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Francis Ponge : contexte artistique

Copyright de l'image décorative: © Boris Lipnitzki / Roger-Viollet

Par Jean-Clément Martin BorellaJournaliste histoire et culture
Publication : 13 mars 2024 | Mis à jour : 28 mars 2024

Niveaux et disciplines

Séduit par le dadaïsme et le surréalisme, Francis Ponge choisira pourtant d'évoluer loin de tout courant artistique. Par souci d'indépendance, parce que sa démarche se démarquait, mais aussi parce qu'il envisageait l'art comme une quête avant tout laborieuse et solitaire. 

 

Francis Ponge entre en littérature au lendemain de la Première Guerre mondiale, à un moment de faillite de la civilisation humaine, que l’art entend récupérer pour changer le monde des représentations.

D'abord dada ?

Le mouvement dada, dont le chef de file est Tristan Tzara, s’attache à libérer l’art de ses retenues et à enterrer le vieux monde par des audaces créatrices. Pour exemples, le peintre Jean Arp pose au gré du hasard des formes géométriques sur un support en carton, tandis que Tzara conseille, dans son « Dada manifeste » (1916), d’écrire des poèmes en alignant des mots découpés dans les journaux.

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Âgé de 20 ans en 1919, Francis Ponge n’est pas membre du mouvement, mais il commence à établir un projet artistique affilié. Disciple des deux poètes ayant « déréglé les sens » à la fin du XIXe siècle, Arthur Rimbaud et Stéphane Mallarmé, il entend créer un nouveau langage, libéré de l’influence néfaste que lui donnent les hommes. Au début des années 1920, Ponge se lie aux écrivains Jacques Rivière et Jean Paulhan, qui lui ouvriront les pages de La Nouvelle Revue française, la publication littéraire de référence des nouveaux penseurs.

Surréaliste, vraiment ?

Bientôt, un mouvement artistique s’imposera comme une référence dans l’entre-deux guerres : le surréalisme. En 1924, le poète André Breton publie le Manifeste du surréalisme dans lequel il expose le pouvoir de la poésie, dont la nature s’avère idéale pour scruter la vie psychique de l’être humain, puisqu’elle offre des possibilités infinies de jeu avec le langage.

Le but des surréalistes est de libérer l’imagination, de faire souffler un vent de liberté qui révèlera les merveilles de l’inconscient humain. Ainsi, le poète Paul Éluard peut écrire sans retenue que « la terre est bleue comme une orange » et André Breton et Philippe Soupault rédiger tout un ouvrage (Les Champs magnétiques) selon le principe de « l’écriture automatique », où n’interviennent ni la volonté ni la conscience.

L'écrivain Philippe Soupault évoque André Breton et le surréalisme
1966 - L'écrivain Philippe Soupault évoque André Breton et le surréalisme [EXTRAIT]

Indépendant, surtout

Ennemi du lyrisme et des illusions du langage, attiré par l’absurdité du monde, ardent promoteur de l’avènement d’un homme nouveau, Ponge gravite autour de ce groupe (il signe le second Manifeste surréaliste en 1929 et publie un texte dans le numéro 1 de la revue Surréalisme ASDLR), mais il ne le rejoint pas. De tempérament calme, il n’adhère pas au tumulte que les surréalistes aiment à causer. 

« La façon de faire des surréalistes, c’est-à-dire être constamment sur les tréteaux à manifester, ça ne me concerne pas. J’aime mieux faire les choses, même si ce sont des choses subversives, dans le calme, comme un anarchiste prépare sa bombe, un petit peu à l’écart… »

Francis Ponge, La Fabrique du pré, Albert Skira éditeur, 1971.

Le 8 avril 1977, dans l’émission littéraire d’Antenne 2 « Apostrophes », Francis Ponge explique les liens qui l’unissaient au mouvement surréaliste et les raisons qui l’en ont écarté, se plaçant davantage comme un observateur intéressé qu’un membre convaincu. Cette position lui a permis de ne jamais se fâcher avec les figures tutélaires du mouvement, André Breton et Louis Aragon, alors que ce fut le cas de bien des membres.

Date de la vidéo: 1977 Collection:  - Apostrophes

Francis Ponge et les surréalistes

Des sources d'inspiration

Le surréalisme se diffuse à tous les arts et notamment à celui auquel Francis Ponge voue un intérêt profond : la peinture. Des artistes comme Joan Miró ou Salvador Dalí proposent des tableaux colorés aux images surprenantes, comme des pendants picturaux aux poèmes surréalistes. Ponge est très lié à Georges Braque, avec qui il publiera Cinq Sapates (1950), un ouvrage tiré à seulement 100 exemplaires, composé de ses poèmes et d’eaux-fortes de Braque. Leur amitié sera inspirante, le poète écrivant plusieurs textes sur le peintre. Il y questionne sa propre démarche et définit ses écrits comme des « pochades en prose ».

En recherche, toujours

Francis Ponge théorise sa pratique de l’écriture en la définissant comme un tâtonnement successif : 

« La fonction de l’artiste est fort claire : il doit ouvrir un atelier et y prendre en réparation le monde, par fragments, comme il lui vient. » 

Francis Ponge, Le Murmure, Les Écrivains Réunis / Armand Henneuse, 1956.

Comme les meilleurs peintres, Francis Ponge étudie son objet de façon panoramique. Ainsi, Le Pain est fait de « vallées, crêtes, ondulations, crevasses » (Le Parti pris des choses, 1942).

Il entend aussi conjurer le sort qu’est la fixation éternelle d’un mot, dépasser cette damnation par un travail acharné – La Rage de l’expression (1952) – pour essentialiser au mieux l’objet choisi.

Sa démarche emprunte à celle d’un scientifique, privilégiant la technique à l’inspiration. S’il n’est pas membre du groupe Oulipo, fondé en 1960 par le mathématicien François Le Lionnais et l’écrivain Raymond Queneau, qui propose d’écrire sous la contrainte de défis mathématiques, Ponge adhère tout à fait à l’idée d’une création artistique fondée sur la requalification du langage.  

Dans un dialogue quelque peu surréaliste, le journaliste littéraire Pierre Desgraupes tente, dans l’émission Le Temps de lire, de mettre à mal la grande théorie de Francis Ponge, selon laquelle les choses existent autant en tant que mot qu’en tant que chose, puisque si l’homme ne pouvait pas les nommer, il ne les verrait pas. Ce constat est au fondement de la quête poétique de Ponge : pour caractériser au mieux les choses, il faut retravailler en profondeur le langage. 

Date de la vidéo: 1971 Collection:  - Le Temps de lire

Francis Ponge et La Fabrique du pré

 

Révélé avec Le Parti pris des choses (1942), dans lequel il s’attarde, entre autres, sur « la cigarette », « le cageot » ou « la bougie », Francis Ponge s’inscrit pleinement comme un artiste de son temps, confronté aux affres de la société de consommation. Désireux de contempler le monde qui l’entoure (naturel et manufacturé), il s’éloigne sur ce point des surréalistes, trop attachés pour lui au récit du rêve et à l’analyse de l’inconscient. Ponge est un poète à la conscience matérialiste, ce qui le classera, aux yeux de Jean-Paul Sartre, puis de la postérité, comme le plus grand « poète des objets ».

Pour aller plus loin

Retrouvez tous nos articles autour de Francis Ponge et de son œuvre.

Niveaux: Lycée général et technologique - Lycée professionnel

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