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Cahier de Douai, d’Arthur Rimbaud

Copyright de l'image décorative: © P. Bonaldi / INA / Domaine public, via Wikimedia Commons

Par Jean-Clément Martin BorellaJournaliste histoire et culture
Publication : 02 avr. 2024 | Mis à jour : 03 avr. 2024

Niveaux et disciplines

Cahier de Douai, ou Cahiers de Douai, est le titre apocryphe d’un recueil auquel Rimbaud ne semble pas avoir songé. En septembre, puis en octobre 1870, Rimbaud effectue, sur l’invitation de son professeur Georges Izambard, deux séjours à Douai. Alors âgé de 15 ans, Rimbaud est un adolescent épris de liberté. Peut-être écrit-il à Douai quelques poèmes, mais, surtout, il les recopie au propre et les confie au poète Paul Demeny qu’il rencontre alors. Ce dernier se retrouve donc possesseur de poèmes que Rimbaud a écrits sur des feuilles de deux formats différents, d’où parfois la mise au pluriel de « cahier ». Les poèmes qui les composent traitent de sujets divers, aussi bien des émois personnels (Roman) que des sujets politiques du moment (L’Éclatante Victoire de Sarrebrück).

La composition du Cahier de Douai

Le premier cahier du Cahier de Douai se compose de 15 poèmes, sans aucune cohérence particulière. On retrouve les thèmes habituels de la fuite – expérience romantique par excellence – avec Sensation (« Par les soirs bleus d’été, j’irai dans les sentiers ») et de la sensualité – sujet cher à l’adolescence – avec Roman (« On divague ; on se sent aux lèvres un baiser »).

Ses influences sont principalement doubles : baudelairienne (Les Effarés) et hugolienne (Le Forgeron) [1] Baudelaire et Hugo sont des poètes soucieux d’exprimer poétiquement le sort des reclus de la société. Rimbaud suit, dans ses deux poèmes, cette posture peu répandue. . La sensibilité politique de Rimbaud se repère, elle, dans les Morts de Quatre-vingt douze (hostilité envers le Second Empire) et Le Châtiment de Tartufe (hostilité envers l’Église).  

Le second cahier, qui comprend 7 poèmes, paraît davantage unifié. Autant sur la forme (il n’y a que des sonnets) que sur le fond (le thème du mouvement est omniprésent), avec des poèmes tels qu'Au Cabaret-Vert, cinq heures du soir ou Ma Bohème, qui forment le « cycle du bohémien ». Des textes évoquant la guerre s’insèrent aussi dans cet ensemble, comme Le Dormeur du val.   

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Les 22 poèmes réunis aujourd’hui sous l’appellation de Cahier de Douai sont les expressions d’un poète-adolescent désireux d’aventures, qui combat l’ennui par la fuite (Au Cabaret-Vert, cinq heures du soir) et l’ordre bourgeois par l’ironie (À la musique).

Il n’est pas encore le poète « voyant », concept qu’il théorisera en 1871 – un an après avoir remis ses poèmes à Douai – dans une lettre à Paul Demeny, décidément récepteur privilégié des premiers écrits rimbaldiens. 

Rimbaud, un poète qui s'émancipe

En septembre et octobre 1870, Arthur Rimbaud est encore un héritier, maîtrisant avec talent les genres et la tradition poétique. Il fait ses gammes dans une versification classique où l’alexandrin est roi et le lyrisme des romantiques, bien présent :

Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme

Sourirait un enfant malade, il fait un somme :

Nature, berce-le chaudement : il a froid.

Arthur Rimbaud, Le Dormeur du val.

On remarque tout de même ici l’audace d’un rejet, puisque, dans le tercet ci-dessous, le premier vers cité ne correspond pas à une phrase complète : « sourirait comme un enfant malade » forme, en effet, le premier hémistiche du vers suivant, bien qu’il soit la continuité de la phrase « Souriant comme ». Cet enjambement, déjà utilisé par Victor Hugo, n’est pas encore un « dérèglement des sens ». « L’homme aux semelles de vent », comme Verlaine qualifiait Rimbaud, se contente pour l’instant d’exprimer, par bribes, des éléments de révolte. 

Dans Cahier de Douai, l’audace rimbaldienne est surtout lexicale. Il va plus loin que Baudelaire – l’un des premiers à utiliser ouvertement des mots triviaux dans l’alexandrin classique – n’hésitant pas à faire rimer « beau » avec « bureau » dans Les Reparties de Nina : 

Tu viendras, tu viendras, je t’aime !

      Ce sera beau.

Tu viendras, n’est-ce pas, et même…

Elle – Et mon bureau ?

Rimbaud, Cahier de Douai.

Pis, il ose associer « Vénus » et « anus » dans le poème Vénus anadyomène : 

Les reins portent deux mots gravés : Clara Venus ;

– Et tout ce corps remue et tend sa large croupe

Belle hideusement d’un ulcère à l’anus.

Rimbaud, Cahier de Douai.

À 15 ans, Arthur Rimbaud se sent donc apte à ridiculiser la déesse de l’Amour. Son anticonformisme, bien qu’à ses prémices, est en marche. 

 

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Notre partenaire BnF Les Essentiels propose un article sur la poésie rimbaldienne.

Capture de la page du site BnF Les essentiels intitulée Les Poésies de Rimbaud.

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