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La construction européenne (4/4) De 2001 à nos jours : le temps des crises

Copyright de l'image décorative: Johanna Geron / Pool / AFP

La président de la Commission européenne Ursula von der Leyen ajuste son masque avant son discours lors du premier jour d'un sommet de l'Union européenne, à Bruxelles, le 1er octobre 2020.
Par Nicolas Françoisjournaliste spécialisé en histoire
Publication : 24 mai 2024 | Mis à jour : 10 juin 2024

Niveaux et disciplines

Avec le traité de Nice en 2001, l'Union européenne réforme ses institutions pour les adapter à l’élargissement aux pays d'Europe orientale et méridionale. Malgré l'échec du projet de Constitution en 2007, l'UE parvient à traverser les crises en faisant preuve d'innovation et de pragmatisme. Du Brexit à la guerre en Ukraine en passant par la pandémie de Covid, l'Europe se réinvente sans cesse.

Le traité de Nice, signé le 26 février 2001 et entré en vigueur en 2003, a pour objectif de réformer les institutions européennes pour les adapter à l’élargissement aux pays d'Europe orientale et méridionale.

L’accord augmente le nombre de sièges au Parlement européen et renforce ses pouvoirs. Au Conseil européen, il étend le vote à la majorité à de nouveaux domaines. Il s’agit aussi de définir le nombre de représentants des différents membres (commissaires, parlementaires...) dans les institutions et d’étendre le vote à la majorité qualifiée à davantage de domaines de compétences, dans le but de faire fonctionner efficacement une Union élargie. Pour cela, il faut que les membres abandonnent leur droit de veto dans une cinquantaine de domaines et acceptent l’extension du vote à la majorité qualifiée au Conseil sur de nouveaux sujets. Cela a été le cas pour certains d’entre eux, comme la politique commerciale extérieure ou l’attribution d’aides régionales. Mais, pour d’autres aspects fondamentaux, comme les questions de fiscalité, de protection sociale, de propriété intellectuelle ou de droit d’asile, aucun consensus n’a pu se dégager, rendant l’UE impuissante sur ces sujets.

Le 1er mai 2004, l’UE connaît son cinquième élargissement, le plus grand de son histoire. Huit pays de l’ancien bloc communiste (Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Pologne, République tchèque, Slovaquie, Slovénie) et deux îles méditerranéennes (Chypre et Malte) adhèrent à l’Union. La Roumanie et de la Bulgarie les suivront en 2007.

Date de la vidéo: 2000 Collection:  - Journal de 13 heures

Le sommet européen de Nice

Le traité de Nice s’avère cependant peu efficace pour piloter une Union passée de quinze à vingt-cinq États membres (et bientôt vingt-sept) et limiter les risques de blocage. Une nouvelle réforme institutionnelle se prépare. Elle va entraîner l’UE dans une crise démocratique.

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Vers une Constitution européenne ?

Depuis 2001, une Convention pour l’avenir de l’Europe travaille à un traité établissant une Constitution européenne. Présidée par l’ancien président français Valéry Giscard d’Estaing, elle est composée de parlementaires européens et nationaux, et des représentants de la Commission. Le texte est signé le 29 octobre 2004 et approuvé à une écrasante majorité par le Parlement européen début 2005. Il reprend la plupart des dispositions des traités précédents, définit les modalités de fonctionnement de l’UE et fixe des objectifs très généraux (« la voie de la civilisation, du progrès et de la prospérité », « la paix, la justice et la solidarité »…). Reste à faire ratifier ce traité par tous les pays membres.

Certains le font par voie parlementaire, d’autres par référendum. C’est le cas de la France. Il existe alors une opinion très partagée sur la construction européenne dans l’Hexagone. En 1992, le « oui » au référendum sur le traité de Maastricht l’avait emporté de justesse (51,04 % des voix). Cette fois-ci, bien que donné largement vainqueur en début de campagne (plus de 65 % selon les sondages), le camp du « oui » à une Constitution européenne ne parvient pas à fédérer efficacement ses soutiens. Composé de membres des deux principaux partis de l’époque, l’UMP (droite) et le PS (gauche), il se retrouve peu à peu secoué par des divisons internes. C'est le projet de directive sur la libéralisation des services, dite directive « Bolkenstein », du nom du commissaire néerlandais au marché intérieur, qui sème la discorde. Selon ce texte – qui n'est pas encore voté –, un Européen pourrait, sous certaines conditions, aller travailler dans un autre pays membre aux conditions en vigueur dans son pays d’origine. Dans une France en lutte quasi-constante contre un taux de chômage élevé depuis plusieurs décennies, l’image du « plombier polonais » qui viendrait travailler en France à un moindre salaire fait craindre un effet de « dumping social ». La directive « Bolkenstein » devient le symbole d’un libéralisme qui choque une partie des Français, notamment les employés et les ouvriers. En plus du camp du non, hostile à tout transfert de souveraineté à l’Europe, une large partie du camp du « oui » est lui aussi en désaccord avec ce projet. Le 11 mai 2005, après des semaines d’un vif débat, les électeurs français refusent la ratification du traité en votant « non » à 54,7 %. Quelques semaines plus tard, ce sont les électeurs des Pays-Bas qui s’opposent à leur tour. Le projet de Constitution européenne est dans l’impasse.

Date de la vidéo: 2005

Référendum du 29 mai 2005

2007 : le traité de Lisbonne... à défaut d'une Constitution

Pour remédier à cet échec qui laisse l’UE avec des institutions impuissantes, les dirigeants européens proposent une alternative lors d’un Conseil européen en octobre 2007, à Lisbonne. Le projet de Constitution est remplacé par un « mini-traité » qui reprend les orientations de Maastricht en y intégrant celles de traités intermédiaires (Amsterdam en 1997 et Nice en 2001). Un texte qui se veut fonctionnel. Parmi les nouveautés, l’élection d’un président du Conseil européen, élu par ses membres pour deux ans et demi, la création d’un poste de haut représentant pour la politique étrangère de l’UE et le renforcement du pouvoir du Parlement. La plupart des États membres ratifient le traité de Lisbonne par voie parlementaire. Seule l’Irlande choisit la voie du référendum… et se prononce contre. Le processus se poursuit malgré tout. L’Irlande vote de nouveau et finit par ratifier le traité, qui entre en vigueur le 1er décembre 2009. 

2008 : le sursaut après la crise des subprimes

En 2008, après la crise des subprimes (des prêts immobiliers à haut risque) aux États-Unis, les économies européennes subissent une période de dépression économique et entrent en récession l’année suivante. Face à cette situation, la BCE (Banque centrale européenne) abaisse en moins d’un an son taux directeur, c’est-à-dire le taux d’intérêt auquel elle prête de l’argent aux établissements financiers, de 4,25 % à 1 %. En le réduisant ainsi, la BCE permet d’injecter massivement des liquidités dans l’économie européenne afin d’éviter l’effondrement bancaire, mais au prix d’une aggravation de la dette.

En 2012, la BCE décide le rachat des dettes publiques des pays de la zone euro afin de faire baisser les taux auxquels les pays européens empruntent sur les marchés. Dans la foulée, les États membres de la zone euro créent un Fonds européen de stabilité financière (FESF). Quelque 750 milliards d’euros sont levés par la BCE et le Fonds monétaire international (FMI) pour venir en aide aux États surendettés, sous réserve d’adopter des programmes de restrictions budgétaires. 

Aide au développement, soutien aux démocraties : quel rôle à l'international ?

En matière de politique étrangère, les États membres conservent l’essentiel de leurs prérogatives. Cependant, l’UE dispose d’outils comme la Politique étrangère et de sécurité commune (PESC) qui permet des actions coordonnées. Ainsi, en 1993, elle organise l’acheminement de l’aide humanitaire en Bosnie, ravagée par la guerre. Elle assure également une part importante de l’aide au développement des pays pauvres (92 milliards d’euros en 2022, soit 43 % de l’aide mondiale). En l’absence d’une armée européenne d’envergure, l’UE use également de son soft power, c’est-à-dire de sa capacité d’influence par son modèle politico-économique et ses valeurs. 

Date de la vidéo: 1994 Collection:  - Journal de 13 heures

L'Eurocorps, corps d'armée européen

Le 22 février 2014, à Kiev (Ukraine), le président Victor Ianoukovytch est destitué par le Parlement ukrainien après trois mois de contestation populaire. Le point de départ de la révolte, c’est le refus du président, sous la pression de la Russie de Vladimir Poutine, de signer un accord d’association entre l’Ukraine et l’Union européenne. Un accord qui prévoyait une coopération renforcée entre les deux entités en matière économique. Les Ukrainiens pro-européens, dont de nombreux étudiants, entament alors des séries de manifestations massives dans le centre de Kiev, sur la place Maïdan (« indépendance », en ukrainien). Cette révolte pro-européenne est passée à la postérité sous le nom d’« Eurorévolution » ou « Euromaïdan ».

Les épreuves du Brexit et du Covid

Mais si, hors de ses frontières, l’Union européenne attire, elle peut aussi décevoir en interne. Le 26 juin 2016, au Royaume-Uni, 51,89 % des électeurs britanniques votent pour la sortie de leur pays de l’UE. Principal argument : ils considèrent que la contribution britannique au budget européen les lèse. Les pro-Brexit promettent, par exemple, de renforcer leur système de santé avec l’argent ainsi économisé. Si le départ d’un État membre est prévu par l’article 50 du traité sur l'Union européenne, le « Brexit » crée un traumatisme dans la conscience européenne. La sortie du Royaume-Uni du marché unique est réalisée le 1er janvier 2021.

Dans l'intervalle, au printemps 2020, la crise du Covid-19 secoue le modèle européen. L’Union n’a que des compétences limitées en matière de santé publique et les différentes décisions concernant les restrictions de circulation appartiennent aux États. L’UE a cependant joué un rôle important au moment de la distribution des vaccins. C’est la Commission européenne qui a pris en charge l’achat groupé de doses en signant directement des contrats avec les laboratoires et en assurant leur répartition auprès des États membres. D’un point de vue économique, l’Union a assoupli les règles budgétaires pour permettre à ses membres de financer les mesures de protection sociale comme le chômage partiel. Puis, en juillet 2020, les dirigeants des différents pays se sont mis d’accord sur un plan de relance d’un montant de 750 milliards d’euros. Tous ensemble, ils lancent un grand emprunt sur les marchés : c’est la première fois que les États de l’UE acceptent de s’endetter ensemble, il s’agit d’une nouvelle étape dans l’intégration économique européenne. 

2022 : en Ukraine, une guerre aux portes de l'UE

Le 24 février 2022, des troupes russes pénètrent en Ukraine, direction Kiev. Deux jours plus tard, après un conseil extraordinaire, les dirigeants de l’UE publient une déclaration commune dans laquelle ils condamnent « avec la plus grande fermeté l'agression militaire non provoquée et injustifiée de la Fédération de Russie contre l'Ukraine ». Rapidement, le Conseil européen prend une série de mesures : embargo sur le pétrole russe, fermeture de l’espace aérien et maritime aux Russes, gel des avoirs de la banque centrale russe en Europe ainsi que ceux d’oligarques russes, interdiction de diffusion des médias russes, etc. Le but est d’empêcher le financement de l’effort de guerre de Moscou. L’UE a également approuvé la livraison d’armes et de munitions aux Ukrainiens pour un montant de six milliards d’euros. C’est la première fois que l’Union s’implique autant dans un conflit. La guerre a aussi un autre impact : la possibilité de nouvelles adhésions à l’Union européenne. L’Ukraine, la Moldavie et la Géorgie sont aujourd’hui officiellement candidates pour rejoindre le club des Vingt-Sept.

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Depuis mars 2022, le Conseil européen a approuvé l’adoption d’une « boussole stratégique ». Une déclaration d’intention qui comporte, à l’horizon 2030, la possibilité de déployer rapidement des troupes et d’augmenter les capacités de défense des États membres. En avril 2024, lors d’un discours à l’université de la Sorbonne, le président français Emmanuel Macron relance le débat sur une défense européenne moins dépendante du « bouclier américain », une armée capable de faire face à de nouvelles menaces, comme celle d'une Russie devenue plus menaçante depuis son invasion de l’Ukraine en février 2022.

Ce qu'il nous faut faire émerger, et c'est cela le paradigme nouveau en matière de défense, c'est une défense crédible du continent européen.

Discours du président de la République Emmanuel Macron sur l'Europe à la Sorbonne, le 25 avril 2024.

À l’aube des élections européennes de juin 2024, les nouveaux enjeux qui se présentent au monde nécessitent une Europe à la hauteur. En avril 2024, l’ancien président de la BCE Mario Draghi souhaite « une redéfinition de notre Union qui ne soit pas moins ambitieuse que ce que les pères fondateurs ont fait il y a soixante-dix ans avec la création de la Communauté européenne du charbon et de l'acier dans le but de rivaliser avec la Chine et les États-Unis. Nous devrons transformer l’ensemble de l’économie européenne. Nous avons besoin de pouvoir nous appuyer sur des systèmes énergétiques décarbonés et indépendants, sur un système de défense intégré et adéquat implanté dans l’Union, sur une production nationale dans les secteurs les plus innovants et à croissance rapide, et sur une position de leader dans les technologies de pointe et l’innovation numérique, proches de notre base manufacturière. » D’une idée de quelques pères fondateurs pour assurer la paix, l’Europe, avec la guerre à ses frontières et une compétition internationale sans merci, se rêve désormais en grande puissance globale.

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