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1917-1924 : Lénine, de la révolution à la terreur rouge
Niveaux et disciplines
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La vie de Lénine en 3 articles
Ce texte est le dernier d' une série de 3 articles sur Lénine, qui retracent son itinéraire, de sa naissance à sa mort. Voici les 2 volets précédents :
Rien ne prédestinait Vladimir Ilitch Oulianov, né en 1870 dans l’aristocratie impériale russe, à devenir une figure du marxisme. Pourtant, Lénine va s’imposer comme leader de la révolution russe de 1917 avant d'imposer une dictature.
Au moment de sa prise de pouvoir en 1917, qui est Lénine ? « Lénine est le Robespierre[1] Révolutionnaire français célèbre pour avoir instauré la Terreur, qui a causé des milliers d’exécutions entre 1793 et 1794. du XXe siècle, prédit, en avril 1918, Gueorgui Plekhanov, figure menchevique, ancien mentor de Lénine. Si ce dernier a décapité quelques centaines d’innocents, Lénine en décapitera des millions. » Ce caractère tyrannique va s’illustrer très vite.
Date de la vidéo: 2020 Collection: - La Grande Explication
La révolution russe
Interdiction des partis, retour de la censure
Lénine prend d’abord trois mesures phares : la paix immédiate avec l’Allemagne (une trêve de trois mois est décrétée en vue d’une paix définitive à négocier), la redistribution des terres aux paysans et le contrôle ouvrier sur les entreprises. Derrière ces mesures sociales, attendues par le peuple, se cache une myriade de mesures restrictives de libertés. « Partis interdits, retour de la censure, banques nationalisées », liste l’historien spécialiste de la Russie et de l'URSS Alexandre Sumpf dans Lénine (éditions Flammarion, 2023). Le 7 décembre 1917, Lénine réinstaure une police politique, la Tchéka, qui deviendra bien plus tard le NKVD, puis le célèbre KGB.
Comme tout dictateur, Lénine veut tout contrôler. La situation manque toutefois lui échapper dès novembre 1917. Aux élections de l'Assemblée constituante, chargée de dessiner les contours de la future Russie, le parti bolchevique n'obtient que 22,5 % des 48 millions de votes exprimés alors que les socialistes-révolutionnaires en récoltent 39.5 %. Après avoir usé de tous les stratagèmes légaux et fait arrêter les représentants des partis considérés comme bourgeois, Lénine accepte finalement que s’ouvre l’Assemblée, le 5 janvier. Mais, à l’issue d’une journée, il annonce sa dissolution « en raison de sa majorité contre-révolutionnaire ». « Avec elle sonne la fin de la démocratie en Russie », considère l'historien Alexandre Sumpf.
La fin de la démocratie, et le début de la guerre civile. Cette trahison du bolchevik rend furieux ses alliés socialistes-révolutionnaires qui l’ont aidé à prendre le pouvoir et provoque une grande vague de contestations dans le pays. Paradoxalement, Lénine accueille avec joie cette lutte fratricide. Pour lui, en période de guerre civile, « un marxiste est obligé de prendre position pour la guerre civile ». Selon lui, ce conflit va faire sortir du bois des révolutionnaires en immisçant dans la société une violence qu’il légitime. « Aucune rivière de sang » ne pourrait approcher « les mers de sang que les impérialistes russes ont versé ».
Dans une Russie divisée, Lénine poursuit ses efforts pour sortir la Russie du conflit mondial. Car les soldats allemands continuent de progresser en territoire russe, s'approchant dangereusement de Petrograd. Début 1918, les bolcheviks déclarent même la patrie en danger. Le 3 mars 1918, les Allemands imposent un traité de paix aux conditions très dures. Signé à Brest-Litovsk, il ampute la Russie de 800 000 km2 par rapport à 1914. L'Ukraine, la Finlande et les pays Baltes quittent le giron russe. Mais Lénine le clame haut et fort : il a sauvé la révolution.
Cette paix est qualifiée de honteuse par certains partis de gauche. Le 30 août, Lénine est touché par deux balles de revolver tirées par Fanny Kaplan, membre du parti socialiste-révolutionnaire. Ce parti, ex-allié, opposé à la conclusion d’une paix avec l’Allemagne, commet désormais des attentats contre le gouvernement bolchevique. Les anciens alliés de la Russie, eux, vivent cette paix comme une trahison. Ils envoient des soldats en Crimée afin de combattre les forces du nouveau pouvoir bolchévique.
La terreur rouge
Rapidement rétabli, Lénine entend briser les résistances et instaure la « terreur rouge ». « Lénine théorise le rôle de la violence en tant qu’instrument révolutionnaire », note Alexandre Sumpf. La moindre rumeur de soulèvement de Russes blancs (partisans du tsar) donne lieu à des représailles sanglantes. Sur ses ordres, la Tchéka assassine sans jugement 15 000 personnes à l’été 1918. Ses télégrammes appellent à des « pendaisons », « déportations massives » tout en réclamant le recrutement de « gens durs » pour réaliser ces tâches. En 1919, les Cosaques paieront très cher leur rébellion contre le régime bolchevique dans la région du Don, au sud du pays. Tandis que la toute nouvelle Armée rouge, menée par Léon Trotski – son bras droit – gagne du terrain après une série de défaites initiales, la Tchéka décide « d’assainir » la région. Une épuration ethnique débute. Elle présente, selon Alexandre Sumpf, d’« indéniables accents génocidaires ». « Au total, entre 300 000 et 500 000 personnes furent massacrées ou déportées sur une population de 3 millions d’habitants », estime l’historien Stéphane Courtois dans Le génocide de classe : définition, description, comparaison (Les Cahiers de la Shoah, 2002).
La Russie bolchevique se stabilise
Au cours du conflit, un certain Joseph Staline se fait un nom en 1919 à Tsaritsyne, futur Stalingrad, par la dureté de sa répression. Ce Géorgien, ancien séminariste qui attaquait des banques en 1907 pour financer la branche bolchevique du Parti ouvrier social-démocrate russe (POSDR), se montre à l’aise dans les cercles du pouvoir. Jusque-là fidèle exécutant de Lénine, il noue des liens avec les principaux responsables de la Tchéka. Le conflit achevé et les frontières stabilisées en 1920, il gravit les échelons. Nommé secrétaire général du parti en 1922, un poste en apparence technique, il peut en réalité nommer à sa guise les cadres du parti et y placer ses fidèles. La Russie bolchevique est alors pleinement entrée dans une phase de stabilisation : création de l’Union des républiques socialistes soviétiques (URSS) en décembre 1922 ou encore création de la Commission d'État pour la planification générale (Gosplan), chargée de multiplier les enquêtes sur les ressources et les besoins du pays. Lénine lui-même a mis en pause la marche vers le socialisme face au risque de pénuries dans le pays avec sa Nouvelle politique économique (NEP) visant à assouplir les contrôles étatiques et à introduire des éléments de marché pour stimuler la reprise économique.
Date de la vidéo: 1933 Collection: - Arkeion
Collectivisation et modernisation de l'URSS : le premier plan quinquennal [muet]
Staline prend le dessus
Face à l’ampleur de la tâche, la santé du guide décline dès la mi-1921. En mai, il est victime d'un premier accident vasculaire cérébral dont il se remet rapidement. En décembre, il est frappé par une deuxième attaque, qui paralyse son côté droit. Staline sent une opportunité et parvient à isoler Lénine de proches tels que Trotski, qu’il déteste. Il insiste pour empêcher Lénine de travailler plus de dix minutes par jour, officiellement pour sa santé. Fin 1922, Lénine, ayant repris des forces, s’aperçoit de l’ambition débordante de Staline. Dans des notes dictées à son épouse, qui avait eu un accrochage avec le Géorgien, il le tance : « Staline a concentré un pouvoir illimité » et « Staline est trop brutal » avant de proposer de le démettre de ses fonctions de secrétaire général.
Mais ce revirement arrive trop tard. En mars 1923, un dernier AVC le prive de la parole. Lénine mourra le 21 janvier 1924, à l'âge de 53 ans, d’une athérosclérose des artères cérébrales : le sang n’irriguait plus le cerveau du père du bolchevisme.
« En nous quittant, le camarade Lénine nous a recommandé de sauvegarder et d’affermir la dictature du prolétariat. Nous te jurons, camarade Lénine, que nous n’épargnerons pas nos forces pour accomplir avec honneur ta volonté. » D’un ton monocorde, empli de suppliques presque psalmodiées, Joseph Staline prend des airs de pope orthodoxe devant le mausolée de Lénine, le 27 janvier 1924, à Moscou. Il sait l’heure importante. Rompu aux coulisses du pouvoir bolchevique, Staline s’imposera définitivement comme le successeur de Lénine à la tête du parti en 1929. Il saura appliquer les préceptes de son mentor : « Le recours à la violence de masse constitue un indéniable et triste point commun entre le régime stalinien et léninien », analyse Alexandre Sumpf.
Date de la vidéo: 1985 Collection: - Le Journal d'un siècle
Hélène Carrère d'Encausse sur la prise de pouvoir par Staline
Note de bas de page
Pour aller plus loin
Une frise chronologique à télécharger
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Légende de l'image principale, en tête d'article : Le 1er mai 2022, un militant du parti communiste russe tient des portraits de Lénine et de Staline.