugesera,

Le lendemain de la diffusion de l’éditorial sur Radio Rwanda, les autorités locales du Bugesera, les voisins hutu et des miliciens Interahamwe (« ceux qui attaquent/travaillent ensemble ») du MRND venus de Kigali, massacrent plus de 300 Tutsi et détruisent leurs biens. Plus de 16 000 Tutsi trouvent refuge dans des églises et des bâtiments communaux. Pour avoir dénoncé l’implication du bourgmestre et des milices à Radio France internationale, sœur Antonia Locatelli, une missionnaire italienne, est abattue par un militaire le 10 mars. Le massacre des Tutsi du Bugesera rappelle celui des Bagogwe, éleveurs tutsi du nord du Rwanda, tués début 1991 par leurs voisins, sous la conduite des autorités locales, avec l’aval tacite des autorités. Les années 1990 sont en effet ponctuées de séquences de massacres de Tutsi, qualifiés alors par l’ambassade de France « d’agitations ». Il s’agit pourtant d’expérimentations de projet d’épuration anti-Tutsi à l’échelle locale ou régionale par les extrémistes et idéologues du régime rwandais, qui peuvent être considérées comme le prélude du génocide des Tutsi au Rwanda.

Note [1] : Malgré l’ajout d’un « D » pour « démocratie » au nom du parti, il reste d’usage de continuer à appeler le MNRD(D) par son ancien nom MNRD.

Éclairage média

Par Louis Laurentdoctorant en Études politiques à l’EHESS. )

Trois points de vue politique et médiatique sur le massacre du Bugesera apparaissent dans le reportage de Gabrielle Lorne, journaliste de l’Agence internationale d’images de télévision (AITV), qui a été diffusé le 25 mars 1992 sur RFO Paris (Radio-Télévision française de l'Outre-mer).

D’abord, celui de Ferdinand Nahimana, acteur impliqué dans le déclenchement des tueries. Nahimana est très engagé au sein du MRND puis du Hutu Power à partir de 1993 (mouvement idéologique racial et ethno-nationaliste revendiquant la supériorité de « l’ethnie majoritaire » hutu sur la minorité tutsi et sa défense par tous les moyens). Dans ce reportage, il défend la légitimité de son action. Celle-ci s’inscrit en réalité dans un plan de persécution des Tutsi et de déstabilisation de l’ouverture démocratique amorcée au Rwanda après la mise en place du multipartisme en 1991. Après avoir transformé, de 1990 à 1992, Radio Rwanda en une véritable machine de guerre idéologique et raciste, il cofonde, en 1993, la Radio-Télévision libre des mille collines (RTLM), financée par le président Habyarimana et ses proches. Ferdinand Nahimana contrôle étroitement la ligne éditoriale raciste du média, la programmation « d’émissions conçues pour provoquer la haine ethnique et pour inciter la population à tuer et à commettre des actes de violence et de persécution à l’encontre de la population tutsi et à l’encontre d’autres personnes en raison de leur appartenance politique » (ICTR, Rapport de Jean-Pierre Chrétien, 2002). Pendant le génocide, il apporte constamment son soutien aux journalistes de la radio qui appellent vigoureusement la population « à travailler » (gukora, en kinyarwanda), c’est-à-dire, à exterminer les Tutsi, appelés « cafards » (inyenzi) dans le langage génocidaire, en dénonçant leurs cachettes et les identités de ceux qui sont encore en vie. Ferdinand Nahimana a été condamné en appel en 2007 à trente ans de prison pour génocide et incitation au génocide par le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR).

Dans le reportage de RFO Paris, les deux derniers points de vue sont portés par deux personnalités rwandaises interviewées lors de la conférence de presse de la Communauté rwandaise de France (CRF) du 24 mars 1992 organisée par la Fédération internationale des droits humains (FIDH) à Paris : Justin Mugenzi, président du Parti libéral, puis Jacques Bihozagara, commissaire du FPR en Europe, dénoncent le rôle du régime rwandais et des médias dans le massacre du Bugesera. 

La présence de nombreux journalistes à cette conférence de presse s’explique par l’indignation internationale qu’a suscitée ce massacre, obligeant le président Habyarimana à limoger Ferdinand Nahimana le 28 avril 1992. Les faiblesses du discours journalistique sur le contexte politique rwandais sont perceptibles. La journaliste, en voix off, énonce avec imprécision une « folie meurtrière » au Bugesera et des « massacres ENTRE Hutu et Tutsi ». À la même époque, dans la presse écrite, la confusion est manifeste : Le Monde et l’AFP évoquent à plusieurs reprises des « violences tribales » pour caractériser ce qui est en réalité « un dispositif régional d’extermination des Tutsi relayé par les médias » (J.-P. Chrétien, 1995). De plus, les séquences de camps de réfugiés dans le reportage sont certainement des images d’archives provenant de camps de réfugiés du Burundi, relatifs à d’autres événements antérieurs liés au contexte politique spécifique du Burundi. Ce recours à des images d’archives s’explique par la difficulté d’envoyer des journalistes sur place pour constater, documenter et filmer les événements.

 

Bibliographie 

  • FIDH, HRW et al., Rapport de la Commission internationale d’enquête sur les violations des droits de l’homme au Rwanda depuis le 1er octobre 1990, Paris/New York/Ouagadougou/Montréal, 7-21 janvier 1993.
  • Alison Des forges, HRW, FIDH, Aucun témoin ne doit survivre : le génocide au Rwanda, Paris, Karthala, coll. « Hommes et sociétés », 1999.
  • Jean-Pierre Chrétien (dir.), Rwanda, les médias du génocide, Paris, Karthala, coll. « Hommes et sociétés », 1995.
  • Id., Stéphane Audoin-Rouzeau, Hélène Dumas, « Un historien face au génocide des Tutsi », Vingtième Siècle. Revue d'histoire, 2014/2 (N° 122), p. 23-35. DOI : 10.3917/ving.122.0023.
  • Id., « Conférence de la communauté Rwandaise de France avec la FIDH, 24 mars 1992 » dans Id., Combattre un génocide : Un historien face à l’extermination des Tutsi du Rwanda (1990-2024), Bordeaux, Bord de l’Eau, coll. « Documents », 2024.
  • Hélène Dumas, L’Histoire des vaincus. Négationnisme du génocide des Tutsi au Rwanda, Revue d’Histoire de la Shoah, vol. 190, n° 1, 2009, pp. 299‑347.
  • ICTR-99-52-T, « Le procureur contre Ferdinand Nahimana, Hassan Ngeze et Jean Bosco Barayagwiza » dit « Procès des médias », Chapitre 5, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 16, 17, 20, 21 et conclusion du rapport de Jean-Pierre Chrétien, pièce à conviction P163A, 1er juillet 2002.
  • Florent Piton, Le Génocide des Tutsi du Rwanda, Paris, La Découverte, coll. « Repères », 2018.
  • Nathan Réra, Rwanda, entre crise morale et malaise esthétique : les médias, la photographie et le cinéma à l’épreuve du génocide des Tutsi (1994-2014), Dijon, Les Presses du réel, coll. « Collection Œuvres en sociétés », 2014.

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