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Mes forêts d'Hélène Dorion : contexte historique

Copyright de l'image décorative: © Joey Kyber / Unsplash

Par Anne RevertAgrégée de lettres modernes, lycée français international André-Malraux, Rabat (Maroc)
Publication : 28 févr. 2024 | Mis à jour : 01 mars 2024

Niveaux et disciplines

Rédigé alors que le monde est en train de vivre de profonds bouleversements – à la fois sanitaires, écologiques, technologiques et identitaires –, le recueil Mes forêts retranscrit sous forme poétique le cheminement intérieur d'Hélène Dorion. De quelle manière le contexte historique dans lequel la poète évolue irrigue son œuvre et permet d'observer notre époque sous un jour nouveau 

Dans le troisième mouvement du recueil Mes forêts, « L'onde du chaos », la forêt décrite par Hélène Dorion est traversée par « mille voix de vent ». L’orage et la tempête assaillent cette forêt de toutes parts, la livrant au désordre et au chaos provoqués – entre autres – par la suprématie de l’avoir sur l’être dans un « amas de choses jetables », par le pouvoir du monde virtuel des « écrans » sur le monde réel et vivant, par l’ascendant pris par l’individualisme et le narcissisme de nos sociétés de divertissements, par le dérèglement des phénomènes climatiques. Ce constat alarmant s’inscrit dans un contexte historique – le nôtre –, victime du consumérisme et de l’accélération de la mondialisation dont nous proposons ici d'expliquer l’origine et le développement.

Les Trente Glorieuses et la société de consommation

De la fin de la Seconde Guerre mondiale aux débuts des années 1970, la France connaît l’âge d’or du plein emploi, porté tout à la fois par la nécessité de reconstruire le pays, les progrès techniques et la croissance de la production industrielle. La machinisation augmente considérablement la productivité et le rendement. L'économiste Jean Fourastié appelle cette époque les Trente Glorieuses (1945-1975).

Date de la vidéo: 2023 Collection:  - La Grande Explication

La France des Trente Glorieuses

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De leur côté, les États-Unis, afin d’éviter la dislocation du Vieux Continent et d’endiguer la poussée communiste, participent à la reconstruction des pays d’Europe grâce au plan Marshall. Un gigantesque effort de propagande cherche à convaincre les Européens des bienfaits de la libre entreprise et de la nécessité d’imiter l’American way of life pour connaître abondance et bien-être. 

Au Canada, cette période est caractérisée aussi par une grande prospérité. Dans les années 1930, après la période difficile de la Grande Dépression, les Canadiens vivent dans un contexte de croissance économique. C’est la montée de l’américanisme (mode de vie, loisirs, habitudes de consommation…), favorisée par l’apparition de médias de masse comme la radio, puis la télévision. La liberté, l’individualisme, la réussite économique sont plébiscités comme dans l’émission télévisée The Ed Sullivan Show dans les années 1950 et 1960 au Québec.

En 1970, le sociologue Jean Baudrillard définit le concept de « société de consommation ». Les nouvelles techniques de production de masse à bas coûts et le développement de la grande distribution ont permis l'accès des ménages à de nombreux objets, biens et services. Consommer n’est plus le moyen de satisfaire ses besoins, mais de se différencier. Aujourd’hui, nous avons basculé dans la mondialisation : c’est l’atelier du monde est le made in China évoqué par Hélène Dorion. 

Les dérives du productivisme

Au cours des années 1960, le productivisme a déjà des conséquences dramatiques sur l'environnement (pollution de l'air et des eaux par les rejets industriels et les produits chimiques, problème de la gestion des déchets…). Les premiers mouvements écologistes apparaissent. À l'échelle mondiale, des sociologues, des économistes et des industriels réunis au sein du Club de Rome demandent au MIT (Massachusetts Institute of Technology) une étude sur les limites de la stratégie de la croissance. Un rapport alarmant – le rapport Meadows – est publié en 1971 révélant que, sans un arrêt de la croissance, le monde court à la catastrophe. 

Les diktats de nos sociétés

Avec la communication numérique instantanée, le règne du temps court a modifié nos comportements et nos rythmes de vie. Nous vivons sous l’emprise de l’instantané. C’est l’analyse que propose Nicole Aubert dans son essai Le Culte de l’urgence, la société malade du temps, publié en 2009. Que l’on vive au Canada, en France ou ailleurs, nous sommes tous plus ou moins concernés par ce contexte, puisque notre planète est un « village global ». L’expression vient du sociologue Marshall McLuhan dans son ouvrage, The Medium is the message, paru en 1967. La capacité à accéder à des informations très rapidement par Internet donne l’impression de partager un même lieu virtuel. 

Avec le développement des réseaux sociaux, le rapport à soi et au monde change encore de dimension. Le sociologue Gilles Lipovetsky nomme notre époque L'Ère du vide dans son ouvrage qui réunit six Essais sur l’individualisme contemporain, publié en 1983 aux éditions Gallimard, et qui étudie les symptômes d’une révolution silencieuse, mais profonde, qui fait prévaloir le culte du moi et de l’individualisme. Parallèlement, basés sur la comparaison sociale, les réseaux sociaux mettent en place un processus addictif automatique et inconscient qui fait que, d’un côté, l'utilisateur rejette des comportements et, de l’autre, imite inconsciemment ceux qui lui plaisent, le poussant dans les bras des influenceurs. En récupérant les données, les géants d'Internet proposent des publicités ciblées pour pousser à la consommation.

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Dopamine

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Une prise de conscience ?

« On appelle des catastrophes / pour les couvrir du tissu / de nos indifférences / nos regards étouffent / sous les poignées de cris / jetées dans les fosses » Tels sont les mots d’Hélène Dorion dans Mes forêts. La remise en cause de la société de consommation a débuté dès les années 1970. Le contre-courant de l’altermondialisme poursuit ce qui avait été initié. Il souhaite une mondialisation plus équitable, plus démocratique et plus juste, écologiquement plus responsable. L'expérience de la pandémie de Covid-19 et du confinement en 2020 nous a acculés au questionnement, à une pause nécessaire, à la prise de conscience sociale, écologique, à la consommation responsable et éthique.

Une histoire à réécrire

Mes forêts s’inscrit bien dans ce contexte historique, social, culturel et politique et propose une réflexion sur l’histoire collective. Il s’agit de replacer le terme LIENS au cœur de nos vies, que la relation au vivant soit renouée et que ce vivant puisse nous livrer une leçon d’humilité et de sagesse. La poésie propose un contre-langage et nous fait entrer dans un « être-au-monde » fait de patience et de lenteur. Lire de la poésie est un acte de résistance aux dérives de nos sociétés. 

Prolongements

• D'autres articles permettent de mieux connaître Hélène Dorion, son contexte de création et son recueil Mes forêts.

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• Des pistes pédagogiques proposent également aux enseignants des axes pour étudier l'œuvre d'Hélène Dorion avec leurs élèves :

Niveaux: Lycée général et technologique - Lycée professionnel

Hélène Dorion – La musique, l'écriture, le mystère

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• Un court-métrage, réalisé par Pierre-Luc Racine, donne à entendre la voix d'Hélène Dorion lisant l'un de ses poèmes de son recueil « Mes forêts » : Le Bruissement du temps.

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