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Comment le Chant des partisans est devenu la Marseillaise de la Résistance

Copyright de l'image décorative: © Musée de l'Armée, Wikimedia Commons

Par Antoine BourguilleauChargé d'enseignement à Paris 1
Publication : 30 mai 2023 | Mis à jour : 19 déc. 2023

Niveaux et disciplines

« Ami entends-tu le vol noir des corbeaux sur nos plaines ? Ami entends-tu le bruit sourd du pays qu’on enchaîne ? » Créé en 1943, le Chant des partisans est devenu le chant le plus emblématique de la Résistance, régulièrement entonné lors des cérémonies commémorant la défaite de l’Allemagne en 1945 ou à chaque événement lié à l’histoire de la Résistance. Ce chant fait désormais partie du patrimoine français, au point qu’on l’a parfois décrit comme la Marseillaise des maquis. La réalité, comme toujours, est un peu plus complexe.

Refus de la défaite

En mai 1940, après neuf mois de drôle de guerre (la période qui suit l’invasion de la Pologne par l’Allemagne), la France est balayée en six semaines par l’armée allemande. Un désastre. Les Britanniques, qui ont déclaré la guerre à l’Allemagne aux côtés de la France, se retrouvent seuls face à elle. D’un peu partout, des habitants de l’Europe occupée rejoignent Londres, qui devient un temps la capitale de l’Europe libre – ou de ce qu’il en reste. Le général Charles de Gaulle, éphémère sous-secrétaire d’État à la guerre du gouvernement de Paul Reynaud, s’y trouve. Il n’accepte pas l’armistice et l’instauration d’un gouvernement de collaboration installé à Vichy avec, à sa tête, le maréchal Pétain.

Depuis le 18 juin 1940 et l’appel du général de Gaulle, la radio joue un rôle central dans la manière dont les Français qui poursuivent la lutte hors de France communiquent avec les Français restés en France. Il est d’ailleurs significatif que le chef des Français libres n’appelle pas, au départ, à des actions en France, mais bien à le rejoindre pour combattre depuis l’étranger : l’Angleterre, dans un premier temps, puis l’Empire colonial français, espère-t-il.

Niveaux: Cycle 4 - Lycée général et technologique - Lycée professionnel

De Gaulle et la France libre

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La radio, média de la Résistance

Dès lors, la radio devient le média incontournable de ceux qui veulent lutter contre l’occupant. Elle permet de maintenir le lien entre Londres et la France occupée. Depuis l’été 1940, les Français libres disposent d’une émission quotidienne, Les Français parlent aux Français, qui permet de transmettre des informations ou des instructions à destination des réseaux et groupes de Résistance (les célèbres messages personnels), mais également de révéler des faits que la propagande allemande et vichyste passe sous silence. Mais les chansons aussi jouent un rôle. À côté des pastiches popularisés par Pierre Dac, d’autres morceaux sont composés pour rehausser le moral des combattants.

Date de la vidéo: 1943 Collection:  - Les Français parlent aux Français

Pierre Dac chante La défense élastique

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Parmi les artistes qui ont rejoint la France libre, on trouve Anna Marly. Née Bétoulinskaïa à Saint-Pétersbourg en 1917 dans une Russie que sa famille a fuie en 1919 pour se réfugier en France, elle a rejoint Londres en 1941 après avoir traversé les Pyrénées, gagné l’Espagne, puis le Portugal. Elle s’engage dans la France libre comme cantinière. Depuis son adolescence, elle compose des airs qu’elle chante parfois en les accompagnant à la guitare. Ancienne danseuse des ballets russes, chanteuse reconnue (elle a été vedette américaine au théâtre des Variétés à Bruxelles), elle met ses dons artistiques au service de l'ENSA (Entertainments National Services Association) en chantant pour les soldats dans les casernes. Brune, grande, solide, pleine d'entrain et de vitalité, telle que la décrit l'écrivain et résistant Joseph Kessel, qui la côtoie à Londres, elle ravit les habitués du Petit Club français, un cabaret aux accents tricolores en plein cœur de la capitale britannique. Les camarades de la Résistance s'y retrouvent pour se changer les idées et écouter les chansons d'Anna Marly, qui portent sur la France occupée (Courage ou Paris est à nous). Ses mélodies s’inspirent souvent du folklore russe et, au début de l’année 1943, l’une d’elle attire l’attention d’un autre Français libre, le résistant Emmanuel d’Astier de la Vigerie. Il rédige, pour l’accompagner, un texte en français de la chanson qui va devenir La Complainte du partisan :

« L’ennemi est venu chez moi,

Il m’a dit : Résigne-toi,

Mais je n’ai pas pu,

Et j’ai repris mon arme »

« Ohé partisans, ouvriers et paysans »

Mais c’est une autre chanson, ayant aussi pour thème la figure du partisan qui va entrer dans l’histoire. Au printemps 1943, la France combattante veut produire des émissions de radio plus politiques. Naît alors l’idée de l’émission Honneur et Patrie animée notamment par André Gillois. Ce dernier souhaite disposer rapidement d’un indicatif différent des fameux quatre coups du destin (po-po-po-pom) qui annoncent l’émission Les Français parlent aux Français. Emmanuel d'Astier emmène André Gillois écouter Anna Marly au Petit Club français. Elle y fredonne un ancien chant de guerre avec des paroles en russe, Partiansky, remis au goût du jour en l’honneur des combattants soviétiques de Stalingrad. Et comme elle ne se souvient pas de tous les couplets, elle chantonne la musique, puis se contente de siffler les notes. Et ce sifflement c'est exactement ce que Gillois attendait. Il a trouvé son indicatif !, écrit Dominique Bona dans Les Partisans – Kessel et Druon, une histoire de famille (éditions Gallimard).

Est également présent le journaliste et écrivain Joseph Kessel. La mélodie est entraînante, moins mélancolique que la complainte composée quelques mois plus tôt. Aussitôt naît l’idée d’écrire des paroles en français. Le 30 mai 1943, dans un hôtel du Surrey, Joseph Kessel travaille sur le texte avec son neveu, Maurice Druon. Sifflez, compagnons, dans la nuit la Liberté nous écoute... Le Chant des Partisans est en train de naître. De temps en temps, le résistant Fernand Grenier interrompt les auteurs : Alors, c'est bientôt fini, cette Marseillaise ? En deux heures à peine, les paroles sont écrites. La chanteuse Germaine Sablon, compagne de Joseph Kessel, enregistre la chanson le 31 mai 1943, aux studios d'Ealing, près de Londres.

Date de la vidéo: 2017 Collection:  - La Marche de l'Histoire

Le Chant des partisans

Les partisans, combattants de l'ombre

Figure singulière que celle du partisan, du combattant irrégulier, qui lutte derrière les lignes ennemies. Sa mythologie remonte à la guerre de libération allemande de 1813 contre les troupes napoléoniennes, avec la figure du Freischutz, le « franc-tireur » prêt à risquer sa vie et qui, en cas de capture, ne peut s’attendre à aucune merci de ses adversaires : ne combattant pas en uniforme, le droit de la guerre ne s’applique pas à lui. On n'est donc pas tenu de le faire prisonnier et on peut l’exécuter sans procès. 

Le chant lui-même, s’il ne fait pas référence directement au sort réservé au partisan en cas de capture, est un texte d’une franche brutalité. Il commence par une évocation de l’Occupation et des « cris sourds du pays qu’on enchaîne ». Il se poursuit par un appel aux armes des « partisans, ouvriers et paysans », embrassant la France des combattants, celle des villes et des campagnes. Et l’objectif de cette union, c’est bien de tuer, de saboter, de « briser les barreaux des prisons », sans perdre de vue que l’on peut mourir : « Ami, si tu tombes, un ami sort de l’ombre à ta place », une strophe qui n’est pas sans rappeler le 4e couplet de la Marseillaise : 

« Tout est soldat pour vous combattre.

S'ils tombent, nos jeunes héros,

La terre en produit de nouveaux

Contre vous tout prêts à se battre. »

Que signifie au juste cet hymne de la Résistance ? Ce chant de guerre est une invocation révolutionnaire, un appel à l'union lancé aux peuples en esclavage. (...) Il exprime une valeur morale menacée par les diversions politiques du moment : la fraternité des hommes, répond Dominique Bona (op.cit.). Mais ce chant fut-il d'emblée un hymne de la Résistance ? Fut-il repris par les résistants et par les maquisards ? Les maquis se constituent à partir de 1943, regroupant adversaires du régime de Vichy ou de l’occupant et réfractaires au Service du travail obligatoire qui les rejoignent en masse pour échapper à un départ en Allemagne. Ont-ils entonné les paroles de l'air composé par Anna Marly ? Pas vraiment. L’air, sifflé et diffusé avant les émissions des Français libres se popularise, mais les paroles demeurent largement inconnues. Emmanuel d’Astier de la Vigerie diffuse le texte dans une revue clandestine, Les Cahiers de la Libération.

C’est donc après la guerre que le Chant des partisans va gagner ses lettres de noblesse et sa vraie reconnaissance populaire. Ses paroles frappantes (« Demain du sang noir sèchera au grand soleil sur les routes ») disent avec force ce que fut la Résistance à l’occupant et participent de la création du mythe d’une France entièrement résistante. Signe des temps, Anna Marly, autrice de la mélodie et du texte en russe dont Kessel (et Druon) se sont inspirés pour écrire le Chant, a été elle aussi longtemps reléguée aux oubliettes de l’histoire. Il faudra du temps pour admettre que tous les Français n’ont pas résisté – et que les femmes ont joué un rôle de premier plan dans cette Résistance, elles qui n’ont alors pas le droit de vote.

Date de la vidéo: 1963 Collection:  - Journal de 20 heures

L'anniversaire du Chant des Partisans

La Marseillaise des insoumis

L’idée de résistance et la symbolique du refus ne cessent pas avec la fin de la Seconde Guerre mondiale. En 1969, le chanteur canadien Leonard Cohen enregistre The Partisan sur son album Songs for a Room. Cette version très personnelle de la Complainte du partisan d’Anna Marly, avec sa version en anglais suivie d’une version des paroles en français, diffère légèrement de l’original. Elle décrit un homme en fuite qui « tourne en rond dans la prison des frontières », en pleine période de guerre du Vietnam où de nombreux jeunes Américains qui tentent d’échapper à la conscription franchissent la frontière du Canada voisin pour s’y réfugier. Cette chanson est bien plus connue dans le monde anglo-saxon grâce à Leonard Cohen que ne l’est le Chant des Partisans. The Partisan est devenu, au fil des années, un chant de résistance à l’oppression.

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En France, le Chant des partisans est régulièrement entonné lors de cérémonies, nous rappelant la puissance de l’art dans l’évocation historique. Le texte du Chant a d’ailleurs été publié dans la revue littéraire de d’Astier et de très nombreux journaux clandestins publiaient à côté des nouvelles, des poèmes ou des textes de chansons. D’autres chants de la résistance, comme Ceux du Maquis, n’ont pas connu une telle célébrité.

Date de la vidéo: 1944 Collection:  - Office français d'informations cinématographiques

Ceux du maquis

Ce qui fait sans doute la force du Chant des partisans est sa simplicité et sa brièveté. Il demeure, dans l’inconscient collectif, le chant des Résistants, des Partisans, des combattants de la liberté, conjuguant une mélodie entraînante, envoûtante et des mots d’une grande crudité et violence, qui n’est évidemment pas sans rappeler notre hymne national qui, avant de s’appeler La Marseillaise, s’appelait Le Chant de marche de l’armée du Rhin

Pour aller plus loin

     

Deux pistes pédagogiques

The Partisan, en anglais pour les lycéens : ce parcours en LVE anglais, à destination des lycéens, se concentre sur l’étude de la vidéo, puis des paroles de la chanson The Partisan, interprétée par Leonard Cohen. Un travail de comparaison est également proposé avec la chanson originale d’Anna Marly La Complainte du partisan.

Niveaux: Langues vivantes étrangères : Anglais

The Partisan, de Leonard Cohen

 

• Le programme de la Résistance pour reconstruire la France : Cette piste pédagogique à destination des lycéens permet d'aborder le sujet du Conseil national de la Résistance et de sa charte : de l’élaboration d’un programme commun dans la clandestinité à son application à la Libération.

Niveaux: Lycée général et technologique - Lycée professionnel

Le Conseil national de la Résistance

Un dossier thématique

1940. Entrer en Résistance : comprendre, refuser, résister. Les nombreuses formes de refus qui se manifestent dès l’été et l’automne 1940 (tentatives de sabotages, manifestations de ménagères, manifestations des étudiants le 11 novembre 1940, jusqu’à la campagne des V au début 1941) témoignent toutes d’un rejet de l’occupation et de la collaboration qui contredisent l’image d’une population française acceptant majoritairement son sort au lendemain de la défaite.

Un épisode de La Grande Explication

Retour sur le parcours de celui qui incarne dans la mémoire collective à la fois la victoire de 1918, la capitulation face à l'Allemagne nazie et les crimes de Vichy.

Date de la vidéo: 2022 Collection:  - La Grande Explication

Philippe Pétain, du héros au traître

Une archive vidéo

À l’appel de De Gaulle, des soldats appartenant aux troupes de Norvège ou aux unités embarquées à Dunkerque le rejoignent pour s’engager à ses côtés. Ils constituent les premiers Français libres et combattent aux côtés des Britanniques dans les airs ou sur mer. Des femmes forment également un corps volontaire féminin. En 1944, l'Office français d'informations cinématographiques retrace la formation de cette force qui refuse la défaite (en anglais).

Un essai

Dominique Bona, Les Partisans, Kessel et Druon, une histoire de famille, éditions Gallimard.

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