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L’Iran depuis 1979 : un acteur majeur au Moyen-Orient

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Ali Khamenei en 2024.
Par Antoine BourguilleauChargé d'enseignement à Paris 1
Publication : 29 mars 2024 | Mis à jour : 22 avr. 2024

Niveaux et disciplines

Le 1er avril 1979, la République islamique est officiellement proclamée en Iran. Le résultat de plus de six mois d’agitation populaire, débutée avec la révolte estudiantine de septembre 1978, et ayant abouti au départ du chah, le souverain du pays, et au retour à Téhéran de l’ayatollah Khomeyni, principal opposant du chah, le 1er février 1979.

Date de la vidéo: 1979 Collection:  - L'Événement

Révolution islamique en Iran

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La communauté internationale accueille mal ce brutal changement de régime. Tous les programmes de coopération nucléaire avec l’Iran sont ainsi stoppés et les relations se tendent avec les États-Unis jusqu’au point de non-retour.

La prise d’otages à l’ambassade américaine

Le 4 novembre 1979, des étudiants islamiques font irruption dans les locaux de l’ambassade américaine à Téhéran. Ils prennent une cinquantaine de personnes en otage et demandent l’extradition du chah, qui se trouve alors aux États-Unis où il est soigné pour un cancer. Le 6 novembre, Mehdi Bazargan, à la tête du gouvernement révolutionnaire iranien depuis février, démissionne, actant sa perte totale d’autorité. Il n’avait jamais été rien d’autre qu’un Premier ministre fantoche.

La crise des otages provoque de fortes tensions avec les États-Unis du président Jimmy Carter, en lice pour sa réélection en 1980. Il rompt les relations diplomatiques avec l’Iran avant d’imposer une série de sanctions économiques en avril 1980.

Le 28 janvier 1980 ont lieu les premières élections présidentielles de la République islamique d’Iran. Abolhassan Bani Sadr, un proche de l’ayatollah Khomeyni avec lequel il a vécu en exil en France, est élu président de l’Iran avec 75 % des voix. Un président pour ainsi dire privé de pouvoir ou presque. Ce sont bien les chefs religieux qui dirigent le pays, mais Bani Sadr prend son rôle au sérieux, et les premières frictions avec l’ayatollah Khomeyni se font jour.

Le 27 juillet 1980, le chah d’Iran meurt au Caire. La crise des otages n’est toujours pas résolue – elle le sera le 20 janvier 1981, soit quelques semaines après la défaite de Jimmy Carter et l’élection de Ronald Reagan, l’équipe de campagne de ce dernier ayant été accusée d’avoir à dessein fait retarder cette libération pour nuire au président sortant. Les 52 otages américains auront passé au total 444 jours en détention.

L’Irak attaque

Le 22 septembre 1980, pensant à tort que l’armée iranienne a été décapitée par les purges et qu’elle est une proie facile, le dirigeant irakien Saddam Hussein envahit l’Iran avec l’aval et l’appui des Américains.

Date de la vidéo: 1980 Collection:  - Soir 3

La guerre entre l'Irak et l'Iran

Chacun s’attend à ce que l’Iran, très déstabilisée par deux années de crises qui ont sans doute provoqué plus de 10 000 morts, s’effondre. C’est le contraire qui se produit : l’agression irakienne soude le pays face à la tentative de Saddam Hussein de s’emparer des champs pétrolifères de la région du Khuzestan, au nord du Koweït, sorte de répétition de ce qui se produira dix ans plus tard.

 

 

Date de la vidéo: 2021 Collection:  - Géopoliticus

La première guerre du Golfe

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Mais la guerre ne soude pas complètement l’Iran. Le président Bani Sadr poursuit son bras de fer avec les religieux et met à profit le conflit avec l’Irak pour apparaître comme un chef de guerre. Parallèlement, des groupes d’opposition apparaissent, comme les Moudjahidin du peuple (MEK), animés par une vision révolutionnaire de l’islam. En juin 1981, ils tentent un coup d’État, qui échoue. Bani Sadr est destitué par le Parlement dix-sept mois après son élection et doit se réfugier en France. Dans le même temps, la répression redouble : on estime qu’entre février 1979 et la fin de l’année 1980 plus de 4 000 personnes ont été exécutées par le régime.

La guerre Iran-Irak se poursuit, le pouvoir iranien se radicalise et mobilise bientôt des vieillards et des enfants dans un conflit d’une immense violence dont les images de tranchées rappellent celles de la Première Guerre mondiale, les combattants se voyant promettre le statut de martyr. En juillet 1988, c’est le cessez-le-feu. Ces huit années de guerre ont mis l’économie des deux belligérants à genoux et provoqué la mort d’au moins 500 000 combattants, peut-être plus d’un million. Un terrible bilan auquel s’ajoutent de nombreux morts civils côté iranien car le régime a profité de cette période extrêmement troublée pour arrêter et exécuter des milliers de prisonniers politiques.

La fatwa contre « Les Versets sataniques »

En février 1989, l’Iran fait à nouveau la une de l’actualité avec la fatwa lancée par l’ayatollah Khomeyni contre l’écrivain britannique d’origine indienne Salman Rushdie, auteur du roman Les Versets sataniques, accusé de blasphème. Le chef religieux iranien, très malade, appelle au meurtre – une décision jamais reniée par le régime et qui va obliger l’auteur à vivre sous protection policière.

Après la mort de Khomeyni : la montée des oppositions

Le 3 juin 1989, l’ayatollah Khomeyni meurt et l’Assemblée des experts désigne le président sortant, Ali Khamenei, nouveau Guide suprême de la révolution. Le président Hachemi Rafsandjani élu en juillet 1989, puis à nouveau en 1993, moins dogmatique, tente vainement de redresser l’économie du pays réduite à néant par la guerre. L’Iran se garde d’ailleurs bien de se mêler de la guerre du Golfe, qui se déroule pourtant à sa porte.

En 1997, un religieux modéré, Mohammad Khatami, élu président, doit faire face à une double opposition : celle des religieux radicaux et celle d’une partie de la population qui réclame au contraire davantage de libertés. Ces derniers, qui organisent des manifestations monstres durant l’été 1999, semblent l’emporter et la large réélection de Khatami (77 % des suffrages) en 2001 paraît annoncer une pérennisation de cette tendance. Mais les religieux reprennent les choses en main, interdisant certains journaux et invalidant de très nombreuses candidatures des réformateurs aux élections. Mahmud Ahmadinejad, maire ultraconservateur de Téhéran, est ainsi élu président en 2005 et le régime se durcit à nouveau.

La question du nucléaire iranien

C’est notamment à ce moment-là que la question du nucléaire iranien refait surface. L’Iran cherchait à se doter de centrales nucléaires déjà sous la période du chah, avec l’aide des États-Unis et de la France notamment. Mais la révolution islamique change la donne : les deux grandes puissances rompent unilatéralement leur coopération avec l’Iran. Le nouveau régime de Téhéran ne l’entend pas de cette oreille et use de tous les moyens pour faire pression sur les États-Unis et la France afin de les contraindre à lui fournir de l’uranium. C’est notamment dans ce cadre que se déroule la crise des otages au Liban – les groupes qui détiennent des otages occidentaux dans ce pays sont tous liés à l’Iran.

     

Crise des otages au Liban

Cette crise commence en 1982, par l'enlèvement de l'homme politique américain David S. Dodge et se poursuit en 1985 par les enlèvements de deux diplomates français, Marcel Carton et Marcel Fontaine, suivi de ceux du journaliste Jean-Paul Kauffmann et du sociologue Michel Seurat par le Hezbollah. 

Dans les années 1990, l’Iran parvient à se procurer de l’uranium auprès de la Russie et de la Chine et lance un programme secret d’enrichissement. En 2002, un dissident révèle à l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) l’existence de deux sites d’enrichissement d’uranium. Cette révélation relance les tensions avec les pays occidentaux.

Ahmadinejad est réélu en 2009, mais les soupçons de fraudes massives entraînent de très fortes mobilisations populaires, réprimées avec une grande violence par le régime.

Date de la vidéo: 2009 Collection:  - 12/13

La crise politique iranienne

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Quand Hassan Rohani remporte l’élection présidentielle en 2013, de nombreux signes indiquent que l’Iran pourrait changer d’attitude, notamment à l’égard de son programme nucléaire : cela fait en effet des années que les grandes puissances imposent des sanctions très dures à l’égard de l’Iran qu’ils soupçonnent d’élaborer un programme d’enrichissement d’uranium en vue de développer l’arme atomique. Un accord est trouvé en 2015 avec une levée partielle des sanctions et un contrôle plus étroit des activités d’enrichissement de l’uranium en Iran.

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Mais le président américain Trump, élu en 2017, sort de l’accord l’année suivante, relançant les tensions avec l’Iran. Ainsi, le 8 janvier 2020, l’Iran tire des missiles sur deux bases américaines en Irak en représailles à la mort du général Ghassem Soleimani, tué par l’armée américaine cinq jours auparavant.

Mort de Mahsa Amini : la société iranienne s'embrase

En septembre 2022, une jeune Iranienne d'origine kurde, Mahsa Amini, meurt trois jours après avoir été arrêtée par la police des mœurs, accusée d’avoir enfreint le code vestimentaire qui oblige les femmes à porter le voile en public. La nouvelle de sa mort provoque des manifestions considérables qui sont une fois encore réprimées avec une immense violence et font plus d’une centaine de morts, sans parler des nombreux jeunes gens arrêtés et condamnés à mort pour avoir pris part à un mouvement connu sous le nom de son slogan : « Femme, vie, liberté ».

Le régime de l’Iran est aujourd’hui en proie aux aspirations d’une jeunesse qui souhaite davantage de libertés. Sur le plan géopolitique, le pays demeure un acteur régional majeur, armant notamment les séparatistes houthistes du sud du Yémen ou le Hezbollah au Liban, deux organisations politiques et militaires qui contribuent à ébranler les pays où elles opèrent ainsi que leurs voisins. Les houthistes, d’obédience chiite, déstabilisent l’Arabie saoudite sunnite, tandis que le Hezbollah vise régulièrement Israël. Ces deux groupes offrent à Téhéran la possibilité d’un déni de plausibilité : officiellement, l’Iran n’intervient pas directement et peut toujours démentir financer ces deux entités. Depuis 2022, le pays fournit aussi du matériel militaire à la Russie dans sa guerre en Ukraine, ce qui n’est évidemment pas pour lui valoir l’amitié des puissances occidentales. Aujourd’hui, la question du devenir de son programme nucléaire demeure une grande source d’inquiétude pour ses voisins et le reste du globe.

Pour aller plus loin

• Retrouvez deux autres articles sur l'histoire de l'Iran au XXe siècle :

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• Un repère sur la République islamique d'Iran sur le site Passerelles de la BnF :

 Capture d'écran BnF - Khomeyni

capture d'écran du site internet BnF passerelles. Photo d'une manifestation de masse à Téhéran, la foule brandit un portrait de l'ayatollah Khomeyni.

• Un dossier de la BnF consacré au photojournaliste Reza, originaire d'Iran. Ses photos de la révolution de 1978-79 montrent comment l'espoir a cédé la place à la répression :

Capture écran Bnf - Reza

capture d'écran du site internet BnF Reza photos. Photo en noir et blanc d'un homme tenant des portraits d'hommes aux yeux bandés. Sur le mur du fond sont affichés des affiches de l'ayatollah Khomeyni.

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