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Qui était le philosophe Blaise Pascal, auteur des Pensées ?

Copyright de l'image décorative: © Château de Versailles, Dist. RMN-Grand Palais / image château de Versailles

Par Fabien Trécourtjournaliste idées, culture et société
Publication : 07 juin 2023 | Mis à jour : 19 déc. 2023

Niveaux et disciplines

     

Une vie entre la foi et la science

Ce dossier thématique donne des repères biographiques et historiques afin d'aborder la pensée de Blaise Pascal au lycée, en cours de philosophie. Scientifique engagé dans les débats politico-religieux de son temps, Blaise Pascal (1623-1662) défend l’idée qu’on ne peut connaître Dieu que par le cœur et non par la raison. Homme de contraste, il reste toute sa vie tiraillé entre la vivacité de sa foi et la rigueur de son intelligence, mais aussi entre l’espoir et la détresse que lui inspirent la condition humaine.

 

Né le 19 juin 1623 à Clermont-Ferrand, Blaise Pascal est d’abord un esprit précoce. À l’âge de 11 ans, il est fasciné par le son produit lorsqu’un couteau heurte une assiette en faïence. Constatant que le bruit s’arrête lorsqu’on pose la main dessus, il réitère l’expérience à de nombreuses reprises et consigne ses observations dans son premier ouvrage : un traité des sons « qui fut trouvé tout à fait bien raisonné », rapporte sa grande sœur Gilberte dans une biographie, Vie de Monsieur Pascal (1662). Ce traité est aujourd’hui perdu, mais d’autres n’ont pas tardé à suivre.

Enfant précoce

Jeune prodige, Blaise Pascal a toutefois grandi dans un environnement favorable. Après le décès de sa mère, quand il avait 3 ans, son père prend en charge son éducation et celle de ses sœurs. Receveur des impôts, gentilhomme introduit dans la noblesse auvergnate, Étienne Pascal est aussi un féru de sciences, passionné par les bouleversements intellectuels qui secouent l’Europe du XVIIe siècle. Dans le sillage de la révolution copernicienne, établissant que la Terre tourne autour du Soleil et non l’inverse, les savants deviennent plus critiques vis-à-vis des dogmes et des vérités révélées. L’observation et l’expérimentation d’un côté, l’analyse mathématique et géométrique de l’autre deviennent des instruments privilégiés pour étudier le monde. Pour participer pleinement à cette révolution en cours, Étienne Pascal gagne Paris avec sa famille en 1631, se lie avec des scientifiques comme Marin Mersenne et participe à la vie de l’académie de ce dernier. Sans être une institution officielle, ce réseau de savants et de correspondants préfigure la future Académie des sciences (créée par Colbert en 1666).

À 16 ans, le jeune Blaise Pascal soumet un essai de géométrie sur les formes coniques à l’académie de Mersenne. La jeune et bouillonnante organisation scientifique compte parmi ses nombreux correspondants le philosophe René Descartes. Dans un premier temps, ce dernier refuse de croire que L’essai pour les coniques est celui d’un jeune homme et imagine que l’auteur a été confondu avec son père… Le texte de Blaise Pascal témoigne de fait d’une faculté d’analyse exceptionnelle. Il jette aussi les bases de ce qui deviendra le théorème de Pascal en géométrie.

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Savant touche-à-tout

Admis comme membre à part entière à l'académie de Mersenne, Blaise Pascal publie de nombreux traités en arithmétique et en géométrie projective. Vers l’âge de 19 ans, il invente la première machine à calculer, la pascaline, souvent considérée comme un ancêtre de l’ordinateur (voir encadré ci-dessous). L'activité prolifique de Pascal inspirera au début du XIXe siècle ces mots à François-René de Chateaubriand : Il y avait un homme qui, à 12 ans, avec des barres et des ronds, avait créé les mathématiques ; qui, à 16, avait fait le plus savant traité des coniques qu'on eût vu depuis l'Antiquité ; qui, à 19, réduisit en machine une science qui existe tout entière dans l'entendement (...) ; qui, à cet âge où les autres hommes commencent à peine de naître, ayant achevé de parcourir le cercle des sciences humaines, s'aperçut de leur néant et tourna ses pensées vers la religion. (...) Cet effrayant génie se nommait Blaise Pascal. (Le Génie du christianisme, 1802).

Attiré par les problèmes physiques faisant écho à des débats théologiques, il réitère une expérience supposée démontrer l’existence du vide. Le 19 septembre 1648, à l’âge de 25 ans, alors que des révoltes contre l’autorité monarchique enflamment la capitale – c’est le début la Fronde (1648-1653) –, Pascal, lui, grimpe au sommet du puy de Dôme armé d’un baromètre ! Constatant que le niveau de mercure descend au fur et à mesure de son ascension, il démontre que l’espace libéré est vide de toute substance et propose une méthode pour évaluer la pression atmosphérique responsable de ce phénomène. À partir du milieu du XXe siècle, en hommage à ces travaux fondateurs, l’unité Pascal (Pa) sera utilisée dans le monde entier pour exprimer le niveau de pression exercé sur une surface.

Bourreau de travail, Pascal souffre cependant d’une santé fragile et de surmenage depuis l’âge de 18 ans. Sur les conseils de sa famille et de médecins, il adopte une vie plus mondaine. Il se lie même avec des libertins, comme les écrivains Damien Mitton et Antoine Gombaud, dit le chevalier de Méré. Tout en restant « préservé des vices », selon sa sœur Gilberte, Pascal est initié aux jeux d’argent. Savant de chaque instant, il se passionne pour ce qu’il appelle la « géométrie du hasard » et « le problème des partis ». Sa correspondance sur ce sujet avec le mathématicien Pierre de Fermat, en 1654, est aujourd’hui considérée comme l’acte de naissance du calcul des probabilités.

Date de la vidéo: 2018 Collection:  - Les Chemins de la philosophie

Blaise Pascal : portrait d'un homme joyeux

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Un tournant religieux

Entre temps, plusieurs évènements familiaux le marquent profondément. Son père, victime d’une grave chute en 1646, est soigné par deux médecins convertis au jansénisme et au christianisme dit de Port-Royal, une variante du catholicisme se voulant plus rigoureuse, moins soumise au pouvoir de l’Église et du roi. En échangeant avec eux, Pascal nourrit un nouvel intérêt pour la théologie. Mais, peu après la mort de leur père, en 1651, sa sœur Jacqueline entre dans les ordres à l’abbaye de Port-Royal, contre l’avis de Blaise. C’est le début d’une période difficile pour ce dernier, oscillant entre relations orageuses avec sa sœur adorée, dépression et mépris pour les vanités de l’existence…

La nuit du 23 au 24 novembre 1654, pourtant, Pascal raconte éprouver un tournant religieux décisif, une expérience mystique qui le fait renouer avec le christianisme de Port-Royal et connue sous le nom de « nuit de feu ». L’expression apparaît dans un texte intitulé Le Mémorial. Le penseur aurait fait coudre ce manuscrit dans la doublure de son manteau pour garder contre sa poitrine le « Dieu d’Abraham, Dieu d’Isaac, Dieu de Jacob, non des philosophes et des savants ». Une profession de foi qui sera découverte après la mort de Pascal.

Après cette nuit de feu, Pascal se retire deux semaines à Port-Royal et mûrit les bases de sa pensée : l'homme est partagé entre grandeur et misère. C'est sa conscience de sa propre fragilité – il est un roseau pensant – qui donne sa grandeur à l'homme.

L'utopie de Port-Royal

 

En 1602, à 17 ans, Angélique Arnauld décide de vivre dans l'austérité et la mortification à Paris, puis à Port-Royal-des-Champs. La communauté religieuse qu'elle forme devient un haut lieu de la contestation religieuse et politique dans la France de l'Ancien Régime. Ce documentaire de 1960 retrace cette aventure spitituelle.

Date de la vidéo: 2018 Collection:  - Les Chemins de la philosophie

Blaise Pascal : comment parler à Dieu ?

 

À la même époque, le torchon brûle entre les jansénistes et les jésuites. Suivant la doctrine du théologien néerlandais Cornelius Jansen (1585-1638) et, plus profondément, d’Augustin d'Hippone, dit saint Augustin (354-430), les premiers soutiennent que le salut d’une personne ne dépend pas tant de son libre arbitre que de la grâce divine. Concrètement, seuls quelques élus seraient prédestinés à être sauvés. Les jésuites, soutenus par le pouvoir royal et les autorités ecclésiastiques, affirment à l’inverse que le salut dépend aussi des choix et des actions qu’une personne réalise au cours de sa vie. En toile de fond, cette querelle théologico-politique fait écho à la Réforme protestante et de la Contre-Réforme catholique, initiées au XVIe siècle. Elle se cristallise en 1656 autour de la censure et de la condamnation du théologien janséniste Antoine Arnauld, qui demande à Pascal de l’aider à se défendre. Réputé brillant, ce dernier n’a jamais rien publié sur des questions religieuses. Il accepte néanmoins de rédiger une série de lettres fictives sous le pseudonyme de Louis de Montalte : Les Provinciales.

 

Le jansénisme condamné

Ce court article du site BnF - Les Essentiels revient sur la condamnation par le pape Innocent X en 1653 de la doctrine du jansénisme.

Article du site BnF - Les Essentiels sur la condamnation du jansénisme

Gravure de l'Expulsion des sœurs de Port-Royal des champs et démolition de l’abbaye

Défenseur de la foi

Dans un style épistolaire donc, Les Provinciales mettent en scène un Parisien, appartenant à la haute société, qui raconterait le procès d’Antoine Arnauld à des amis et des religieux vivant en province. Après la condamnation du théologien, Pascal s’attaque plus généralement aux jésuites. Il imagine notamment un père naïf et pédant qui défendrait des maximes scandaleuses sans percevoir la gravité de son propos. L’auteur critique au passage la méthode casuistique chère à la Compagnie de Jésus, qui étudie les cas de conscience et enjoint de raisonner différemment en fonction des circonstances. Dix-huit lettres paraissent successivement entre 1656 et 1657. Elles circulent d’abord sous le manteau, mais connaissent rapidement un immense succès. Les jésuites sont obligés de publier des réponses aux critiques de Pascal, qui leur répond à son tour à partir de la 11e lettre. Ses textes bénéficient d’une argumentation sans faille tout autant que d’une ironie mordante, d’un humour ravageur et d’un art de la satire ; elles sont également considérées comme un modèle de vulgarisation. Réunies sous forme de recueil à partir de 1657, Les Provinciales restent un classique de la littérature française. À l’époque, néanmoins, les condamnations se multiplient : du pape Alexandre VII, le 6 septembre 1657, au roi Louis XIV, qui exige en 1660 que le livre soit brûlé. L’ouvrage continue néanmoins de circuler dans les milieux cultivés.

 

Les Provinciales, best-seller du XVIIe siècle

Ouvrage le plus lu à son époque, Les Provinciales ont contribué à imposer un art d'écrire classique, dont la sobriété fait l'efficacité. Ce dossier du site BnF – Les Essentiels vous propose de lire ce texte dans diverses éditions, des cahiers de huit pages imprimés dans les années 1650 aux ouvrages de la  fin du XIXe siècle.

Article du site BnF - Les Essentiels sur les Provinciales de Blaise Pascal

Gravure représentant un diable tenant deux enfants dans sa gueule tandis qu'un homme tente de les sauver. En bas de l'image, un autre homme se penche pour ramasser des pièces éparpillées sur le sol.

 

À partir de 1657, Pascal commence par ailleurs à noter des idées, des raisonnements ou encore des intuitions sur de petites feuilles de papier qui s’entassent en liasses plus ou moins fournies. Elles deviendront Les Pensées après sa mort. Ses réflexions s’inscrivent dans le genre apologétique, en vogue au XVIIe siècle, consistant à défendre rationnellement le christianisme et les fondements de la foi. L’originalité de Pascal est cependant moins de prendre Dieu ou le récit biblique comme point de départ que l’humanité, la vie quotidienne et la société. Certes, pour celles et ceux qui n’adhèrent pas au christianisme, il affirme que cette religion est tout à la fois raisonnable, aimable et, surtout, qu’elle est la seule à pouvoir leur permettre d’être authentiquement heureux.

Portraitiste de la condition humaine

Mais dans Les Pensées, son propos offre aussi un portrait saisissant de la condition humaine, dans lequel beaucoup peuvent aujourd’hui encore se reconnaître. Pascal décrit l’humanité comme traversée par une éternelle contradiction : d’un côté, une certaine misère et une angoisse, filles du péché originel, encourageraient tout un chacun à s’abandonner dans le divertissement, le plaisir et les faux-semblants pour oublier le caractère inéluctable de la mort. D’un autre côté, Pascal estime que l’humanité possède en elle-même un certaine grandeur, une rationalité et une foi à même de combler le vide qui l’habite lorsqu’elle accepte enfin d’épouser Dieu et la religion chrétienne.

Au quotidien cependant, la santé de Pascal reste malmenée. En 1662, il envisage d’aller à l’hôpital pour y finir ses jours dans les meilleures conditions, mais il est déclaré intransportable par ses médecins. Il subit de violentes convulsions le 17 août, reçoit l’extrême-onction et meurt le 19 dans son appartement parisien – à l’époque 8 rue Neuve-Saint-Étienne-du-Mont, devenue le 2 rue Rollin, dans le Ve arrondissement. Il est enterré dans l'église Saint-Étienne-du-Mont, dans le même quartier. Ses « pensées » (l’expression n’est pas de Pascal) sont découvertes par ses proches et notamment par sa sœur Gilberte après sa mort. Elles connaissent une préédition en 1669 et, surtout, une première édition originale, dite « de Port-Royal » en 1670. Il y en aurait eu des dizaines d’autres jusqu’à aujourd’hui, pouvant notamment différer quant au classement et à la numérotation des textes. Les Pensées restent aujourd’hui considérées comme l’une des plus grandes œuvres de l’histoire de la philosophie.

Pour aller plus loin

Une piste pédagogique

• Penser le divertissement avec Blaise Pascal et les réseaux sociaux. Cette piste pédagogique s’inscrit dans un cours de philosophie pour des élèves de terminale générale et technologique. Il s’agit de mettre en perspective un point majeur de la sagesse pascalienne, le divertissement, tant sur sa conception que sur ses formes contemporaines.

Trois dossiers thématiques

• Quel est le pari de Blaise Pascal ? C’est probablement son idée la plus célèbre. Nous aurions toujours intérêt à croire en Dieu car il y aurait tout à gagner si son existence était avérée et rien à perdre si ce n’était pas le cas. Mais qu'écrit vraiment Blaise Pascal à ce propos dans ses Pensées ?

Niveaux: Français, lettres, philosophie

Quel est le « pari » de Blaise Pascal ?

 

• Cinq contresens à ne plus faire sur Blaise Pascal ! Écrivain génial et spécialiste de rhétorique, il a laissé derrière lui quelques formules choc dans ses Pensées, abondamment reprises, mais parfois sujettes à de mauvaises interprétations.

 

• Blaise Pascal a-t-il inventé l'ordinateur ? À l’âge de 19 ans, le scientifique et philosophe Blaise Pascal (1623-1662) imagine une machine composée de disques mécaniques et de lanternes, permettant d’effectuer rapidement et, surtout, automatiquement des calculs complexes : des séries d’additions, de soustractions et de multiplications.

Deux livres

  • Pascal à la plage, Francis Métivier, Dunod, 2022.
  • Pascal et la proposition chrétienne, Pierre Manent, Grasset, 2022.

Quatre revues

  • Pascal – L'imagination, une puissance trompeuse, Sciences Humaines n° 352 – novembre 2022.
  • Blaise Pascal (1623-1662). Face à l’infini, dans Hors-série Les Essentiels N° 11, du magazine Sciences Humaines, Cinq siècles de pensée française, février-mars 2022.
  • Blaise Pascal. Le savant converti, Philosophie magazine n° 37, février 2010.
  • Pascal, le cœur a ses raisons, Hors-série Le Monde-La Vie, mai 2022.

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