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« Car toute vie est un combat » : Mélinée Manouchian, militante et résistante

Copyright de l'image décorative: Studio Phébus / Archives Manouchian / Roger-Viollet

Portrait de Mélinée Manouchian (1913-1989), immigrée résistante d'origine arménienne.
Par Raphaëlle BellonResponsable des activités pédagogiques de la Fondation de la Résistance
Publication : 14 févr. 2024 | Mis à jour : 23 févr. 2024

Niveaux et disciplines

« Ma chère Méline, Ma petite orpheline bien-aimée... » Le 21 février 1944, c’est à sa compagne que Missak Manouchian adresse sa dernière lettre, écrite quelques heures avant son exécution au Mont-Valérien. Un dernier mot à celle avec laquelle il partageait un parcours – une enfance bouleversée par le génocide arménien, une immigration vers la France – et un engagement commun au sein du Parti communiste, en faveur de l’Arménie soviétique, puis dans la Résistance.

Missak et Mélinée Manouchian se rencontrent pour la première fois en 1934 à la fin d’un gala du Comité de secours pour l’Arménie (HOC). Mais la « vraie » rencontre, celle qui fait basculer leur vie, a lieu en 1935, au congrès du HOC, lorsque Missak invite pour la première fois Mélinée à danser. Élus membres du comité central, ils partagent ensuite le même bureau. Et puis, un jour, Missak dit à Mélinée qu’il souhaite lui montrer le portrait de la femme de sa vie. Missak lui présente un miroir : Mélinée y voit son propre visage se refléter.

Orpheline et apatride

Qui est la femme dans le miroir ? Mélinée Soukémian [1] Soukémian est le nom de naissance de Mélinée, même si, à son arrivée en France, une erreur de l’administration lui attribue le nom d’Assadourian. naît en 1913 dans une famille arménienne de Constantinople. Elle est une enfant des tragédies du siècle : elle perd ses parents à 3 ans, lors du génocide arménien. 

La petite Mélinée grandit dans des orphelinats, en Grèce d’abord. Les conditions de vie y sont difficiles. Elle arrive en France en 1926, à l’âge de 13 ans, et est scolarisée dans un pensionnat pour jeunes filles arméniennes. Rebelle – déjà – (« tu es une bolchevique », lui aurait dit une professeure – ce qui, loin de la contrarier, l’incite à se renseigner et à découvrir le Parti communiste), elle n’en obtient pas moins son certificat d’études et entreprend des études de secrétaire comptable et de sténodactylographe. Elle travaille dès 1932 en mettant à profit ses compétences, qui lui seront également utiles en tant que militante communiste, puis résistante.

C’est donc une jeune femme qui a déjà traversé de dures épreuves, qui a été confrontée aux persécutions et à la pauvreté, par ailleurs apatride, qui commence sa vie d’adulte à Paris. Cette expérience fonde son engagement militant, au HOC, puis au Parti communiste avec celui dont elle partage désormais la vie : Missak Manouchian.

« Vive la Résistance » : affronter la guerre et résister à deux

De juin 1940 à août 1941, Mélinée vit presque continuellement seule dans Paris occupé : Missak est interné une première fois en septembre 1939 avant de rejoindre l’armée comme volontaire, puis d’être assigné comme travailleur étranger dans l’usine Gnome et Rhône d’Arnage, dans la Sarthe. Elle trouve un travail de comptable et continue de militer clandestinement pour le Parti communiste en distribuant des tracts et des journaux. Elle fait aussi parvenir des colis aux Arméniens internés dans des stalags (camps de prisonniers) en Allemagne. Enceinte, elle fait le choix d’avorter, contre le souhait de son compagnon et enfreignant la loi alors en vigueur : elle expliquera ensuite que devenir mère ne lui semblait pas compatible avec son engagement militant. On retrouve là une problématique qui se pose aux couples engagés dans la lutte et particulièrement aux femmes : une naissance pose la question de la compatibilité avec l’engagement parce que le rôle social attendu des femmes est qu’elles s’occupent des enfants.

Missak rejoint Mélinée à Paris au début de 1941, mais le couple est de nouveau séparé fin juin 1941 lorsque Missak est arrêté par les Allemands et envoyé au camp de Royallieu, près de Compiègne. Mélinée tente de lui porter des colis – on pourrait penser qu’elle renoue le rôle nourricier traditionnel dévolu aux femmes, mais il faut alors beaucoup d’audace pour entreprendre une telle action. Elle va jusqu’à prendre le risque d’essuyer des tirs de sentinelles en essayant d’apercevoir son mari emprisonné.  

Libéré au bout de quelques semaines, Missak Manouchian s’engage à la fin de l’année 1941 dans la Résistance, au sein de la MOI (Main-d’œuvre immigrée) d’abord, avant d’intégrer en 1943 les groupes de combat des FTP-MOI (Francs-tireurs et partisans de la Main-d’œuvre immigrée).

Ceux-ci confient à Mélinée un rôle d’agent de liaison, malgré la volonté de Missak de la tenir à l’écart pour la protéger, écrira-t-elle ensuite. Lorsque des actions de lutte armée sont menées, elle est chargée de repérer les cibles et de rédiger des rapports. C’est une double rupture : avec la légalité d’une part, avec le rôle social attendu des femmes d’autre part (même si elle ne participe pas aux attaques).

Mélinée Manouchian

Mélinée Manouchian photographie en noir et blanc.

Mélinée Manouchian. (Hrand / Archives Manouchian / Roger-Viollet)

 

Fin 1943, Missak est arrêté. Mélinée, elle, était sortie quand la police est venue perquisitionner leur appartement. Contrairement à son compagnon, elle n’avait pas été repérée par les Brigades spéciales des Renseignements généraux, qui filaient depuis plusieurs mois les FTP-MOI. Pour échapper à la répression et ne pas mettre en danger les amis qui l’hébergent, la jeune femme doit souvent changer de cachette. Elle reste plusieurs mois chez les Aznavourian, parents du futur chanteur Charles Aznavour. Brisée, absente à elle-même, dans l’attente, elle continue d’écrire pour la presse clandestine, participe à de la propagande auprès de soldats soviétiques engagés de force dans l’armée allemande. Des nouvelles de Manouchian, elle n’en a que par la radio officielle, Radio-Paris, contrôlée par la Propaganda-Abteilung Frankreich, qui dénigre violemment l’homme qu’elle aime et ceux arrêtés avec lui. Une fameuse affiche rouge les désigne comme les membres de « l’armée du crime ». Elle n’apprendra l'exécution de Missak, qu’on lui a cachée pour la protéger, que quelques semaines après, lors d’un dîner, par la voix d’un ami. Pour elle, le monde s’effondre.

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« D’ailleurs, une vie se refait-elle ? » : celle qui reste

« Je suis dès lors perdue, ne survivant que d’un passé qui ne me donne aucune tranquillité », écrit encore Mélinée Manouchian en évoquant la mort de son mari.

Privé de « [son] ami, [son] camarade, [son] mari », elle redevient une « petite orpheline » qui fut, jusqu’au dernier moment, « bien aimée » : elle prendra connaissance ensuite de la bouleversante lettre d’adieu que lui laisse son époux juste avant son exécution. Il lui demande de se marier, d’avoir un enfant : elle ne le fera jamais.

Lettre d'adieu de Missak Manouchian à sa femme Mélinée

Lettre manuscrite d'adieu de Missak Manouchian à sa compagne Mélinée. Prison de Fresnes, 21 février 1944

Lettre d'adieu de Missak Manouchian à sa compagne Mélinée. Prison de Fresnes, 21 février 1944 (Archives Manouchian / Roger-Viollet).

 

Mélinée a 30 ans quand Missak tombe sous les balles. Devenue veuve à un âge où la vie à deux s’ouvre avec toutes ses promesses, elle reste fidèle à ce que son mari et elle furent l’un et l’autre, l’un avec l’autre, à la fois dans ses engagements et dans son rapport au défunt : elle publie ses poèmes – comme il le lui avait demandé et rédige une biographie. Elle continue de mener sa vie avec cette ombre, sans lui, mais portant sa mémoire, continuant les luttes menées ensemble.

Naturalisée française au sortir de la guerre, elle se porte volontaire pour un programme soviétique visant à repeupler l’Arménie en 1947. Elle rentre en France au début des années 1960, déçue par la politique de l’URSS. Mélinée obtient le statut de veuve de guerre et participe à la fondation de l’Amicale des anciens résistants français d’origine arménienne. En 1983, elle témoigne dans le documentaire de Mosco Boucault, Des terroristes à la retraite, qui fait polémique. Elle défend l’idée que son mari, conscient des risques d’arrestation, aurait été sacrifié par la direction du Parti communiste. Dans l’après-guerre s’écrit ainsi la confrontation d’une mémoire personnelle douloureuse et les nécessités imposées par la lutte armée.

Mélinée Manouchian meurt en 1989. Elle est enterrée au cimetière d’Ivry : en 2024, elle entrera au Panthéon avec son mari, Missak, pour ne pas éloigner ces amants que quelques arpents de terre ont un temps séparés au cimetière d’Ivry (Missak Manouchian étant enterré au « carré des fusillés »).

 

NB : Les citations sont extraites de Mélinée Manouchian, Manouchian, Les Éditeurs français réunis, 1974.

     

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