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Cyberharcèlement : les ravages de la violence en ligne

Copyright de l'image décorative: © Nicolas DUPREY/ CD 78

Par Jean-Pierre Vrignaudjournaliste spécialisé en histoire
Publication : 08 nov. 2023 | Mis à jour : 19 déc. 2023

Niveaux et disciplines

Commentaires humiliants, insultes, faux profils, publications de photos intimes… La cyberviolence touche tous les collèges et lycées de France. Mais les plus jeunes, qui découvrent les réseaux sociaux de plus en plus tôt (dès 8 ans), sont aussi concernés par le harcèlement en ligne. De quoi parle-t-on ? Quels recours ? Quelles sanctions ?

 

Gaspard (le prénom a été modifié) a 8 ans. Il est fin, les cheveux longs, il ne joue pas au foot et on le prend souvent pour une fille. Un matin, dans la cour de l’école, deux collégiennes qu’il ne connaît pas l’interpellent : « Eh dis donc, toi, tu as une b. ou une ch. ? » Il ne sait pas quoi répondre et elles repartent en riant. Neuf ans plus tard, Gaspard est en terminale, toujours un look androgyne et, sur WhatsApp, poste un selfie en crop top. Un garçon de sa classe lâche en ligne un commentaire homophobe, à forte connotation sexuelle, assorti d’une menace de mort. Violent, inquiétant. Pas un seul jeune qui suit son compte ne réagit à l’insulte ni ne le soutient : « C’est une question d’opinion », relativise une camarade. Entre 8 et 17 ans, de la moquerie cruelle à la cyberviolence, les propos dégradants jetés contre lui se sont succédé comme une rengaine. Gaspard s’est plaint de maux de ventre, il a manqué la moitié du temps scolaire. Sa chambre a été son refuge. Il y a passé des semaines entières en solitaire.

Date de la vidéo: 2018 Collection:  - Mon Fil Infographie

Qu'est-ce que le harcèlement scolaire ?

Aujourd’hui, Gaspard a 22 ans, le monde extérieur est une menace et il n’est pas très à l’aise lorsqu’il sort dans la rue… 

L’histoire de ce jeune homme est doublement significative. D’une part, comme c’est souvent le cas, les conséquences du harcèlement perdurent bien après les faits. D’autre part, ce qu’on a attaqué, chez lui, c’est sa différence : il s’agit là en effet du principal moteur des harceleurs. Chez les garçons, relève-t-on à l’association e-Enfance, en pointe dans la lutte contre le harcèlement des mineurs, c’est le plus souvent l’orientation sexuelle et le supposé manque de virilité qui sont stigmatisés ; chez les filles, c’est le poids, les vêtements, et l’expression de la féminité, trop ou pas assez marquée. On s’attaque également au handicap, à la couleur de peau ou parfois au simple fait d’avoir de bonnes notes.

Des persécutions 24 h sur 24

Commentaires humiliants, insultes, faux profils sur les réseaux sociaux, publications de photos intimes… Le harcèlement touche tous les collèges et lycées de France. Surtout, il fout des vies en l’air. Quand il s’exerce contre des jeunes en phase de construction, il peut avoir des conséquences dévastatrices sur l’instant – décrochage scolaire, désocialisation, anxiété, dépression, somatisation, conduites autodestructrices, voire suicidaires –, mais également des années plus tard. Depuis les années 2010, le phénomène a pris une nouvelle dimension. Avec la généralisation des smartphones, les réseaux sociaux ont engendré un avatar surpuissant du harcèlement : le cyberharcèlement.

Conséquences : les persécutions ne s’arrêtent plus, 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24 ; elles se démultiplient, des groupes entiers, qui n’ont même jamais croisé leur victime, chassent en meute (phénomène du mobbing) ; enfin, le cadre n’est plus l’école ni même la rue, c’est l’espace cyber tout entier. Particulièrement inquiétant quand on sait que les enfants arrivent de plus en plus tôt sur les réseaux. « C’était vers 12-13 ans il y a quelques années, témoigne Samuel Comblez, psychologue des enfants et adolescents et directeur des opérations de l’association e-Enfance, maintenant, c'est dès 8 ans. »

Cyberharcèlement ? On parle de la publication d’une photographie d’un camarade pour mettre des commentaires humiliants, du fait de commenter les publications d’une personne pour la menacer ou l’humilier, de créer un faux profil pour se faire passer pour un camarade et à nouveau l’humilier en publiant des contenus en ligne. Parmi les pratiques les plus traumatisantes : le revenge porn, le chantage à la webcam, l’incitation au suicide. Concrètement, il n’y a aujourd’hui pas un seul collège ou lycée qui ne fasse pas face au cyberharcèlement. D’après l’enquête de multivictimation réalisée dans les collèges en 2021-2022 par la direction de l'Évaluation, de la Prospective et de la Performance (DEPP), un collégien sur cinq a été victime d’au moins une cyberviolence de façon répétée sur l’année. Par ailleurs, 60 % des jeunes âgés de 18 à 25 ans disent avoir subi du cyberharcèlement (Institut Audirep pour l’association e-Enfance, novembre 2022).

« C’est pour s’amuser »… Vraiment ?

« C’est anonyme », « Ce ne sont que des mots », « Les réseaux, c'est la vie privée »… Ces propos de jeunes relevés dans la vidéo « SPAM » montrent que les adolescents sous-estiment nettement, quand le harcèlement se fait en ligne, la gravité des faits, ses conséquences pour les victimes et même les sanctions pour les harceleurs.

Samuel Comblez, psychologue de l'enfance et de l'adolescence et directeur des opérations de l'Association e-Enfance, évoque l’« effet cockpit ». « Imaginez, vous êtes un pilote de chasse et vous larguez une bombe sur une population. Le geste est très simple, il suffit d’appuyer sur un bouton. Au niveau émotionnel, vous avez peut-être un petit sursaut au moment de déclencher le largage, mais ça va vite se dissiper, vous atterrissez et vous reprenez tranquillement votre vie. Pendant ce temps, ce que vous ne voyez pas, ce sont les populations qui ont reçu la bombe, qui sont dévastées, complètement détruites. » D’un côté, les harceleurs disent : « C’est pour s’amuser » ; de l’autre, leurs messages, démultipliés par les réseaux, s’abattent comme des déflagrations.

Mais Internet, c’est la vraie vie. Ce qui est interdit dans le monde physique l’est également en ligne. Le harcèlement est un délit, la cyberviolence l’est tout autant. Un mineur de plus de 13 ans risque un an de prison et 7500 € d’amende si la victime a plus de 15 ans ; 18 mois de prison et 7500 € d’amende si la victime a moins de 15 ans. La sévérité des sanctions est à la mesure de la détresse des victimes. Au 3018, la ligne dédiée à l’écoute et au soutien des jeunes harcelés, le protocole prévoit que lorsqu’un appelant évoque sur le tchat une volonté suicidaire, puis interrompt la conversation pendant plus de quatre minutes, l’écoutant appelle les pompiers pour qu’ils se rendent au domicile du jeune. À l’heure actuelle, le 3018 appelle les pompiers une fois par semaine. 

Le devoir de protection des adultes

« Pourquoi tu es gros ? », « Tu manges trop de McDo ! », « T’es le plus gros de la classe… » « Gros lard ! »… Ces mots, Gaëtan Canaveira, qui vient de publier son témoignage d’élève harcelé (J’aime qui je suis, éditions Solar), les a entendus dès l’école primaire. « Petit à petit, mon estime de moi disparaît (…) Je suis gros, alors je mérite qu’on m’appelle « Bouboule » et qu’on me dénigre. Mes harceleurs ont réussi à ancrer dans ma tête que le problème vient de moi. (…) Je suis devenu le garçon qui pleure en toute occasion et c’est devenu un jeu, pour les autres, que d’essayer de me faire pleurer, de voir jusqu’où je pouvais résister. » Le harcèlement durera tout le temps de sa scolarité. Mais un jour, raconte-t-il, un changement s’est produit. Il vient de quitter la classe pour pleurer après une remarque sur son physique. Ce jour-là, il se passe quelque chose que je n’attends plus : ma professeure me suit, elle s’approche de moi, pleure à mes côtés et me prend dans ses bras.

Elle comprend que j’ai besoin d’être consolé, mais aussi défendu. Elle intervient ensuite pour le soutenir devant ses camarades et punir la fille qui l’a blessé. Je me sens intouchable, moi qui ai été touché par tout et par tout le monde depuis tant d’années. C’est un événement dans sa scolarité. Cette fois-ci, il reprend le pouvoir… Le témoignage à la fois touchant et passionnant de Gaëtan, qui est devenu influenceur et intervient dans des écoles pour raconter son expérience, dit toute la responsabilité des adultes, leur devoir de protection. Non, le harcèlement n’est pas une chamaillerie anodine qui permet de s’endurcir, qui fait partie d’un rite initiatique. Ce qui ne te tue pas te rend plus fort ? Sauf que ça tue ! Vingt suicides en trois ans.

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Pour aller plus loin

Le 3018, un numéro et une application

  • 3018 : en cas harcèlement et de cyberharcèlement. 100 % anonyme, gratuit et confidentiel. Disponible 7j/7, de 9 heures à 23 heures. Une équipe dédiée, composée de psychologues, juristes et spécialistes des outils numériques.
  • Téléchargez l'application 3018 sur les plateformes habituelles iOS et Google Play. Tchat, questionnaire, fiches pratiques et possibilité de stockage des preuves.

Quatre articles

Entretien : L’Éducation nationale face au cyberharcèlement
Question à Édouard Geffray, directeur général de l’enseignement scolaire.

• Harcèlement à l'école : que peuvent faire les enseignants ?
Comment l'école peut-elle repérer les signaux faibles du harcèlement, dans la vie réelle ou en ligne ? Quelles formations et quels outils pour les personnels de l'Éducation nationale ? Reportage au collège Françoise-Seligmann, à Paris.

• Le 3018 : le recours des jeunes victimes de cyberharcèlement
La force de ce dispositif ? Les écoutants, psychologues et juristes, sont capables de faire retirer les contenus inappropriés sur les réseaux sociaux.

• Cyberharcèlement : le glossaire
Onze définitions pour mettre des mots sur les dangers du harcèlement en ligne.

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