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Dans quel contexte artistique Rimbaud a-t-il évolué ?

Copyright de l'image décorative: © Henri Fantin-Latour

Henri Fantin-Latour, Coin de table, 1872. Les trois hommes debout sont, de gauche à droite : Elzéar Bonnier, Émile Blémont, Jean Aicard. Les personnes assises sont : Paul Verlaine et Arthur Rimbaud, Léon Valade, Ernest d'Hervilly, Camille Pelletan. Camille Pelletan est le seul ici à ne pas être poète. 
Par Jean-Clément Martin BorellaJournaliste histoire et culture
Publication : 02 avr. 2024 | Mis à jour : 03 avr. 2024

Niveaux et disciplines

Héritier des romantiques, attiré par les parnassiens, Arthur Rimbaud s'émancipera vite des carcans artistiques. Analyse des influences du poète de Charleville et des libertés qu'il a su prendre, ouvrant la voie, sans le savoir, à de nouveaux courants littéraires. 

 

Pour faire ses gammes, tout jeune poète crée à partir de ce qu’il a lu, dans un processus d’imitation personnelle. 

En 1870, au moment où Rimbaud commence à rédiger ses premiers poèmes (rassemblés ensuite dans Cahier de Douai), le mouvement romantique constitue toujours une référence en France même si, parmi ses plus grands représentants, seul Victor Hugo est encore vivant.

Qu'est-ce que le romantisme ?

Le Voyageur contemplant une mer de nuages, huile sur toile de Caspar David Friedrich, 1817-1818 (Kunsthalle de Hambourg).

Le romantisme s’est imposé au début du XIXe siècle comme une réaction au classicisme qui régissait les arts.

L’une des caractéristiques principales de ce mouvement réside dans l’expression de la subjectivité, l’affirmation d’un « moi » sensible, confronté à une réalité décevante. 

Le romantique est un héros malheureux et la poésie lui permet d’exprimer son sentiment de solitude et sa quête effrénée d’un idéal.

Les romantiques ont sacralisé le poncif du poète inadapté au monde et tout aspirant ne saurait désormais écrire sans cette idée. Le jeune Rimbaud en est d'abord épris. 

Rimbaud, un poète qui s'affranchit des écoles ?

     

Rimbaud et les romantiques

Mais Rimbaud prend vite ses distances avec le mouvement romantique. Ennemi du lyrisme, il tourne en ridicule certains traits de cette école. Dans le poème Roman, il écrit : « On n’est pas sérieux quand on a dix-sept ans », faisant référence aux ébranlements amoureux du cœur adolescent, que les poètes romantiques semblent avoir conservés à l'âge adulte. Il voue une détestation particulière à Alfred de Musset, à qui il reproche d’être obsédé par l’inspiration, en lieu et place de l’effort intellectuel.

Portrait d'Alfred de Musset, présenté de profil. Il a cheveux mi-longs, une barbe et porte une chemise blanche avec un costume sombre.

Alfred de Musset, par Charles Landelle, 1854.

Rimbaud et les parnassiens

S’il est tôt critique des romantiques, Rimbaud ne se sent pas encore tout à fait poète solitaire et il aimerait rejoindre le groupe en vogue du moment, les parnassiens. Sous la figure tutélaire de Théodore de Banville, ce mouvement défend l’idée d’un art qui n’aurait pas d’autre but que lui-même et trouverait sa beauté au travers d’une forme parfaite. Le poète doit être un artisan consciencieux qui se consacre à son objet sans faire part de ses états d’âme. 

Rimbaud veut être publié dans Le Parnasse contemporain, la revue des parnassiens. Pour cela, il écrit deux fois à Théodore de Banville. La première fois, le 24 mai 1870, il lui joint trois poèmes. Dans le documentaire Poursuite d’Arthur Rimbaud, diffusé le 6 septembre 1965 sur l’ORTF, on entend dire cette lettre ainsi que le poème Soleil et Chair.

 

Rimbaud ne sera jamais publié dans Le Parnasse contemporain, mais il sera accueilli à plusieurs reprises dans leurs réunions grâce à l’entremise de Paul Verlaine. Le jeune homme impressionne et l’un des membres – le poète Léon Valade (1841-1884) – notera, dans une lettre au romancier Jules Claretie (1840-1913), « l’étonnante expression de précocité mûre » de Rimbaud, tout en le qualifiant d’« effrayant poète de moins de 18 ans ». Si son génie poétique est reconnu, son imagination libérée dérange, comme l’exprime le poète François Coppée (1842-1908) à propos du poème Voyelles :

Rimbaud, fumiste réussi,

Dans un sonnet que je déplore,

Veut que les lettres O, E, I

Forment le drapeau tricolore.

En vain le Décadent pérore,

Il faut sans mais, ni car, ni si

Un style clair comme l’aurore :

Les vieux Parnassiens sont ainsi.

François Coppée (1842-1908).

Ce « génie qui se lève », selon la formule du poète Émile Blémont (1839-1927), ne fréquentera pas longtemps le cercle. Juste le temps d’être représenté sur le tableau d'Henri Fantin-Latour, Coin de table (1872), à l’écart, aux côtés de Verlaine.

Notre partenaire L'Histoire par l'image revient sur le contexte historique du tableau d'Henri Fantin-Latour et en propose également une analyse (image cliquable).

Capture d'écran du site L'Histoire par l'image. Cette page revient sur le contexte historique du tableau de Fantin-Latour, Coin de table. Il propose également une analyse des images.

 

Après une altercation avec le poète et photographe Étienne Carjat (celui-là même qui a réalisé le portrait iconique de Rimbaud), le jeune trublion devient persona non grata. Il ne s’accordera plus à aucun mouvement littéraire.

Dans l’émission 2 000 ans d’histoire, diffusée en 2005, Jean-Joseph Julaud raconte le mélange de répulsion-attirance que provoque Rimbaud dans les cercles parnassiens, jusqu’à l’épisode menant à son exclusion. 

L'influence artistique de Rimbaud

Pourtant, plusieurs écoles poétiques feront de Rimbaud un phare. « L’influence de Rimbaud sur les activités poétiques qui sont nées après lui est en même temps une des plus évidentes et une des plus difficilement mesurables qui soient », écrit le journaliste Thierry Marlinier dans Le Figaro du 8 novembre 1941. Si Rimbaud a traversé la vie comme un météore, son œuvre a donné à la poésie plus d’audace et de libertés. Deux mouvements érigeront Rimbaud comme leur penseur fétiche : le symbolisme et le surréalisme. 

Rimbaud et les symbolistes

Le 17 juillet 1890, le poète Laurent de Gavoty adresse une lettre à Rimbaud, alors à Harar, dans l'est de l'Éthiopie. Il invite le « chef de l’École décadente et symboliste » à collaborer à la revue La France moderne, l’organe des symbolistes. 

Les symbolistes cherchent à élaborer un langage capable de porter les sensations les plus diverses, lui conférant un pouvoir comparable à celui de la musique. Il y a, derrière chaque chose, un mystère que la poésie se doit de révéler. Et s’ils font de Baudelaire le « véritable précurseur du mouvement », comme l’écrit le poète Jean Moréas (1856-1910), « un labeur opiniâtre et jaloux sollicite les nouveaux venus ». Dans les années 1880, durant lesquelles s’impose le symbolisme, Arthur Rimbaud est bien, dans le monde des lettres, un « nouveau venu ». Les symbolistes profitent de la publication des poèmes de Rimbaud, entre 1883 et 1895, pour en faire un des leurs, bien que celui-ci n’ait jamais donné son accord. 

Rimbaud et les surréalistes

Un peu plus de trente ans après la mort de Rimbaud en 1891, le poète André Breton, qui considérait la lecture de son aîné comme « sa plus grande affaire », publie le Manifeste du surréalisme : « Automatisme psychique pur par lequel on se propose d’exprimer, soit verbalement, soit par écrit, soit de toute autre manière, le fonctionnement réel de la pensée. »

À l'occasion de la vente du manuscrit complet du Manifeste du surréalisme, ce reportage revient sur le texte dans lequel André Breton, en 1924, posait les bases d'un mouvement artistique capital du XXe siècle.

 

Voulant faire du rêve, de l’imagination et du hasard les concepts clés du processus de création, mais aussi de la vie, l’école surréaliste s’attache à Rimbaud. Pour les surréalistes, le poète est notamment le précurseur de l’écriture automatique : une écriture qui ne fait intervenir ni la conscience ni la volonté, mais qui est dictée par le lâcher-prise de la pensée. « Hourra pour l’œuvre inouïe et pour le corps merveilleux, pour la première fois ! » (Matinée d’ivresse, Illuminations).

« Une espèce de pression des influences de Lautréamont, de Rimbaud, d’Apollinaire nous ont poussé à écrire absolument librement », raconte l'écrivain et poète Philippe Soupault à l’ORTF, le 30 septembre 1966, à propos de l’écriture automatique.

Pour aller plus loin

Des contenus chez nos partenaires

Notre partenaire BnF Les Essentiels propose un article sur la poésie rimbaldienne.

Capture de la page du site BnF Les essentiels intitulée Les Poésies de Rimbaud.

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La poésie selon Rimbaud

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Cahier de Douai, d’Arthur Rimbaud

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