Francis Ponge : La Rage de l’expression

La Rage de l’expression, publiée en 1952, est le deuxième grand recueil ayant, avec Le Parti pris des choses (1942), participé à la gloire de Francis Ponge. Après avoir voulu réconcilier l’homme et les choses, il s’attelle, dans cet ouvrage, à refonder le langage, qu’il juge abusif et maladroit, et donc impropre à décrire le monde tel qu’il est vraiment.

 

La Rage de l'expression se compose de sept « poèmes », même si le terme exact est peut-être « proèmes », un mot valise associant prose et poème, mais aussi une transcription d’un terme grec désignant l’entrée en matière d’un discours. Terme d’autant plus convaincant que La Rage de l’expression est en partie composée de textes déjà parus dans un ouvrage, en 1948, que Francis Ponge avait justement intitulé Proêmes.

Les titres des sept chapitres sont les suivants :

• « Berges de la Loire »,
• « La Guêpe »,
• « Notes prises pour un oiseau »,
• « L’Œillet »,
• « Le Mimosa »,
• « Le Carnet du Bois de pins »
• « La Mounine ou Note après coup sur un ciel de Provence ».

Donner la parole au monde muet

On remarque que le monde végétal occupe une place capitale dans La Rage de l’expression quand Le Parti pris des choses s’attardait, lui, sur les objets principalement et quelques animaux. Ce choix répond au besoin de Francis Ponge de donner la parole au monde muet, et pourtant vivant, que l’homme a jusqu’alors toujours dédaigné en tant que sujet propre, ne le considérant que par rapport à lui. « Nous ne devons pas céder à la tentation de croire que ce soit seulement pour nous causer les tracas que je viens de décrire que l’œillet se comporte ainsi » (« L’Œillet »). L’homme n’est pas au centre du monde, la nature ne passe pas son temps à le regarder, même si la poésie le lui a fait croire.

 

Des mots au plus près de la réalité

Ce n’est que par une exploration enragée du langage que l’on peut prendre le parti de la nature, les mots n’ayant pas été créés par et pour eux. Les mots, justement, partagent le sort des choses : ils sont mal connus et considérés seulement par habitude. Une double difficulté s’impose donc à Francis Ponge : il lui faut manipuler les mots avec précaution afin de qualifier les choses avec précision. Il faut qu’à travers tous ses développements « la hampe du pin s’aperçoive » (« Le Carnet du bois de pins », La Rage de l’expression).

Il en découle une méthode. Son écriture sera inquiète, fera part de ses échecs, de la difficulté de créer. Ainsi, La Rage de l’expression constitue un journal poétique, que d’autres appelleraient des brouillons. Il est plein d’hésitations, de questionnements. 

« Vivre, être, créer, c’est errer… Vivent donc les erreurs ! Il s’agit seulement de ne pas donner comme vérité ce qui est bellement et utilement erreur. »

On comprend pourquoi il hésite à se qualifier de poète, n’estimant pas livrer au public un recueil fini comme l’impose la tradition, mais un amas de miettes poétiques. 

« Est-ce là poésie ? Je n’en sais rien, et peu importe. Pour moi c’est un besoin, un engagement, une colère. »