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Le 3018 : le recours des jeunes victimes de cyberharcèlement

Copyright de l'image décorative: © ALAIN JOCARD / AFP

Par Jean-Pierre Vrignaudjournaliste spécialisé en histoire
Publication : 08 nov. 2023 | Mis à jour : 19 déc. 2023

Niveaux et disciplines

Le 3018 : ce numéro et cette application, gratuits, anonymes et confidentiels, recueillent la parole des jeunes victimes de harcèlement. La force de ce dispositif ? Les écoutants, psychologues et juristes, sont capables de faire retirer les contenus inappropriés sur les réseaux sociaux. Reportage à Paris dans les locaux de l'association e-Enfance, qui gère la ligne d'écoute.

Vous imaginez, une ado qui irait voir ses parents pour leur dire : "Je suis sur un réseau social" alors qu’on le lui avait interdit. Puis : "J’ai une relation amoureuse" quand maman lui avait dit qu’elle était trop jeune. Ensuite : "J’ai échangé des photos dénudées". Là, c'est le coup de colère assuré. Et, enfin : "On s’est séparés et des photos sont en train d’être diffusées partout". Le drame absolu… Au 3018, ce type de situation, c’est notre quotidien, nous en traitons des dizaines et des dizaines, explique Samuel Comblez, psychologue de l’enfant et de l’adolescent et directeur des opérations de la ligne d’écoute. Le 3018 est le seul numéro gratuit, confidentiel, où le jeune sait qu’il va pouvoir tout raconter, où on ne va pas le juger, pas le disputer et on ne va pas répéter à ses parents ce qui s’est passé, poursuit-il. Notre mission, c’est d’offrir une écoute et de faire en sorte que les photos en ligne soient retirées le plus rapidement possible.

Âge moyen des appelants : 13-14 ans

Pierre angulaire de la lutte contre le cyberharcèlement des mineurs, le 3018, géré par l’association e-Enfance, voit aujourd’hui sa fréquentation exploser. Ouvert 7 jours sur 7, de 9 heures à 23 heures, il reçoit jusqu’à 150 appels quotidiennement. L’appli 3018, qui complète le dispositif, a été téléchargée 50 000 fois depuis sa création en février 2022.

La moyenne d’âge des jeunes qui contactent le 3018 : 13-14 ans, dont une majorité de filles, mais aussi des enfants qui, dès l’âge de 8 ans, se retrouvent cyberharcelés. Une étude réalisée pour e-Enfance en 2023 révèle que 67 % des 8-10 ans sont usagers des réseaux sociaux, un chiffre qui aurait plus que doublé en deux ans. Beaucoup de parents appellent également, ainsi que des professeurs, des infirmières. Un appel classique, relate Samuel Comblez, c’est une CPE ou une assistante sociale qui appelle le vendredi soir à 16 h 30 avec, à ses côtés, une adolescente en pleurs : "Elle vient de me révéler un truc explosif, je ne comprends pas tout. Elle me parle de photos sur TikTok, mais je ne suis pas une spécialiste, est-ce que vous pouvez m’expliquer ?" Nous éclairons alors l’adulte avant de prendre la jeune au téléphone.

Des écoutants juristes ou psychologues

Située au cœur de Paris, l’adresse qui abrite l’association n’est indiquée par aucune boîte aux lettres ni sonnette d’interphone. Le cœur battant du lieu : la plateforme d’appels qui accueille une douzaine de postes, où se relaye la vingtaine d’écoutants du 3018. Leur moyenne d’âge est de 26 ans, décrit Romain Chibout, ancien animateur jeunesse devenu le coordinateur de la plateforme. Ils se relaient par session de 5 heures maximum. Les situations auxquelles ils sont confrontés peuvent être très éprouvantes et un psychologue clinicien les accompagne.

Les écoutants sont juristes ou psychologues, les deux compétences majeures pour effectuer leur mission. Coordonnés par Romain Chibout, ils s’entraident et se conseillent en fonction des situations. Issus d’une génération rompue à l’usage des réseaux sociaux, ils sont capables d’expliquer à un jeune comment paramétrer un compte Snapchat ou Messenger, comment être vigilant sur l’envoi des messages, sur les commentaires, sur la manière de se présenter. Ils guident aussi les adultes pour installer le contrôle parental sur un smartphone.

La majorité des appels concernant le harcèlement sont liés à la sexualité, au corps dénudé, aux relations amoureuses et aux nouveaux modes de séduction liés aux réseaux. Le conseil de base ? Ne pas faire apparaître sur une même photo visage et parties intimes.

Coffre-fort numérique

Après l’écoute, qui permet d’appréhender la situation et de rassurer l’appelant, il s’agit de stopper la situation. Premier réflexe : on demande au jeune de bloquer le ou les auteurs de la cyberviolence. Ensuite, une donnée essentielle : le 3018 a la capacité de faire retirer rapidement des contenus illicites ou inappropriés.

Concrètement, l’appli 3018 possède un coffre-fort numérique où le jeune est invité à déposer des éléments de preuves : captures d’écran de photos ou d’extraits de texte, adresses URL de vidéos, nom de son compte, noms de compte des auteurs… L’écoutant peut en prendre connaissance tout en poursuivant la conversation par tchat – alternative à l’appel téléphonique, c’est le mode de conversation privilégié par les jeunes – et évaluer si le ou les contenus violent la loi française ou les standards d’utilisation des réseaux sociaux concernés. Si c’est le cas, un dossier est aussitôt envoyé à la plateforme concernée, avec des éléments de preuve accompagnés d’un commentaire préparé par le 3018 et justifiant la demande de retrait. Dans les faits, ça va très vite et ça fonctionne ! Quand le commun des utilisateurs voit ses demandes se perdre dans la masse des plaintes, le 3018, lui, est écouté.

Trente signalements par jour

Nous sommes signaleurs de confiance, explique Romain Chibout, et nous avons un lien direct avec des équipes dédiées chez tous les principaux réseaux. Ils savent que nos avis sont étayés, que nous sommes très scrupuleux sur les qualifications. Nous effectuons en moyenne 30 signalements par jour. Et nous avons la possibilité de signaler simultanément un grand nombre de comptes ou d’URL de vidéos dans les cas d’une diffusion de masse. Résultat ? En 2022, le 3018 a obtenu 10 000 suppressions de contenus et fermetures de comptes. Cette année, ce chiffre était atteint dès la fin août. C’est à la fois le signe d’une accélération du phénomène et d’une libération de la parole. On ose davantage en parler, analyse Samuel Comblez. Et puis, à chaque fois qu’un événement tragique survient, c’est triste, mais nous avons une recrudescence d’appels, des jeunes qui se reconnaissent et qui ne veulent pas que la même chose leur arrive.

Le 3018 peut également aider jeunes ou parents à porter plainte, en insistant sur le fait que la police est obligée d’enregistrer la plainte. Le mineur doit toutefois être accompagné d’un adulte. Les juristes du 3018 apportent également des conseils pour constituer un dossier complet et argumenté : comment présenter le contenu incriminé, avec quelle qualification, la mention des extraits du code pénal correspondants… Dans les cas le plus graves, le 3018 effectue des remontées d’informations préoccupantes auprès de l’Aide sociale à l’enfance. Concernant les rapports avec les institutions scolaires, y compris lorsque ce sont des professeurs que des élèves désignent comme harceleurs, les écoutants vérifient quelles démarches ont déjà été faites par les jeunes ou leur famille auprès des personnels de l’Éducation nationale. Aux parents, on conseille, dans leur rapport à l’administration, d’adresser des mails ou des courriers, afin de garder une trace. En dernier recours, si le 3018 considère qu’il peut y avoir une défaillance de l’établissement, il alerte le référent académique via un logiciel dédié du ministère de l’Éducation nationale. En aucun cas, le 3018 n’échange directement avec l’école. Agréée par le ministère de l’Éducation nationale, l’association e-Enfance propose également des interventions en milieu scolaire et des formations à destination des enfants, des parents et des professionnels.

Pour aller plus loin

Le 3018, un numéro et une application

  • 3018 : en cas harcèlement et de cyber harcèlement. 100 % anonyme, gratuit et confidentiel. Disponible 7j/7, de 9 heures à 23 heures. Une équipe dédiée, composée de psychologues, juristes et spécialistes des outils numériques.
  • Téléchargez l'application 3018 sur les plateformes habituelles iOS et Google Play. Tchat, questionnaire, fiches pratiques et possibilité de stockage des preuves.

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