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Dans les coulisses de la création de Francis Ponge : un laboratoire à ciel ouvert

Copyright de l'image décorative: © Bernard Dumont / INA

Par Jean-Clément Martin BorellaJournaliste histoire et culture
Publication : 13 mars 2024 | Mis à jour : 13 mars 2024

Niveaux et disciplines

Écrire, pour Francis Ponge, c'est observer attentivement le monde autour de soi et rechercher, patiemment, minutieusement, à la définir le plus justement possible. Une quête exigeante, à laquelle il a consacré toute sa vie.

 

Dans plusieurs ouvrages, dont La Rage de l’expression (1952) et La Fabrique du pré (1971), Francis Ponge a fait des étapes de sa création artistique, de sa démarche, de son travail préparatoire, les sujets premiers.

Éloigné de la conception traditionnelle du poème qui, depuis l’invention de l’imprimerie, doit toujours être livré fini, Ponge entend bien montrer qu’il ne sort pas miraculeusement de l’esprit, mais qu’il est le fruit d’un dur labeur (en tout cas chez lui). Le poème n’est pas un objet clos : il faut manipuler bon nombre de mots avant d’atteindre une bonne description de l’objet. La figure du poète en est ainsi désacralisée, non pour le plaisir, mais dans le but de se rapprocher au plus près de la réalité, qui a sa beauté. 

« Plus je tourne autour de cet arbuste, plus il me semble que j’ai choisi un sujet difficile. » 

Francis Ponge, La Rage de l’expression.

Ne rien cacher du labeur créatif

Cette attitude tient pour beaucoup aux sujets qu’il choisit : les choses. Comment parler à la place d’un cendrier en utilisant le langage des hommes ? La difficulté est telle qu’il ne peut y avoir de résultat final tout à fait satisfaisant. En revanche, les étapes successives menant à la meilleure considération possible de l’objet ont une valeur intrinsèque et méritent de constituer le poème. Ponge ouvre donc son atelier de création en publiant un journal poétique. Ses poèmes, datés et localisés, sont accompagnés de réflexions personnelles, de remarques, jusqu’à exprimer la détresse du créateur, aveu impensable jusqu’alors : 

« Me voici ce soir tout à fait découragé, et comme perdu. Rien ne va plus. Je m’aperçois que je ne sais plus écrire. » 

Francis Ponge, La Fabrique du pré, Albert Skira éditeur, 1971.

Lorsque Francis Ponge écrit sur le pain, il s’attarde d’abord sur la majestueuse croûte, semblable aux plus beaux reliefs, avant d’évoquer « la mollesse ignoble sous-jacente » qu’est la mie et qui, pourtant, mérite de l’attention. Le travail poétique est semblable à « ce lâche et froid sous-sol », trop souvent dédaigné au profit du poème fini, croûte parfaitement dessinée. Dans l’émission « Les poètes et leurs images » du 19 septembre 1977, Michel Bouquet récite Le Pain, issu du recueil Le Parti pris des choses

Naturaliste des mots

La création de Ponge n’est donc qu’une succession d’ébauches qui, mises côte à côte, font œuvre. Dans Le Grand Recueil, Méthodes (1961), il se compare même à un de ces animaux qu’il aime traiter littérairement. Il s’est attardé sur la guêpe et l’oiseau dans La Rage de l’expression ; sur le papillon, la crevette, l’huître, le mollusque et les escargots dans Le Parti pris des choses. Dans Le Grand Recueil, le héros est la taupe, cette infatigable exploratrice des souterrains. Francis Ponge se fraye à travers les mots et les expressions un chemin comme la taupe avance au milieu « des matériaux rejetés », voyant davantage son travail comme un éternel tunnel « plutôt que comme un édifice ou une statue ».

L’outil indispensable pour tracer ce chemin, c’est le dictionnaire, plus exactement le Littré, dictionnaire étymologique, historique et grammatical paru au milieu du XIXe siècle, caractérisé par ses définitions littéraires, agrémentées de citations. Son auteur, Émile Littré (1801-1881), à la fois médecin, historien, philosophe et traducteur, avait pour objectif de présenter « une monographie de chaque mot, c’est-à-dire un article où tout ce qu’on sait sur chaque mot fût présenté au lecteur ». C’est la bible de Ponge, l’objet au fondement de la réconciliation entre la science et l’art, cette entreprise qui n’a pas de nom, mais qui « pourra un jour être appelé poésie » (La Rage de l’expression). 

Si Francis Ponge ne pouvait travailler sans une consultation effrénée du Littré, il estime néanmoins que les objets n’y sont jamais définis dans leur vérité sensible. C’est à lui, l’artiste en prose, de montrer que le sensible n’est pas un obstacle à la vérité de l’objet, mais que, au contraire, il lui donne son essence véritable. Il s’en confie dans le documentaire « Vers Francis Ponge », du 29 mars 1966.

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Niveaux: Lycée général et technologique - Lycée professionnel

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