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Francis Ponge : la poésie pour réconcilier les hommes et les choses

Copyright de l'image décorative: © AFP ARCHIVES / AFP

Par Jean-Clément Martin BorellaJournaliste histoire et culture
Publication : 13 mars 2024 | Mis à jour : 13 mars 2024

Niveaux et disciplines

Avec Francis Ponge, les objets deviennent objeux. Ils ne sont plus natures mortes, mais mondes vivants à observer et à écouter attentivement. En saisissant ce qu'ils sont vraiment, le poète, savamment, les renomme et révèle ainsi leur singularité.

 

En 1947, Jean-Paul Sartre inaugure la gloire de Francis Ponge par un texte intitulé L’Homme et les Choses, dans lequel il le consacre en tant que « poète des objets ». Une étiquette qui ne le quittera plus et fera de chacun de ses textes sur les choses, mais aussi sur la faune et la flore, des bibelots littéraires, au sens d’objets de peu d’importance sanctuarisés par l’écrit.

Redonner vie aux choses

D’où vient cette passion de Francis Ponge pour les choses ? D’abord, d’un éloignement émotionnel vis-à-vis de la poésie classique, de ce lyrisme plaintif autocentré sur l’homme qui lui donne, de son propre aveu, la nausée.

La passion de Francis Ponge pour les choses provient ensuite d’une volonté de donner la parole au « monde muet », de reconnaître ses qualités d’autonomie et d’expression. Il veut s’attaquer au fait que « personne n’enlève la peau des choses » (Le Grand Recueil, Gallimard, 1961) et mener une action véritable. Il a trouvé son leitmotiv : 

« Ce qui me pousse à écrire, c’est l’émotion que me procure le mutisme des choses qui nous entourent. […] J’ai le sentiment d’instances muettes de la part des choses, qui solliciteraient de nous qu’enfin l’on s’occupe d’elles et les parle… »

Réponse à une enquête radiophonique sur la diction poétique, 1953.

L’homme bavarde et le seul moyen de se délivrer de ce « brouhaha » ou « ronron » – deux termes pongiens – est, justement, de prendre parti pour les choses. Une expression dont il fera le titre de son premier grand recueil : Le Parti pris des choses (1942).

Écouter les choses

Pour lui, l’image que l’homme a de la nature et des choses est fausse. Sous leur apparence de calme, de sérénité, il règne en réalité « un désordre inouï », d’où s’échappent des sons que nous n’entendions pas avant que Ponge n’abatte les murs dressés devant nos oreilles. Considérer les choses dans leur essence comme dans leurs détails est un art difficile et Ponge n’est pas dupe. Étant lui-même un homme, il ne pourra totalement les considérer sans qu’elles soient dépourvues de toute influence : « L’oiseau trouve son confort dans ses plumes. Il est comme un homme qui ne se séparerait pas de son édredon », écrit-il dans « Notes prises pour un oiseau » (La Rage de l’expression, éditions Mermod, 1952). Il ne s’en formalise pas, puisqu’il ne s’agit pas de créer une vérité pure. L’essentiel est de ne pas être homocentré et d’observer avec modestie le spectacle qui nous environne. 

L’imagination de la nature est plus grande que celle de l’homme et peut-être est-ce pour cela que la plupart de ses sujets sont plus durables que nous, explique Francis Ponge à Jacques Chancel, le 4 décembre 1980, dans l’émission de France Inter Radioscopie

Renommer les choses

Enfin, s’intéresser aux choses, c’est se donner la possibilité de refonder le langage, reflet d’une organisation sociale que Francis Ponge exècre. La parole est viciée par les idées et seul un travail sur le vocabulaire peut permettre une refonte du langage, qui permettra en retour de définir au mieux les choses.

Les mots sont matériels, ils possèdent un son, une étymologie, une structure. Bien utilisés, bien combinés, ils ont la capacité de révéler la singularité de chaque chose. Francis Ponge les met donc en jeu afin de les associer à l’objet, exercice qu’il définit par le néologisme « objeu ». Il applique, par exemple, ce système à l’étude du monde animalier. 

Dans La Rage de l’expression, il s’attarde sur le mot « oiseau » qui, remarque-t-il, « contient toutes les voyelles ». Le jeu peut alors commencer : « À la place de l’s, comme seule consonne, j’aurais préféré l’L de l’aile : oileau. » Avant de consentir que le « s » a le mérite de ressembler « au profil de l’oiseau au repos ». Il est un disciple convaincu du cratylisme, une théorie du langage établissant une correspondance entre la forme des mots (lettres, sonorité…) et leur signification. Avec son « logoscope », appareil imaginaire qu’il a créé pour disséquer le langage, il fait donc conjointement œuvre d’artiste et de scientifique.

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